Incarnation de la première chaîne TF1 pendant 20 ans et des médias français pendant 50 ans, Etienne Mougeotte est mort le 7 octobre. Hier, en l’église Saint-François-Xavier, c’est le tout Paris des médias qui s’est pressé autour de son cercueil. François Tauriac lui rend un dernier hommage.
On en a connu des chefs. Des grands. Des petits aussi, des minuscules. Affublés de couronnes, de titres ronflants ou de chapeaux à plumes. On en a fréquenté dans les médias, des directeurs et des PDG. Des actionnaires, des manitous et même des protégés. On a fini par grandir au milieu de cette cohorte de hiérarques aux talents aussi variables que la vitesse de rotation des pales d’éoliennes en calme plat. Bien peu se sont révélés être de vrais patrons. En France, il est coutume d’encenser tout ce qui claque. Les drapeaux au vent, les premières à Cannes, ou la mort des énarques. De canoniser tous les vieux qui décident de plier les gaules pour ne plus assister au déclin du monde qu’ils ont tant aimé. Ou qu’ils ont parfois fabriqué. Etienne Mougeotte mérite bien plus qu’une accroche de une. Qu’un pouce levé sur Insta. Ou un like sur Facebook. Le charisme ne se mesure pas en followers. Le talent, c’est le contraire des balances d’épicier. Il ne sera jamais contrôlé par le service des poids et mesure. Pour paraphraser Audiard, Etienne c’était une épée, un cador. Mais c’était surtout un visionnaire. L’instinct c’est quelque chose d’unique. Le genre de radar qu’on vous greffe a la naissance, chevillé au corps, et qu’on ne trouve jamais sur les bancs de l’école. Le feeling, ça ne s’attrape pas non plus en serrage de pogne. Partout où il est passé, d’Europe 1 à TF1, jusqu’au Figaro et Radio Classique, Mougeotte a toujours imposé sa vista. Ses choix, ses trouvailles ou ses analyses. Pas parce qu’il était plus intelligent que les autres. Mais parce qu’il savait scruter l’époque, comme un stéthoscope espionne les battements des cœurs. Parce que c’était un sonar à lui tout seul. Une vigie. Un marabout de l’augure.
Un patron qui avait du flair
Et il a su ainsi orienter les médias qu’il dirigeait en créant parfois les modes. Ou en précédant les tendances. Chez les chasseurs, on appelle ça du flair. Chez les philosophes, de la sagacité. Un patron c’est d’abord un leader. Un grand mec. Un géant, immense et incontournable. Quelle que soit la taille de sa vieille carcasse. Alors, quand Etienne vous faisait parfois la grâce de croire en vous, on était tellement fier de cet insigne honneur qu’on mettait tout en œuvre pour ne jamais le décevoir. On ne dit pas non à un leader sur son cheval, qui pointe du doigt le front le jour de la bataille. Tous ses maréchaux ou ses grognards vous le diront, ils se sont tous fait crever la peau pour Etienne Mougeotte, un jour ou l’autre, en allant porter fièrement son drapeau sous la mitraille. Même si certains savaient pertinemment qu’ils risquaient d’être abandonnés après l’attaque.
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Intimer la confiance, c’est transmettre un sentiment de quasi-certitude si fort à ses équipes, qu’elles se sentiront presque invincibles. Ou en tout cas fortes et protégées.
Tous ceux qui l’ont côtoyé vous le diront. Etienne Mougeotte était comme ces aciers cuirassés à jamais contre la rouille, un galvaniseur. Bien sûr il pouvait se tromper. Mais sa clairvoyance et ses succès vous rendaient fort. Vous poussant à vous dépasser. Quitte à tutoyer stupidement la bravoure. En ces périodes de paix, on meurt assez rarement pour une cause. Mais il y a pourtant une chose qui manque infiniment à notre société lisse et normée, la fureur de se transcender. Si Mougeotte a tant compté dans les médias pendant 50 ans, c’est parce qu’il a su transmettre sa soif, en donnant envie à des centaines de journalistes de le suivre. En se surpassant. On en a connu des chefs. Ça oui. Mais des Mandarins comme lui, on n’en a connu qu’un.
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