Amoureux des subtilités du français, Etienne Kern raconte la vie moderne à travers la dialectique entre le tutoiement et le vousoiement.
Les délicieuses complexités de la langue française demeurent un charme incompris des étrangers et, de plus en plus, des Français eux-mêmes. Ainsi en est-il de l’usage du tu et du vous, deux pronoms synonymes de subtilités historiques, sociales et culturelles, avec lesquelles chacun est encore prié de s’accommoder, à défaut de les maîtriser.
Étienne Kern cite ainsi une étude montrant que, dans le monde de l’entreprise, 70% des hommes tutoient leur chef, mais seulement 49 % des femmes
Dans un livre savoureux, Le tu et le vous : l’art français de compliquer les choses (Flammarion), Étienne Kern décline ces situations aux enjeux modestes, mais où la peur de mal faire est bien réelle : première rencontre avec son supérieur hiérarchique, avec ses futurs beaux-parents, avec un ancien camarade de classe devenu personnalité publique… Et puis ces règles induites qui veulent que deux hommes politiques, même de bords opposés, se tutoient à la buvette, mais se vousoient dans l’hémicycle. « Proximité d’un côté, éloignement de l’autre : les principes ont l’air clair », affirme l’auteur, tout en reconnaissant qu’il y a peut-être plus d’éloignement dans un « Casse-toi pov’con » que dans un « Comment allez-vous ? »
Ce livre ne recense pas les usages et ne cherche pas à les conceptualiser. Étienne Kern pose son regard de professeur de français qui « essaie d’être aussi sensible que possible aux nuances de la langue et à ce qui se dit sous les mots ». Il cite ainsi une étude montrant que, dans le monde de l’entreprise, 70 % des hommes tutoient leur chef, mais seulement 49 % des femmes. « Ce déséquilibre pronominal atteste à sa manière, écrit-il, comme les écarts salariaux, les inégalités dont les femmes sont victimes : il en est l’enregistrement, la preuve par la langue. » Il reprend aussi la formule de Michelle Perrot : la conception des rapports familiaux est « révolutionnée par la Révolution ». On aspire à davantage de fraternité et d’égalité entre générations… et voilà comment les petits-enfants sont autorisés à tutoyer leurs grands-parents.
Le vousoiement marque la distance
La vague digitale qui a déferlé sur nos sociétés est évidemment évoquée, et avec elle son langage particulier, reflet d’un « discours libertaire cyber-utopiste de style californien, hérité de la contre-culture des années 1960 », révélateur des différences générationnelles aussi. En juillet 2011, Laurent Joffrin est malgré lui à l’origine d’un embrasement de la twittosphère, après avoir répondu à un journaliste, par tweets interposés : « Qui vous autorise à me tutoyer ? »
Si le vousoiement marque la distance que l’on doit à un inconnu, une personne âgée ou détentrice de l’autorité, Étienne Kern se demande pourquoi, alors, est-il permis de tutoyer Dieu. Un prêtre lui répond : « Ce qui compte, c’est que Dieu entende la majuscule. Il ne faut jamais dire tu, mais Tu. Il ne faut jamais dire vous, mais Vous. Après, Tu ou Vous, c’est pareil. L’important, c’est de comprendre que Dieu n’est pas un “il” ou un “cela” : c’est quelqu’un à qui on peut parler. » Preuve que les voies du Seigneur ne sont pas les seules impénétrables, cette confidence de Bernadette Chirac : « Quand Jacques veut me mettre de mauvaise humeur, il me tutoie. »
Le tu et le vous: L'art français de compliquer les choses
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