Les adorateurs de l’euro continuent à bêler qu’il nous protège − on se demande bien de quoi. Il devient pourtant urgent de mettre fin à cette hasardeuse expérimentation.
Pour être honnête, il faut d’abord reconnaître que la monnaie unique a eu quelques effets bénéfiques. Tout d’abord, elle facilite les échanges (frontaliers, touristiques, commerciaux) au sein de la zone, même si elle n’a pas fondamentalement accéléré un mouvement qui lui préexistait largement. Ensuite, dans un premier temps, la convergence des taux longs a permis aux pays qui souffraient d’une forte prime de risque de réduire considérablement le coût de leur dette.
Mais cette convergence s’est interrompue en 2008 et nous sommes revenus à la situation d’avant l’euro. La zone euro est entrée en récession dès le deuxième trimestre de 2008, soit un trimestre avant les Etats-Unis. En 2009, le PIB états-unien a baissé de 2,5%, contre 4% en Europe et, en 2010, la croissance sera de 1% de ce côté-ci de l’Atlantique contre 3% de l’autre. Pourtant, la récession venait des Etats-Unis, où la baisse de 30% de la valeur de l’immobilier a durement frappé des millions de ménages. Mais la politique européenne n’a fait qu’aggraver les choses. Et l’euro ne nous a pas non plus protégés contre la spéculation qui s’est déplacée sur les taux des dettes souveraines.
La plaie du « one size fits all »
La réalité, c’est que l’euro est un boulet accroché aux économies européennes. Pour une raison simple : à l’exception de la brève période où il est descendu jusqu’à 0,82 dollar, il est structurellement surévalué. Les économistes estiment que son cours normal devrait être de 1 à 1,15 dollar – ce qui signifie qu’il est encore surévalué de 10 % et qu’il l’était de plus de 50% quand il s’échangeait contre 1,6 dollar. Or, cette situation a une seule cause : la politique monétaire de la BCE, exagérément restrictive par rapport à celle de la Fed. En juin 2008, Jean-Claude Trichet trouvait le moyen d’augmenter les taux d’intérêt alors qu’aux Etats-Unis, ils avaient baissé de 3 points ! Résultat : en dix ans, l’excédent des échanges franco-américain est devenu un déficit de 5 milliards. Résultat : les délocalisations de nos entreprises, jusqu’à Airbus qui a décidé d’augmenter la part de ses composants produits en zone dollar. Les constructeurs automobiles français ont suivi le même raisonnement : ils produisaient 3 millions de voitures en France en 2004. Ce chiffre est tombé à un peu plus de 1,5 million en 2009.
En prime, les pays de la zone souffrent de la politique de désinflation compétitive allemande, conséquence logique de l’unification monétaire. En effet, dans un système de parité fixe, le coût du travail devient décisif dans la bataille commerciale. C’est ce que l’Allemagne a compris depuis le milieu des années 1990 et applique avec toute sa rigueur. Ce blocage des salaires a permis à notre voisin d’outre-Rhin de gagner en compétitivité et d’accumuler des excédents commerciaux vis-à-vis de l’ensemble de ses « partenaires » de la zone euro. Le problème est que cette politique a un effet dépressif important et, effectivement, avec 0,8% par an, l’Allemagne – avec l’Italie – a été, durant la dernière décennie, le pays à la plus faible croissance de la zone. Vu son poids économique, cette faiblesse s’est transmise à tous les autres.
Pire, ce comportement bien peu collectif pousse tous les autres pays à se lancer dans une course à la rigueur qui pourrait se révéler désastreuse. Un blocage généralisé de salaires réduirait encore le potentiel de croissance d’une zone qui n’a déjà pas brillé dans ce domaine depuis dix ans.
Mais le défaut majeur de l’euro est d’imposer une même politique monétaire à un ensemble de pays aussi hétérogènes. Les pays avec des excédents commerciaux et ceux qui accusent des déficits ont besoin de politiques monétaires diamétralement opposées. Pour arriver à l’équilibre, les premiers ont besoin que leur monnaie s’apprécie tandis que la solution, pour les autres, est plutôt une dépréciation de la monnaie. Autrement dit, l’euro interdit les ajustements de la balance commerciale.
Logiquement, il en va de même pour les taux d’intérêt. Autant les taux sont généralement trop élevés pour des pays comme la France et l’Allemagne, autant ils ont longtemps été trop faibles pour des pays à croissance et inflation plus fortes, comme l’Irlande (où les taux étaient de 4 % quand la croissance nominale du PIB fleurait les 8%), l’Espagne ou la Grèce.
En Espagne, pays qui disposait d’un excédent budgétaire au milieu des années 2000, l’euro et les faibles taux d’intérêt à court terme qui allaient avec ont engendré la bulle immobilière et le krach qui a suivi. Si le pays avait pu mener une politique monétaire indépendante, nul doute que sa banque centrale aurait augmenté le loyer de l’argent.
L’alternative : la monnaie commune
La zone euro ne satisfait donc nullement aux critères de ce que les économistes appellent une « zone monétaire optimale » : convergence macro-économique, mobilité des travailleurs et budget central. C’est que l’euro n’était qu’une aventure politique destinée à contraindre les Etats à construire l’Europe sur un modèle fédéral. En réalité, même l’avancée vers le fédéralisme que serait l’adoption d’un unique budget de la zone ne serait pas une solution car les deux premiers critères ne seraient toujours pas remplis, ce qui laisserait trop de mécanismes pervers en œuvre, notamment la prime à une désinflation compétitive. On n’en sortira pas : les pays de la zone euro sont trop dissemblables pour partager une même monnaie.
Il existe cependant une solution médiane qui permettrait de conserver l’euro tout en en corrigeant ses faiblesses. Elle consiste à transformer la monnaie unique en monnaie commune coexistant avec les monnaies nationales, sur le modèle du défunt Système monétaire européen. Un tel mécanisme aurait permis aux banques centrales espagnole et irlandaise d’augmenter leurs taux pour éviter la formation d’une bulle immobilière dans les années 2000. Elle rendrait caduques les politiques excessives de désinflation compétitive et pousserait l’Allemagne à adopter une politique tournée vers la croissance plus que vers le contrôle des salaires. Mieux, cet euro repensé pourrait devenir un véritable rival du dollar, ce que la monnaie unique a échoué à être.
Certains agitent le spectre de taux d’intérêt à 10% que les marchés exigeraient pour prêter à la France. C’est oublier que, malgré le déficit le plus élevé du G7, la Grande-Bretagne arrive toujours à se financer à des taux raisonnables. D’autres avancent que la dette deviendrait ingérable en cas de dévaluation. C’est un danger réel mais que les gouvernements peuvent contrer en imposant une conversion en monnaie nationale avant la dévaluation : ce sera toujours préférable à un défaut généralisé.
Surévaluation, compression des salaires et de la croissance, encouragement aux bulles : l’euro a aggravé les problèmes des pays de la zone tout en les privant de leurs moyens d’agir. La monnaie unique est une catastrophe économique. Il faut en sortir, vite !
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