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États-Unis: qui menace vraiment la démocratie?

Les Démocrates pensent qu'ils doivent sauver la démocratie, les Républicains qu'ils sont victimes du "Deep State"


États-Unis: qui menace vraiment la démocratie?
Un jeune supporter de Trump regarde le débat télévisé à West Greenwich, Rhode Island, 10 septembre 2024 © David Goldman/AP/SIPA

Dans la campagne présidentielle américaine, les radicaux des deux camps sont persuadés qu’une victoire de l’adversaire signera la fin de la démocratie. Avec les outrances et les fake news de Trump, ou le fameux « projet 2025 », les progressistes se persuadent qu’il y a effectivement un grand péril. Mais de leur côté, les Républicains ne manquent pas non plus d’arguments… L’analyse d’Alain Destexhe


La récente lettre de Mark Zuckerberg au Congrès, où il admet avoir cédé à la pression de l’administration Biden en 2021 pour censurer des contenus sur la pandémie de Covid-19, illustre les enjeux de la liberté d’expression aux États-Unis et dans le monde., Dans un contexte où le rôle des réseaux sociaux est vivement critiqué, ce coup de théâtre ébranle l’image de défenseurs de la démocratie et de la liberté d’expression que le tandem Biden et Harris a tenté de forger.

Rideau de fumée

Retour en 2020. À quelques semaines de l’élection, alors que Donald Trump est toujours président et que le FBI est en possession de l’ordinateur portable de Hunter Biden, prouvant que ce dernier aurait usé de son influence politique pour obtenir des avantages financiers, notamment en Ukraine et en Chine, pendant la vice-présidence de son père, l’agence ment délibérément à Facebook en prétendant que l’existence de cet ordinateur et des courriels qu’il contient, aujourd’hui largement confirmée, est un produit de la désinformation russe.

Cette thèse sera reprise dans une déclaration de 51 (!) anciens responsables des services de sécurité, ce qui poussera les principales plateformes de réseaux sociaux, dont Facebook et Twitter, à censurer toute information sur le sujet, étouffant ainsi la polémique naissante. En conséquence, la plupart des Américains n’entendront jamais parler de cette affaire ou l’assimileront à un « coup des Russes », dans le contexte d’une élection serrée qui s’est finalement jouée à seulement 44 000 voix réparties dans trois États.

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Comment expliquer autrement que par l’existence d’un « Deep State » que le FBI et autant de hauts fonctionnaires se soient laissés instrumentalisés par la campagne démocrate à un moment aussi crucial ? Pour beaucoup de citoyens américains, cette question est au cœur du débat sur l’intégrité du processus démocratique américain.

Les démocrates, le camp du bien ?

La thèse démocrate affirme que Joe Biden a sauvé la démocratie américaine menacée par Donald Trump, et confie désormais à Kamala Harris la mission de la préserver – un point de vue largement relayé par les médias mainstream américains et européens. Cependant, pour nombre de Républicains, ce sont plutôt les Démocrates, soutenus par la majorité des médias traditionnels et les grandes plateformes technologiques (Google, Facebook, Instagram ou YouTube), qui sapent les fondements mêmes de la démocratie aux États-Unis en manipulant les algorithmes et en censurant des voix conservatrices.

À la fin de l’année 2022, les Twitter Files, issus, entre autres, du travail d’investigation du journaliste indépendant Matt Taibbi, avaient déjà révélé la censure pratiquée par la direction de Twitter ainsi que les interférences du FBI et du ministère de la Sécurité intérieure (DHS). Cette divergence de perspectives alimente une querelle intense sur la neutralité des institutions et des médias, ainsi que sur l’existence possible d’un « État profond » qui influencerait discrètement la politique américaine, faussant le débat démocratique.

L’Etat profond, une réalité ?

Des dizaines de puissantes agences gouvernementales opèrent en effet sans véritable contrôle, constituant le cœur de ce Deep State où se nicherait le véritable pouvoir échappant ainsi aux élus et au peuple. Ces agences sont souvent investies d’une triple autorité — législative, exécutive et judiciaire —  dans leur domaine de compétences, autorité qu’elles ne cessent d’ailleurs d’étendre. Par exemple, le Centre pour le contrôle des maladies (CDC), une agence fédérale de santé, s’est octroyé le pouvoir d’interdire l’éviction des locataires en défaut de paiement pendant la pandémie de Covid-19, une mesure sans aucun lien avec son mandat initial.

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Du point de vue des Républicains, le pouvoir démocrate sape également l’indépendance du troisième pouvoir et mènerait désormais une guerre juridique contre ses opposants. Selon eux, les poursuites intentées contre Donald Trump n’auraient pas eu lieu s’il n’avait été à nouveau candidat à la présidence, suggérant que la justice serait devenue une arme politique. De fait, la gestion des procès contre l’ancien président soulève de vives inquiétudes quant à l’intégrité et à l’impartialité du système judiciaire.

De même, la répression de l’attaque contre le Capitole du 6 janvier 2021, avec des poursuites qui se prolongent quatre ans plus tard et qui ont visé plus de 1 400 personnes, dont certaines n’avaient fait que se promener dans les couloirs du Capitole, contraste fortement avec la faible répression des émeutes violentes qui ont suivi la mort de George Floyd. Cette disparité donne l’impression d’une justice à deux vitesses.

Un nouveau paysage électoral pro-Démocrates

Les craintes des Républicains sont particulièrement vives dans le domaine électoral. Ils estiment que la décision d’ouvrir la frontière sud des États-Unis, permettant l’entrée de plus de 10 millions de migrants en quatre ans, fait partie d’une stratégie visant à modifier en profondeur la carte électorale américaine pour garantir l’hégémonie du parti démocrate dans le futur. En effet, le nombre de sièges par État à la Chambre des représentants est déterminé par sa population totale. Les immigrés s’installent principalement dans les grands États dominés par le parti démocrate et votent majoritairement pour ce dernier. Elon Musk, soutien de Trump, a même suggéré qu’une vingtaine de sièges pourraient ainsi basculer en faveur des démocrates, assurant à ce parti une majorité au Congrès pour des décennies…

De plus, les secrétaires d’État démocrates ont profité de la crise du Covid pour modifier les lois électorales dans plusieurs États sans passer par les parlements locaux. Ils ont élargi le vote par correspondance, réduit les contrôles d’identité des électeurs et largement utilisé des urnes mobiles (drop boxes), ce qui pourrait avoir eu un impact sur les résultats des élections. Ces mesures ont été maintenues après la fin de l’épidémie. Donald Trump et les Républicains souhaitent quant à eux, à l’image de ce qui se fait en France, imposer une carte d’identité obligatoire pour voter, restreindre le vote par correspondance, privilégier les bulletins papier (plus fiables selon eux et faciles à comptabiliser) et limiter la période de vote, qui commence dès début septembre dans certains États. Bien que ces mesures soient conformes aux recommandations de l’OSCE, elles rencontrent naturellement une forte opposition des Démocrates…

On le voit, le débat sur l’avenir de la démocratie américaine mérite une discussion plus approfondie que la caricature manichéenne entre le camp du bien (Harris) et du mal (Trump).



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Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins sans frontières, ex-président de l’International Crisis Group

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