Un ami cher, et qui me supporte depuis une bonne cinquantaine d’années, a la curieuse manie de faire collection de sites improbables et désolés. Sud algérien ou tunisien, Mauritanie, Egypte, Namibie, depuis une quinzaine d’années il ne s’est pas privé de déserts. Rétrospectivement, nos balades sur le GR10 ou le GR20, pour sportives qu’elles fussent, doivent lui paraître bien conventionnelles.
Il part le plus souvent avec un groupe de copains, souvent toubibs comme lui — et par les bons soins d’une agence sise dans les Pyrénées, la Balaguere — qu’il recommande à Bonnet d’âne et à ses lecteurs. Un minimum de confort (mais du confort quand même : il m’a un jour fait saliver au récit d’un pommard ou d’un Château-Laffitte, je ne sais plus, opportunément sorti des sacoches d’un dromadaire pour accompagner l’agneau au charbon de bois quelque part au sud de Tataouine), de longues marches toujours stoppées à la limite inférieure du harassement, des paysages brûlés et des autochtones à l’unisson. Et des images plein les yeux — et, accessoirement, plein le Nikon.
En février dernier, via Francfort et Addis-Abeba, sur ces Ethiopan Airlines dont les Boeing s’écrasent de temps en temps sans qu’il en aille de leur faute, il est parvenu au nord-Ethiopie, Lalibela d’abord, ce sanctuaire millénaire connu pour ses églises enfouies dans la roche.
Puis plus au nord encore, vers le Tigré (qui faillit faire sécession à la fin des années 1970, quand le régime de Mengistu massacrait allègrement des milliers d’écoliers) et ses hautes solitudes. Même si dans un pays de plus de 100 millions d’habitants, on n’est jamais trop seul : les routes sont pleines, m’a-t-il dit, de gens qui marchent, sur des dizaines de kilomètres, pur vaquer à leurs affaires — ou pour aller en classe.
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Et c’est là que je voulais en venir. Quelque part au milieu de nulle part, non loin de la frontière de l’Erythrée, le petit groupe est tombé sur un village où avait été construite une école, et où officiait une toute jeune institutrice : l’Ethiopie, qui n’est pas un pays aussi civilisé que le nôtre, ignore la notion de « professeur des écoles » et la bénédiction des ESPE ; les enseignants, « engineers of mind », disent-ils
se contentent de transmettre à leurs élèves (les ignorants ! Ils ne disent pas « apprenants » !) des savoirs aussi savants que possible, qu’ils font répéter inlassablement. Parce que, comme il est écrit sur les murs de la classe,
C’est cette façon de les transmettre qui m’a intéressé. Ils ne sont pas civilisés comme nous, ils n’inondent pas les « apprenants » de tablettes et d’écrans portables, ils osent même le par-cœur et le psittacisme, bête noire des pédagos bien de chez nous.
Et ils dessinent les leçons sur les murs. Par exemple le système sanguin
Ou les trompes de Fallope
un ventre en coupe de future parturiente
le mécanisme de la vision
ou les valves cardiaques :
Ou, tout aussi bien, la géographie. Autant apprendre que l’on est une nation entourée d’autres nations — qui ne sont pas nécessairement amies, ni laïques comme l’est l’Ethiopie.
Et qui pourraient bien venir un jour expliquer aux chrétiens du Tigré de quel bois se chauffe la charia.
Sans compter que ces primitifs, qui n’ont pu bénéficier des conseils du couple Foucambert / Charmeux et de la sublimité de la méthode idéo-visuelle, rebaptisée « semi-gobale » dans les ESPE où on l’enseigne, apprennent à lire selon une technique alpha-syllabique, de A comme Abstinence à C comme Condom — si !
Les murs de la classe — terre battue, pupitres en bois creusé par les années et les coudes qui s’y sont usés —sont ainsi décorés des éléments-clés du programme. Et éventuellement d’un rappel imagé de la cellule de base
(Bien sûr, je déplore tout comme vous, chers lecteurs, que ces ignorants en soient restés à la famille traditionnelle, sans s’ouvrir davantage aux beautés des couples de même sexe gérant un enfant né sous PMA / GPA).
Evidemment, c’est très loin, ce sont des sauvages, ils ignorent les bienfaits de la civilisation avancée, l’enseignement de l’ignorance, la fabrique du crétin, les IUFM et les ESPE, les séminaires « racisés » de…
>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<
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