Pendant des siècles, après un pogrom, les Juifs n’avaient que leurs yeux pour pleurer. Le sionisme a changé le cours de leur histoire en les dotant d’un bien précieux, salutaire, réjouissant: TSAHAL.
Un dimanche, dans l’émission « C politique », je tombe sur Rachid Benzine et Delphine Horvilleur. Le couple semble battre de l’aile. J’ai l’impression que c’est la dernière représentation de leur tournée œcuménique. Entre la juive et le musulman, tout allait pour le mieux tant qu’on n’abordait pas les questions qui fâchent, tant qu’on les diluait dans des parachas coraniques ou dans des salamalecs talmudiques. Mais là, les questions qui fâchent sont devenues incontournables. Ils ne s’entendent plus qu’en dénonçant ceux qui évoquent le choc des civilisations, aveugles à ce qui advient. On est sur la Cinq, avec Karim Rissouli, on ne s’accorde plus que sur le dos de Zemmour. Rachid est contrarié qu’on le somme de dénoncer le terrorisme, de se désolidariser. C’est parce que je suis musulman, mais cela va sans dire, insiste-t-il. Cela va pourtant mieux en le disant, à l’heure où le silence des Imams est assourdissant, à l’heure où nos musulmans médiatisés condamnent, certes, mais sans pouvoir s’empêcher de nous refourguer la Nakba, et la prison à ciel ouvert, sans pouvoir attendre une petite semaine de décence pour placer leur « oui, mais ». Delphine, elle, est déçue par les réactions ou par l’absence de réactions dans son entourage et au-delà.
Paratonnerre de la haine mondiale
Moi aussi, je suis déçu. Et ce n’est pas la première fois. Je crois que ça a commencé après l’assassinat du père Hamel. Un couple d’amis très proche et très catho était sidéré, perdu, dans une totale incompréhension, comme si Jésus était revenu transsexuel ou loubavitch. Un prêtre égorgé dans son église ? Comment ? Pourquoi ? Les mêmes n’avaient pas été aussi déboussolés quand Mohammed Merah était entré dans une école pour abattre des enfants juifs. Aujourd’hui, ça recommence. La même sidération, la même incompréhension, les mêmes larmes chez les laïcs. Un prof poignardé dans son collège, sans même qu’il ait osé parler du Prophète. Comment ? Pourquoi ? À chaque fois, j’ai le sentiment qu’on me fait, le plus sérieusement du monde et sans malice, la blague des Juifs et des coiffeurs. Aujourd’hui, on tue les Juifs et les coiffeurs. Pourquoi les coiffeurs ? Pourquoi un prêtre ? Pourquoi un prof ? Et c’est moi qui fais la chute : et pourquoi les Juifs ?
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Le lendemain du 7 octobre, un compagnon de travail me dit : ça devait arriver. Ce qu’on ne dit plus d’une femme court vêtue qui a été violée, on le dit d’Israéliens qui ont été brûlés vifs avec leurs enfants. On condamne, on réprouve mais on n’est pas surpris, on ne se pose pas la question parce que la réponse est là, planquée dans l’inconscient collectif : parce que ce n’est pas surprenant, parce que c’est toute leur Histoire.
Je pense à l’Histoire des Juifs, aux siècles de persécution, de vols, de viols, de meurtres, de supplices. Je pense aux pères de nos pères, ou plutôt aux mères de nos mères, parce que c’est par là que ça se refile, que ça se transmet. Comment ont-ils tenu sans autre aide que celle de leur foi en un Tout-Puissant si peu protecteur ? Comment le peuple ne s’est-il pas dissous, la tribu éparpillée, la filiation brisée ? Comment les hommes et les femmes, les uns après les autres n’ont-ils pas dit un jour « je quitte, oubliez-moi, rayez-moi du Livre, je démissionne, je ne veux pas que ma fille soit violée et mon fils égorgé, je veux devenir normal, je veux qu’on m’appelle Dupont ou Abd-el-Kader, je dirai ce qu’on voudra, Ave Maria, Allah Akbar, n’importe quoi pourvu qu’on me fiche la paix. La paix. L’an prochain à Jérusalem, ce sera sans moi, le paratonnerre de la haine mondiale, merci bien, basta. »
Le temps du dôme de fer et du char Merkava
Moi, je sais ce qui me fait tenir. Quand l’horreur me prive de sommeil, je m’accroche à un mot, un mot qui a changé le cours de l’Histoire des Juifs, le mot TSAHAL. Georges Perec a écrit : « L’Histoire s’est abattue sur ma famille avec une grande hache. » Aujourd’hui, la hache est entre nos mains, elle est le H au cœur du mot TSAHAL, debout sur ses deux jambes, fort et solide. La force juive a un nom et quelques centaines de milliers de visages, réguliers et réservistes. Je la vois dans les chars postés à la frontière. Je l’ai entendue un matin à Masada, elle m’a survolé en un éclair, elle avait un son supersonique, et une étoile de David sur les ailes. Je n’ai jamais autant vibré de toute ma vie. Je la vois aussi dans les yeux d’Olivier Rafowicz, le porte-parole de TSAHAL, et dans son sourire. Je l’entends dans sa voix, dans son français à l’accent ébréché par l’hébreu. Aujourd’hui, toutes nos héroïnes juives, tous nos héros juifs tiennent en un mot de six lettres. C’est TSAHAL qui tient en respect Mardochée et dissuade Assuérus de mettre en œuvre son projet funeste, TSAHAL qui occit Holopherne et qui colle la frousse à ses troupes, TSAHAL qui fait trembler les murs chez les Philistins, TSAHAL qui changera l’eau des fleuves en sang si un pharaon ou un leader de l’Oummanous menace d’extermination. TSAHAL qui fait souffler un vent de panique chez ces rats du djihad qui ne savent plus quoi inventer pour échapper à la punition, terrés dans leurs trous, avant la tempête. Mais la punition tombera, Olivier l’a annoncé avec une colère contenue, avec une détermination qui ne laisse aucune place au doute. Et cette assurance me réchauffe le cœur.
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Le jour, je marche dans les rues coiffé d’un bonnet rapporté d’Israël, vert kaki avec, gravé en lettres d’or« Israël Army », en hébreu TSAHAL. En dix jours, 200 actes antisémites. On a longtemps craint les amalgames et les représailles sur des Français musulmans innocents, mais la vitrine de l’épicier est intacte et, au lieu de représailles, on a la contagion. Le Hamas déteint sur certains de nos Arabes, de nos islamistes d’atmosphère, de nos musulmans impatients. Où ça des antisémites en action ? Je les cherche du regard, le mot TSAHAL écrit sur mon front. J’attends une remarque, une insulte, un geste pour contrebalancer par un acte anti-antisémite, en jouant des poings, même si je ne fais pas le poids.
La nuit, je pleure sur les enfants des kibboutz, les femmes violées et meurtries, les otages dans le noir, avec les rats. Mais pas seulement. Je pleure aussi du bonheur d’être Juif au temps du dôme de fer et du char Merkava. Le bonheur d’être Juif, pas par la Torah, mais par les avions de chasse et par leurs bombes planantes. Le bonheur d’être Juif au temps de TSAHAL.