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Eté meurtrier, gouvernement complice


Eté meurtrier, gouvernement complice
Attention, l'été tue !
Téléphérique
Attention, l'été tue !

Les statistiques sont implacables et le bilan accablant : l’été tue beaucoup plus de gens que les trois autres saisons réunies.

Ainsi, dans les parages où je demeure, on constate une augmentation fulgurante du nombre des victimes d’accidents de montagne ou de randonnée dès l’arrivée des beaux jours. Les crevasses des glaciers exigent chaque année plus de chair fraîche. On ne compte plus les sexagénaires qu’une retraite accordée alors qu’ils sont encore en pleine forme incite à gravir des sentiers escarpés, où la Faucheuse les guette à chaque passage un peu délicat et n’hésite pas à leur envoyer l’orage et la foudre lorsqu’ils se révèlent par trop résistants. On devrait bientôt parvenir à juguler ce dernier fléau en n’accordant plus le billet de sortie de la vie active qu’à des quasi-grabataires ayant dû cotiser trois quarts de siècle pour bénéficier d’une pension à taux plein.

[access capability= »lire_inedits »]La mortalité provoquée par les noyades en mer, en rivière et même en piscine connaît également un accroissement exponentiel entre juin et septembre. Ceux qui ont envers le sport une attitude churchillienne d’abstinence totale ne doivent pas se considérer pour autant préservés des calamités estivales : la bronzette paresseuse, c’est de la mort à crédit : tôt ou tard, le crabe excité par les ultraviolets transformera un charmant grain de beauté en mélanome malin.

Face à ces calamités, il faut bien reconnaître que les pouvoirs publics font montre d’une coupable passivité : quelques vagues campagnes de prévention, des drapeaux sur les plages dont tout le monde se fiche, le refus obstiné d’instaurer un permis de randonner à l’instar du permis bateau sont la preuve que le pouvoir est autant à la botte du lobby du tourisme qu’à celle du lobby nucléaire.

L’argent, cet argent fou qui engraisse les hôteliers, plagistes, marchands de glaces ambulants et gardiens de refuges n’a que faire des vies brisées et des familles endeuillées à cause de cette folie estivale qui s’empare chaque année de notre pays.

Le principe de précaution, dont on nous rebat les oreilles tout au long de l’année, semble s’être mis, lui aussi en congé annuel.

On n’entend pas, non plus, à ce propos, les cris angoissés des chevaliers de l’apocalypse habituels, les Hulot, Cohn-Bendit ou Bové. Quand il fait soleil, c’est la faute au réchauffement climatique et, quand le temps est pourri, c’est qu’on ne perd rien pour attendre : tel est leur message tristement répétitif entre juin et septembre, alors que des catastrophes beaucoup plus dramatiques se produisent sous leurs yeux chaque jour d’été qui passe.

Le principe de précaution ne se divise pas : il doit être appliqué 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an (366 les années bissextiles).

Les solutions sont pourtant là, à portée de main, et de surcroît peu gourmandes de deniers publics. Les activités de loisirs, si meurtrières en été, se révèlent en effet beaucoup plus sûres en hiver. Les statistiques sont formelles : on compte infiniment moins de noyés au mois de décembre qu’au mois d’août, et les dévissages dans les aiguilles de Chamonix sont beaucoup moins nombreux quand le thermomètre marque -30 au sommet du téléphérique de l’Aiguille du Midi.

Un gouvernement qui aurait le souci de la préservation de la vie et de la santé des Français n’hésiterait pas à prendre les mesures drastiques qui s’imposent. Par exemple, n’autoriser les baignades que les mois en « r » : des millions d’huîtres ne peuvent pas avoir tort. Verbaliser sans pitié toutes celles et tous ceux qui lézardent en bikini sur la plage les jours où le cagnard darde ses rayons.

Créer un corps de police des sentiers et installer des caméras de vidéo-surveillance sur les GR pour dissuader les imprudents de se prendre une suée avant le 15 novembre.

Tout cela, bien sûr, heurtera les intérêts d’une infime minorité de vautours de l’industrie touristique, qui fera tout pour préserver ses privilèges éhontés. L’insurrection qui vient sera celle d’un peuple auquel une avant-garde visionnaire aura dessillé les yeux : la tyrannie sanglante de l’été sera abolie par ceux-là mêmes qui en sont aujourd’hui les esclaves enchaînés. Mieux vaut vivre gelé que mourir bronzé.[/access]

Août 2009 · N°14

Article extrait du Magazine Causeur



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