Une semaine après avoir découvert des étoiles de David sur des murs d’immeubles à Paris, la police est sur la piste d’une opération de déstabilisation venue de Russie.
La semaine passée, la plupart des médias ont relayé avec émotion le témoignage d’une vieille dame émue après avoir trouvé des étoiles de David peintes à l’encre bleue du drapeau israélien sur les murs de différents immeubles de plusieurs arrondissements parisiens, mais aussi dans les départements de la petite couronne de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine. Des tags parfois assortis d’inscriptions comme « Mort à Israël » ou encore « De la mer au Jourdain, Palestine vaincra », comme on a pu le constater à Aubervilliers. « Ce n’est pas un hasard, ça me fait penser à avant », avait dit cette dame interrogée par BFMTV. D’autres personnes interrogées avaient de leur côté fait part de leur effroi, de leur crainte d’être visées par des actions violentes.
De par leur dessin millimétré, leur nombre et leur impeccable disposition sur les murs, ces étoiles réalisées au pochoir avaient fait légitimement craindre à un ciblage antijuif en France dans le sillage des attaques du Hamas du 7 octobre puis de la riposte d’Israël. La Licra avait ainsi immédiatement commenté pour condamner : « Cette vague de haine qui monte et s’affiche est l’affaire de tous ». D’autres associations, telles que l’UEJF, lui avaient emboité le pas, dénonçant un affichage d’étoiles de David qui n’était pas « une première depuis la Seconde Guerre mondiale » mais qui était d’une « ampleur inédite », à même de « gangréne(r) le tissu social, la cohésion nationale et les valeurs de la République ». Même Elisabeth Borne avait dû commenter contre ces « agissements ignobles », demandant à son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin de tout faire pour « retrouver les auteurs », ajoutant qu’il était du « devoir de la République de protéger trous les juifs de France ».
L’histoire n’en est effet pas restée là. Elle s’est même grandement complexifiée après l’arrestation d’un couple de Moldaves en situation irrégulière en France. Ubuesque, cette affaire de prime abord inquiétante prenait alors une étonnante tournure syldave ! Après une semaine complète d’émissions consacrées à ce cas et de réactions, les Français étaient en droit d’en savoir plus. Très rapidement, la rumeur a bruissé concernant les auteurs. Avaient-ils agi seuls ou sur ordre ? Si rien ne permet pour l’heure d’affirmer avec une absolue certitude que ces actes ont été commandités, un faisceau d’indices bien circonstancié a permis de remonter à un homme répondant au nom d’Anatoli P, un Moldave pro-russe identifié et localisé en Russie grâce à l’exploitation des données mobiles du couple d’immigrés, comme l’a rapporté Europe 1.
A lire aussi: Giuliano Da Empoli n’écrirait plus “Le mage du Kremlin”, aujourd’hui
Âgé d’une cinquantaine d’années, l’homme est connu comme appartenant à un mouvement indépendantiste pro russe pour l’union douanière eurasiatique, dans le plus pur style des idées d’un Douguine. Cité par Europe 1, un policier de la Direction générale des services intérieurs a déclaré que cela s’inscrivait « parfaitement dans la réponse de la Russie à la France, après l’expulsion, il y a plus d’un an, de 35 diplomates russes ». On serait tenté de lui rétorquer que les opérations de déstabilisation menées par la Russie en France comme dans d’autres pays occidentaux sont bien plus anciennes. L’URSS pratiquait déjà la subversion, finançant tous azimuts les mouvements et les idées susceptibles de nous affaiblir. Plus récemment, la Russie a été soupçonnée d’avoir piraté France Info TV pour diffuser un faux message de menace de l’Etat islamique. Nous étions alors en 2015, au plus fort de la vague d’attentats de l’État islamique, entre Charlie Hebdo et le Bataclan.
La Suède a dernièrement accusé les Russes d’avoir instrumentalisé l’affaire de l’autodafé de Corans à Stockholm. L’Agence suédoise pour la défense psychologique a ainsi expliqué que Moscou avait utilisé ce cas pour diffuser des articles de désinformation, dans l’optique d’empêcher l’adhésion du pays scandinave à l’OTAN. Nous subissons présentement en Afrique une campagne de dénigrement terrible orchestrée par Moscou, qui a même mis en danger nos soldats au Sahel en 2022. La campagne dite du « Doppelganger », dénoncée par le Quai d’Orsay en juin dernier, a aussi montré que les Russes avaient créé des centaines de faux comptes ainsi que de faux articles de journaux français publiés sur des sites miroirs. « On a trouvé des dizaines de noms de domaines achetés par les Russes pour faire du typosquattage. On n’a pas affaire à des gens qui agissent à dose homéopathique. Ils sont au début d’un processus d’industrialisation », avait expliqué une source sécuritaire à TF1 à ce propos. Il ajoutait, interrogatif, ne pas connaitre leur objectif final : « Est-ce que c’est du micro-ciblage de certaines populations ? Est-ce que c’est pour une campagne permanente de basse intensité ? Ou en vue d’une action massive à un moment précis ? » Ce professionnel devrait urgemment lire Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli. Outre ses qualités littéraires et narratives, ce roman montre de manière pédagogique les ressorts utilisés par les spécialistes russes de la guerre informationnelle et de la contre-influence, qui ont probablement lu tout Bernays et tout Goebbels. Leur but n’est pas de nous imposer leur version des faits, mais d’inonder notre espace médiatique de contre-versions destinées à tous les publics « sceptiques », qu’ils appartiennent à l’extrême gauche ou à la droite, qu’ils soient juifs ou musulmans, apolitiques ou engagés.
La Russie souhaite que le faux ne soit désormais plus qu’un moment du vrai et cherche à attiser tous les antagonismes qui secouent notre société. Cette opération des tags n’avait que cela pour objectif. Faite par des pieds-nickelés, elle a pu être éventée. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas et nous devons rester extrêmement vigilants face à un État qui ne recule absolument devant rien. Leur méthode est simple mais d’une terrible efficacité. Qu’est-ce qui est le plus efficace ? Cibler quelques influenceurs à grande gueule capables de parler partout et d’utiliser les réseaux sociaux ou commander dix rapports universitaires que personne ne lira ? Placer judicieusement quelques tags ou organiser une immense campagne publicitaire argumentée ? Quoi que rudimentaire, le travail de l’intelligence russe est redoutable.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !