Coralie Delaume critique à juste titre l’idée selon laquelle un retour au franc serait, en tant que tel, de nature à réduire notre pouvoir d’achat. Elle a, sur ce point, parfaitement raison : quelle que soit la valeur de cet hypothétique nouveau-nouveau franc en euros (1 euro = 1 franc, 1 euro = 6,55957 francs… que sais-je ?), il serait le fruit d’une décision purement arbitraire qui, au-delà de quelques effets psychologiques, n’aurait absolument aucun effet sur notre niveau de vie. Par exemple, si nous devions réintroduire dès demain de nouveaux-nouveaux francs en lieu et place des euros à une parité de 1 franc pour 1 euro, les seules choses qui changeraient seraient le nom de la monnaie et l’aspect physique des billets de banque. L’opération aurait bien sûr un coût mais nous n’avons aucune raison objective de penser que cela devrait avoir la moindre influence sur notre pouvoir d’achat.
Seulement voilà, la raison pour laquelle un certain nombre de nos politiciens voudraient revenir au franc c’est précisément qu’ils souhaitent reprendre le contrôle de la monnaie pour mieux pouvoir la dévaluer. C’est l’objectif explicite et parfaitement assumé de la manœuvre : une « dévaluation compétitive » destinée à rétablir l’équilibre de notre balance commerciale et, mieux encore, l’abrogation de la fameuse loi n°73-7 du 3 janvier 1973 – dite Loi Pompidou-Giscard – qui interdit à l’Etat de financer la dépense publique en faisant tourner la planche à billet. En d’autres termes, si le franc est réintroduit contre un euro demain, nous avons quelques excellentes raisons de penser que sa valeur pourrait rapidement se dégrader et nous nous retrouverions avec un franc qui ne vaudrait alors plus que, par exemple, l’équivalent de 75 centimes d’euros[1. Je suis un garçon très optimiste]. J’ai deux objections votre honneur.
La première, c’est que le déficit de notre balance commerciale n’est pas un problème et qu’il n’y a donc pas matière à y apporter une solution. Contrairement à une idée largement répandue mais néanmoins parfaitement fausse, un pays qui importe plus qu’il n’exporte ne s’appauvrit pas. La raison en est très simple : lorsque nous importons pour 100 euros de matériel électronique, nous échangeons 100 euros de marchandises contre 100 euros en monnaie. Nous n’avons donc aucune raison d’estimer que nous nous sommes appauvris [2. Nous devrions même considérer que nous nous sommes enrichis puisque nous avons manifestement préféré 100 de matériel électronique à 100 euros de billets de banque…]. Si ce raisonnement vous perturbe, remplacez lesdites marchandises par de l’or et expliquez-moi en quoi échanger un billet de 100 euros contre son équivalent en métal précieux serait de nature à m’appauvrir. La balance commerciale n’est qu’une mesure comptable qui ne traduit en rien la santé d’une économie. Lorsque nous refourguons nos euros à des étrangers en échange de produits ou de services, ces mêmes euros nous reviennent sous forme de prêts ou d’investissements dans nos entreprises [3. Un déficit commercial est, par construction, compensé par un solde positif de nos comptes de capital et/ou de nos comptes financiers de telle sorte que la balance des paiements est toujours équilibrée]. Se lamenter du déficit de notre balance commerciale tout en se félicitant de l’attractivité de notre économie pour les entreprises étrangères relève de l’analphabétisme économique.
Deuxio, permettre à un gouvernement de financer la dépense publique par la planche à billet est non seulement stupide mais dangereux. S’il suffisait d’imprimer de la monnaie pour créer de la richesse, la faim dans le monde aurait disparu depuis longtemps. Si vous arrivez à croire qu’un gouvernement peut faire tourner la planche à billet pour financer ses dépenses sans aucune conséquence sur la valeur desdits billets, vous faites preuve d’une naïveté confondante. Ce que nous proposent les politiciens évoqués plus haut c’est de créer de l’inflation – c’est-à-dire de dévaluer notre monnaie – pour financer la dépense publique. Que ce soit dit une bonne fois pour toute : ce n’est pas gratuit. Revenir sur cette fameuse loi de 1973 reviendrait à permettre à nos gouvernements de lever un impôt parfaitement arbitraire et en dehors de tout contrôle démocratique, mais encore à organiser un gigantesque transfert de richesses des épargnants vers ceux d’entre nous qui sont endettés, et en premier lieu l’Etat. Dans votre vie de tous les jours, vous constateriez une hausse des prix que vous mettriez sans doute sur le dos de la rapacité des méchants commerçants mais en réalité, c’est la valeur de votre monnaie qui serait en train de s’effondrer.
La première leçon de l’économie, disait l’excellent Thomas Sowell, c’est la rareté. La première leçon de la politique c’est d’ignorer la première règle de l’économie. Si le gouvernement dévalue la monnaie pour rétablir l’équilibre de la balance commerciale ou financer ses dépenses, quelqu’un devra payer. Les économies des épargnants seront les premières à y passer et les salariés dont les émoluments ne seront pas ou partiellement ajustés de l’inflation complèteront. En ce bas monde, rien n’est gratuit : depuis la nuit des temps, l’homme a dû travailler, user de ses compétences et de son intelligence pour créer les conditions de son bien-être. Ça ne changera pas : il y a toujours quelqu’un qui paie et si vous ne savez pas qui, c’est sans doute que c’est vous.
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