La sexualité est devenue étrange. On se vante un peu partout de l’avoir décomplexée, libérée, révolutionnée. Sur le site des Inrocks, on trouve des articles titrés « Ode à la branlette » ou d’inénarrables discussions sur ce qui détermine la beauté d’un vagin. Mais cette liberté, acquise de haute lutte, contraste avec certains élans puritains qui prétendent régir notre vie quotidienne. Ainsi, aux Etats-Unis, pays libre s’il en est, a été mis en place – au nom de la lutte contre le viol – un nouvel arsenal juridique qui pourrait bien mettre fin à tout désir non-contrôlé.
Mme Judith Shulevitz, journaliste au New-York Times, nous décrit l’étrange tour que prend la justice de son pays. Un quart des Etats américains ont déclaré que le sexe n’était pas légal sans consentement. Autrement dit, vous devez demander la permission à votre partenaire avant de commencer à le toucher. S’assurer du consentement de son partenaire avant de le déshabiller peut sembler logique. Les rapports entre un homme et une femme sont ambigus, teintés de séduction et une clarification peut être la bienvenue. Le problème, c’est que les bonnes intentions des législateurs finissent trop souvent par se transformer en bouffées délirantes. Et la protection par virer à la répression.
L’American Law Institute, un organe composé de quatre mille juristes dont les discussions donnent parfois lieu à l’adoption de lois par le Congrès, s’est récemment réuni pour discuter de la législation sur le viol. Dans leurs documents de travail, on peut lire que les deux éléments constitutifs d’une agression sont l’absence de consentement et l’entrée en contact avec une partie du corps de l’autre, qu’elle soit vêtue ou non. Ça peut paraître flou mais, pour illustrer, on nous fournit une petite étude de cas : « Une personne A et une personne B, à l’occasion d’un rendez-vous galant, marchent dans la rue. A, se sentant d’humeur romantique et excité sexuellement, tend timidement sa main pour serrer celle de B. Il ressent un frisson au moment où leurs mains se touchent. B ne fait rien mais, six mois plus tard, porte plainte. A est coupable de « contact sexuel criminel ». »
Plus généralement, tout rapport qui n’aura pas été clairement consenti pourra être considéré comme un viol. Cette idée n’est d’ailleurs pas nouvelle. Avec le développement des études de genre, une nouvelle conception des rapports hommes-femmes est apparue. Selon celle-ci, le viol n’est pas une situation criminelle clairement différente du rapport sexuel ni un rapport amoureux qui aurait dérapé. C’est le rapport amoureux qui est un viol plus ou moins bien maquillé. Catharine Mackinnon, professeure américaine de droit à l’université du Michigan, déclare dans un de ses textes : « Le viol et le rapport sexuel ne peuvent pas être arbitrairement distingués sur la base du contenu de l’acte physique, ou du degré de contrainte en jeu, mais seulement sur le plan légal, par une norme qui est fonction de l’interprétation masculine de la relation ». Madame Mackinnon nous explique que tout rapport sexuel est entaché d’un rapport de domination.
Dans ces conditions, seule la contractualisation du rapport peut permettre de dépasser ce rapport de domination. C’est ainsi qu’apparaissent aux Etats-Unis des contrats d’un nouveau type. En Californie, une loi adoptée l’année dernière crée des contrats de consentement. Chacun des signataires y écrit qu’il a sciemment consenti à avoir un rapport sexuel. Pour plus de commodité, on peut signer le contrat avant ou après l’acte. La loi dispose entre autres que « l’existence de relations amoureuses entre les personnes concernées, où le fait qu’elles aient déjà eu des rapports sexuels ne peut pas être en soi un indicateur de consentement ». Pourquoi pas. Mais pourquoi imposer la transparence en toutes circonstances ?
Au fond, nous dit-on, l’erreur de notre ami A c’est qu’il aurait dû faire signer un papier à son amie B avant de lui toucher la main. Et tous les hommes devraient se comporter de cette manière sous peine d’être accusé de viol. Avec ce type de comportement, on aura peut-être la chance de voir disparaître la violence sexuelle. Mais il se pourrait aussi que disparaissent bêtement, au passage, les relations hommes-femmes non entièrement quadrillées par la loi. L’ambigüité, tant dénoncée par les défenseurs de la nouvelle sexualité, n’aurait-elle plus rien à faire dans les relations hommes-femmes ? Dans ce cas, on perdrait en plaisir ce qu’on gagne en sécurité. Si aujourd’hui la liberté est reine et le plaisir sexuel un droit, le frottement, l’électricité sont quant à eux proscrits. Chic, on n’est plus en danger. Mais qu’est-ce qu’on s’ennuie…
*Photo : Flickr.com
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