Accueil Monde Etudiants québécois en grève : Indignés mais pas seulement…

Etudiants québécois en grève : Indignés mais pas seulement…


Depuis février, la plus longue grève étudiante de l’histoire du Québec paralyse les universités de la province francophone du Canada. La raison principale de cette crise est la hausse des frais de scolarité. Le gouvernement québécois Charest a en effet instauré une augmentation de 75% s’étalant sur 5 années, les frais passant donc de 2 168 $CAN à 3 793 $CAN. Or, le mouvement étudiant s’inscrit dans un contexte local (opposition au gouvernement) et international (mouvement des Indignés) plus complexe qu’il n’y paraît. Pour mieux en cerner les enjeux, Rachel Binhas a interrogé Pascale Dufour, professeur agrégée au Département de science politique de l’Université de Montréal, par ailleurs spécialiste de l’action collective et de la représentation politique.

Pourquoi cette crise, longue et aiguë, arrive-t-elle maintenant ? S’agit-il de la fin de ce que certains qualifient de « contrat moral tacite » entre le gouvernement, l’administration et les étudiants qui prévalait jusqu’au siècle dernier ?

Je ne serais pas aussi catégorique sur la transformation du dialogue social. Mais il est certain que la communication entre le gouvernement et les associations étudiantes s’est très largement détériorée depuis l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement libéral en 2003. Le premier grand conflit a eu lieu en 2005. Il s’était soldé par l’exclusion d’une des associations de la table des négociations. Aujourd’hui nous assistons au second gros conflit. Si l’on observe une rupture de communication, par le passé, il y avait déjà eu des périodes d’affrontements assez violents entre gouvernements et mouvements étudiants.

Ce conflit a donc un arrière-plan politique…

Oui. Il ne faut peut oublier que le mouvement étudiant a joué un rôle fondamental dans la construction du Québec moderne parce qu’il était très proche du mouvement souverainiste et donc du parti québécois. A cette époque, bien entendu la communication se faisait plus facilement !
Aujourd’hui, le gouvernement libéral en place n’a aucun intérêt électoral à négocier avec les étudiants : les jeunes ne votent pas en général et ceux qui se déplacent pour aller aux urnes ne votent majoritairement pas pour lui .

Et du côté des étudiants, comme le mouvement a-t-il évolué ces dernières années ?
Il faut préciser que le mouvement étudiant a subi de très larges transformations au Québec depuis le milieu des années 1990 avec la multiplication des fédérations étudiantes. Aujourd’hui, le mouvement est divisé, mais pas nécessairement affaibli. Il est néanmoins plus difficile de discuter en face de quatre interlocuteurs au lieu de deux. De plus, le rapport de force entre ces institutions s’est modifié. Par exemple la Classe[1. La Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante se définit comme une organisation temporaire de type syndical luttant contre la hausse des frais de scolarité et cherchant à coordonner une grève générale illimitée.] qui était très minoritaire il y a 10 ans, représente aujourd‘hui près de la moitié des étudiants. Les dynamiques ont donc changé.

Peut-on établir un lien entre le contexte international de crise, les vagues d’indignation successives et ce mouvement étudiant ?

C’est une question difficile. A un certain niveau de généralité, il y a bien un lien. Les militants étudiants eux-mêmes vont faire ce lien, on peut les entendre dire parfois « nous faisons partie des Indignés de ce monde » ou « nous sommes solidaires de nos collègues étudiants du Chili » puisqu’il y a eu des mouvements étudiants dans ce pays, en Inde également. Je pense effectivement qu’une connivence transnationale existe entre les mouvements étudiants.
Une construction de lien se fait aussi avec les Indignés de l’automne de Montréal. Avec le temps, les étudiants redéfinissent leur discours en tenant compte de ces luttes-là. Ils mettent en avant les points communs entre la commercialisation de l’éducation et la commercialisation du monde. Cette généréalisation leur permet d’expliquer que la commercialisation de l’éducation est la conséquence du « néolibéralisme » mondial. Ils soulignent alors l’opposition entre le droit individuel du consommateur et le droit collectif.
Ceci dit, si vous interrogez un manifestant dans la rue qui se positionne contre la hausse des frais de scolarité, il n’est pas certain qu’il fasse immédiatement le rapport avec les Indignés ! On note enfin l’envie de se sentir appartenir à un mouvement de révolte global, de sortir de sa lutte sectorielle.

Cette contestation étudiante serait donc l’expression d’un mouvement de gauche antilibéral ?

Pas pour tous ! Pour une partie il est de gauche, comme la Classe par exemple, très clairement positionnée à gauche de l’échiquier politique. Ses militants exigent la gratuité scolaire depuis le début des années 2000 .
Mais ils ne représentent pas l’ensemble des étudiants. Certains prônent le gel des frais de scolarité, d’autres demandent un moratoire sur la question des droits de scolarité… Des associations étudiantes qui ne sont pas particulièrement à gauche proposent aussi l’indexation des frais de scolarité sur le niveau de revenu. Notons en même temps que les étudiants favorables à cette hausse ont tenté de s’organiser collectivement mais sans succès. Pour le moment, aucune association étudiante ne les représente. Leur discours anticontestataire est donc porté à titre individuel.

Dans quelle mesure peut-on comparer le conflit québécois aux mouvements étudiants français ?

Une comparaison est toujours possible mais les enjeux sont différents. Les dernières grandes mobilisations étudiantes en France concernaient surtout la question de l’emploi. Au Québec, l’enjeu est celui de l’accessibilité aux études puisque toutes les études en Occident montrent qu’une hausse des frais de scolarité diminue mécaniquement cette accessibilité, même si des systèmes de prêts et de bourses sont mis en place.



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