Jeudi 27 janvier, à deux pas de l’Élysée, la candidate du Rassemblement national était en opération séduction auprès des entrepreneurs. Sophie de Menthon, qui organisait ce déjeuner-débat au Cercle de l’Union Interalliée, raconte…
Le mouvement ETHIC que je préside est le seul à avoir invité individuellement tous les candidats à l’élection présidentielle, sur le thème exclusif de la place de l’entreprise et surtout de l’environnement que le candidat souhaite lui réserver. Un regard d’arbitre, non pas politique, mais économique.
Ainsi, Marine Le Pen succédait-elle la semaine dernière à Éric Zemmour dans l’antre patronal, en attendant Valérie Pécresse, Yannick Jadot, et même notre sœur Anne qui ne voit rien venir (que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie…). Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon ont refusé.
Le mouvement Ethic est apolitique, d’accord, mais cela n’empêche ni de reconnaitre une prestation talentueuse et convaincante, ni la liberté d’accepter ou de refuser des propositions quel que soit le parti dont elles émanent.
J’ai changé !
Aujourd’hui, il est absolument nécessaire pour les patrons de se faire entendre des candidats et d’exercer une influence sur leur programme. Il faut comprendre les propositions, les intentions et l’état d’esprit de chacun par rapport à la place de l’État ainsi que sur les affres administratives, les ordres assénés par les uns et les autres que ce soit sur l’augmentation des salaires ou les normes infligées…
C’était donc la troisième fois que nous recevions Marine Le Pen. La première fois, nous avions eu des menaces de démission de certains membres, jugeant qu’elle était infréquentable. Ce n’est plus le cas. Allions-nous assister à un simple épisode de la saga familiale ? Ce ne fut pas le cas. Surprise : l’émancipation de la femme politique par rapport à toute une histoire semble bien réelle, nous avons parlé avec une candidate qui a effectué une sorte de mue et qui donne libre cours à une nouvelle approche. Finie l’idéologie. Terminées les sorties intempestives sur l’Europe. Un large sourire a remplacé un certain ricanement un peu agressif : c’est la maturité. Déculpabilisée dirait-on, et l’agressivité semble avoir changé de camp. La véhémence un peu haineuse se retrouve-t-elle désormais dans les propos du candidat Éric Zemmour ? C’est lui qui maintenant symbolise l’intransigeance, alors que Marine Le Pen précise à notre étonnement général, qu’« il ne faut pas bousculer les Français, car la France est un pays fragile ».
Pour Le Pen, l’excès français de normes offre aux grandes firmes de solides barrières à l’entrée
Marine Le Pen aime l’entreprise ! C’était certes le lieu où le dire, elle l’a clamé, elle y croit, elle estime que c’est le socle de l’économie du pays, elle associe les entrepreneurs au grand projet collectif qui rassemblerait, dans sa vision, des Français aujourd’hui fracturés. Elle ne cache pas sa préférence pour les PME – comme tout le monde ! Elle nous a peut-être donné une piste intéressante : selon elle, les normes excessives seraient le fruit d’une alliance objective entre de très grands groupes nationaux et internationaux bâtissant des règles protectionnistes à leur profit au détriment des PME.
Quant aux réformes économiques liées à l’entreprise, nous apprenons son intention de supprimer la contribution sociale de solidarité (C3S) dans les zones désertées où il faut attirer l’emploi, et également la suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE, l’assurance santé pour expatriés) sous le motif que les étrangers qui vivent sur notre territoire doivent pouvoir vivre de leur travail et ne bénéficier d’aucun régime spécial. Deux annonces que Marine Le Pen réserve, dit-elle aux entrepreneurs d’ETHIC, des quasi « scoops » dévoilés ce jour-là…
Sur l’émigration aucune incantation, aucune violence, elle ne veut pas d’illégaux sur le territoire, mais elle veut bien que les chefs d’entreprises emploient des émigrés. À la condition que s’ils sont sans papiers, ils repartent d’abord dans leur pays et ne reviennent que si le chef d’entreprise français en formule la demande avec une promesse d’emploi à la clé… La mise en œuvre parait néanmoins surréaliste dans un pays engoncé dans des formulaires qui ne sont jamais les bons, et où les chefs d’entreprise se heurtent à une paperasserie sans fin qui recule toute décision jusqu’à l’abandon. Marine Le Pen a refusé la « green card » à la française proposée par ETHIC.
La francophonie, outil économique majeur
Il y a aussi le moins bon, sur la retraite à 60 ans, qui pour les patrons doit être a minima à 65 ans. Elle essaiera de s’en tirer avec une approche par la pénibilité.
L’éducation et la formation sont une priorité, on est d’accord. La place de l’État ? Sans en dire beaucoup, elle semble considérer qu’elle doit majoritairement se cantonner aux missions régaliennes, comme du reste toute l’assistance.
Quand je m’étonne auprès d’elle en aparté de sa nouvelle attitude et de ce changement idéologique tout en nuances, elle me répond goguenarde : « quand on a vécu ce que j’ai vécu et qu’on prend une claque, on bosse et on se remet en question, et puis j’ai vieilli… contrairement à vous » ajoute-t-elle souriante !
L’académicien Jean-Marie Rouart propose alors une digression en posant une question sur les atteintes à la langue française. Comment Marine Le Pen, souverainiste, peut-elle supporter notre déclin linguistique ? Comment peut-on tolérer choose France, au lieu de parler du choix de la France ? Ou ce slogan de la Banque postale : the little french bank (qui peut bien avoir accepté la proposition de l’agence publicitaire) ? Et le pass (redevenu passe) ? Selon lui, c’est renoncer à la langue française pour céder à la bouillie du « franglais qui nous enlève notre identité ». L’académicien poursuit en témoignant de son incompréhension et de celle de l’Académie française quant à la récente décision concernant la traduction en anglais de la carte d’identité nationale – exigence européenne soit, mais pourquoi va-t-on une fois encore, plus loin que ce qui était demandé pour cette traduction ? Selon lui, on traduit tout, et pas seulement les éléments conseillés. Quant à l’écrire inclusive, c’est une insulte grammaticale, dénoncée vigoureusement par l’Acédmie française ainsi que le ministre de l’Éducation nationale, mais rien n’y fait, elle progresse même au sein de certains services publics qui croient ainsi s’acheter une bonne conscience féministe. “Que va-t-il-rester de notre langue ?” conclut-il sous les applaudissements. Marine Le Pen acquiesce. Enchantée, elle saisit la balle au bond, témoignant de sa propre indignation et enchaîne finalement sur la nécessaire défense de la francophonie. « Il faut conquérir la mer, comme on a conquis l’espace : la francophonie constitue une véritable géopolitique. C’est un outil économique majeur. »
Alors que la rencontre prend fin, nos adhérents se demandent toujours : mais sur qui compter pour réformer ? À chaque fois, c’est un peu la même frustration : comment les chefs d’entreprise peuvent-ils faire, quand les forces aveugles de l’obscurantisme administratif ont subtilisé le pouvoir, sans que l’on puisse savoir précisément où il se niche dans tous les échelons de l’obstruction passive…
Comme le dit Marine Le Pen, « on ne peut pas compter sur ceux qui ont organisé cette complexité pour la supprimer… » À suivre !
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