Dimanche soir, arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a parlé de « faire barrage à l’extrême droite » devant ses soutiens. L’histoire se répète inlassablement, et déjà les journaux entretiennent l’idée que le chaos est tout proche.
« L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie », a-t-on fait dire à un certain Karl Marx alors qu’il jugeait Napoléon III à l’aune de son oncle. On pourrait aussi penser, avec Carl Gustav Jung que : « Tout ce qui ne parvient pas à la conscience revient sous forme de destin. » Les résultats du premier tour leur donnent, hélas, raison.
En effet, voilà que nous nous apprêtons à revivre le duel pipé d’il y a cinq ans. Celui-ci opposera, cette fois encore, à notre roitelet la patronne du Rassemblement national maintenant adoucie par une fréquentation féline assidue, forte du report des voix du parti Reconquête, rebaptisé, pour l’occasion… Recroquette (!). Notre petit monarque a partagé avec l’humilité qu’on lui connaît cette nouvelle de nature à réjouir ses sujets, prenant dans l’imposture, une posture des plus christiques.
Le trésor de guerre de Mélenchon ? Pas pour Marine Le Pen
Pour ma part, d’abord comme Figaro dans Le Barbier de Séville : « fatiguée d’écrire, ennuyée de moi, dégoûtée des autres (…) », j’ai fini par me dire qu’en pareille traverse, seule convenait, j’y reviendrai, le comportement adopté par Meursault, dans L’Étranger d’Albert Camus. Pour nous Français, indéniablement : « Aujourd’hui maman est (encore) morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
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Mais avant de poursuivre plus avant cette réflexion, il me faut revenir sur cette mémorable soirée de dimanche, celle-là même où Jean-Luc Mélenchon, notre regretté philosophe de comices agricoles s’exprima, comme à son habitude, sentencieusement. N’hésitant du reste pas à convoquer Sisyphe pour lester son propos, il commença ainsi sa harangue en décrivant d’emblée la dure situation dans laquelle il se trouvait : « Mis au pied du mur de sa conscience, parce que c’est la condition humaine d’être confronté à des décisions dures ». Il nous gratifia ensuite d’une réplique à la Rocky Balboa : « Tant que la vie continue, le combat continue. » Enfin, il réitéra par quatre fois, d’une voix dramatique, cet ordre terrible : « Il ne faut pas donner une seule voix à Madame Le Pen. » Il se résignait là, beau joueur, à se départir du trésor de guerre constitué par ses voix au profit de notre jeune Dieu.
Quant à notre Prince, magnanime, il commença par citer tous ses adversaires défaits et demanda qu’on leur fît une ovation : « Merci de les applaudir. Nous défendons nos convictions avec force mais en respectant le choix de chacune et chacun. » C’est alors « qu’en même temps », il appela, bien sûr, à « à faire barrage à l’extrême droite. »
Puis il fit preuve, en poursuivant une diatribe fumeuse qui réunissait les habituels contraires, de l’habileté d’un cambrioleur aguerri qui raflerait à la hâte un butin hétéroclite pour l’enfouir dans un grand sac. C’est à cette occasion qu’il affirma, précisant qu’il saurait être humble (Qui Diable pourrait bien en douter ?) : « Plus rien ne doit être comme avant. Je suis prêt à inventer quelque chose de nouveau pour rassembler les convictions diverses et les sensibilités diverses. » À ce moment-là, nous eûmes franchement peur et le poids du désespoir affaissa nos épaules.
Pour ce qui est de Marine Le Pen, force est de reconnaître qu’elle sut rester digne et nous épargna des envolées lyriques touffues à l’image de celles dont a coutume de nous gratifier généreusement notre jeune monarque.
Une bouffonne réplique
Il est temps de revenir maintenant à L’Étranger. Ce premier roman publié en 1942 appartient à ce que Camus nommera le cycle de l’absurde. Dans cette œuvre, le philosophe dresse le portrait d’un personnage étrange, nommé Meursault, rétif au jeu social. Incapable de donner ni signification ni direction à sa vie, il est condamné à mort par les hommes plus en raison de son indifférence aux conventions imposées par la société qu’à cause du crime qu’il commet. À la fin de l’œuvre, incarcéré et attendant son exécution, le héros de Camus réalise après un accès de rage contre l’aumônier qui le visite, « la tendre indifférence du monde » et la folie des hommes sacrifiant sur l’étal de leurs certitudes celui qui, parce qu’il ne sait ni mentir ni pleurer ne leur ressemble pas. C’est alors que Meursault peut enfin être en adéquation avec lui-même ; en symbiose avec un monde insensé et brutal qu’il accepte.
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Nous sommes nombreux, à l’issue de ce premier tour, à nous sentir comme Meursault : des étrangers, face à une élection qui s’annonce comme une bouffonne réplique de la précédente. Notre Jupiter, bien rôdé, se prépare aux mêmes gesticulations absurdes et à lancer les mêmes appels rebattus au front républicain, se proposant de faire don de sa personne à la France pour lui éviter le retour des heures les plus sombres de son Histoire.
Un faux choix cornélien
Français, il nous est toujours possible, notre rage évacuée face à cette élection volée, de ne pas céder à un chantage éculé. Si nous égarions malencontreusement au second tour notre bulletin de vote, quelles qu’en soient les conséquences, notre révolte face à un premier tour lamentable serait suivie d’un sentiment salvateur et apaisant de cohérence avec nous-mêmes. Nous aurions refusé la mascarade d’un résultat orchestré.
Peut-être devrions-nous, alors, nous laisser guider par Meursault ? Voici les propos qu’il tient à la fin du roman : « Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux et que je l’étais encore. » Pour faire la paix avec nous-mêmes, renonçons au choix pseudo-cornélien que veut nous imposer Emmanuel Macron, amateur, comme chacun sait, et comme l’a dit Karl Marx de l’Histoire qui bégaie…