« Le 11-Septembre, c’est une arnaque ! » À la sortie de ce collège de Noisy-le- Grand, dans le 93, les avis des élèves sont tranchés. À Nice, même son de cloche : « Le World Trade Center, c’est la CIA. » D’où viennent ces atterrantes certitudes ? D’internet évidemment, mais, plus surprenant – et plus inquiétant –, elles se nourrissent aussi des manuels scolaires.[access capability= »lire_inedits »]
Les thèmes, les légendes et les exercices proposés laissent souvent entrevoir une vision politique des événements radicalement critique vis-à-vis des États-Unis, décrits comme une hyperpuissance manipulatrice, menteuse et belliqueuse, prête à tout pour s’emparer des puits de pétrole du Proche-Orient : sans aller tout à fait jusqu’à l’anti- américanisme primaire, les livres conçus pour instruire les élèves laissent une large place au doute, contribuant aux ravages des théories du complot. Les attentats et leurs conséquences faisant partie du programme surchargé de première – plus de cent cinquante ans d’Histoire ! – ne bénéficient pas du même traitement selon les éditeurs. Dans le manuel Magnard[1. Terminale S, Histoire-Géographie, programme 2012, éditions Magnard »], plutôt discret sur le sujet, « Le 11-Septembre et ses conséquences » est un sous-chapitre concis d’un vague dossier intitulé « Les États-Unis face à leurs défis contemporains, 1991-2011 », qui insiste sur le caractère symbolique de la cible (les tours jumelles) et la personnalité belliqueuse de George Bush. Message subliminal : les États-Unis l’ont bien cherché ! En revanche, on trouve peu d’éléments sur le régime taliban et sur celui de Saddam Hussein – et pas un mot sur le gazage des Kurdes par ce dernier en 1988 (trois ans avant le début de la période couverte par ce chapitre). Belin consacre, pour sa part, deux doubles pages au sujet[2.« Programme 2012 Histoire Géographie TERM S, éditions Belin », pages 80, 81 82, 83 : « Le 11 septembre 2001 et ses conséquences » ; « La puissance remise en question (1989-2008) ».]. Ici, le récit insiste sur le déclin des États-Unis, tout en critiquant sévèrement l’hégémonie américaine, le 11-Septembre étant présenté comme le point culminant de la contestation de cette hégémonie. Les titres des paragraphes évoquent des tracts altermondialistes : « Répondre au 11-Septembre par la guerre » ; « Les ambitions américaines au Moyen- Orient » ; « Les USA tombent dans le piège » ou « Obama vers une Amérique post-impériale ? ». Les légendes des photos sont également mobilisées pour soutenir ces interprétations :
« Comme Pearl Harbor, qui marque le début de la Seconde Guerre mondiale, les attentats du 11 septembre 2001 doivent être considérés comme le début de la Quatrième Guerre mondiale (la Troisième étant la Guerre froide), peut-on lire sous la reproduction de la « une » de The Economist sur les attentats. « C’est un petit peu provocateur, concède Olivier Caruso, professeur au lycée Marc-Chagall de Reims, qui a participé à la rédaction de ce manuel. Il s’agit de susciter l’intérêt des élèves plutôt que de montrer les méchants islamistes et les gentils Américains. » C’est ce qu’il appelle l’« apprentissage de la complexité ». « Les élèves sont à même de comprendre que l’on retrouve la même dramaturgie que le 7 décembre 1941 [date de l’attaque de Pearl Harbor] », ajoute- t-il. Comprenez : le 11-Septembre fut un prétexte pour entrer en guerre au Proche-Orient.
Le 11-Septembre, un prétexte ? Le manuel Nathan[3. « Histoire 1re L,ES,S, programme 2011 éditions Nathan, collection Guillaume Le Quintrec »] joue, lui, à fond sur le « choc des civilisations ». La définition du salafisme donnée dans l’introduction du chapitre sur le 11-Septembre donne le ton : « L’islamisme ou le salafisme est une réaction à la colonisation européenne pour “réveiller la civilisation musulmane”. » S’agit-il de cultiver l’esprit critique des élèves en les invitant à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui est dit par les médias ou les institutions ? Peut-être, mais la pente qui conduit du scepticisme de bon aloi au relativisme obtus, voire au négationnisme délirant, est glissante, et certains n’hésitent pas à s’y engager. Michel Dupuis, professeur d’histoire dans le Nord, aime citer une phrase de l’historien américain Howard Zinn, devenu la vedette malgré lui des révisionnistes du 11-Septembre : « Les versions officielles des événements historiques devraient toujours être remises en question. » Le problème est que cette saine évidence conduit le professeur à asséner sa propre version en reprenant sans précaution l’idée que les attentats ont servi de prétexte à une série d’interventions au Moyen-Orient. Certes, ce point de vue n’est pas en soi illégitime. Encore faut-il qu’il soit présenté comme l’une des interprétations possibles. Faute de quoi, on imagine aisément la conclusion que peuvent en tirer des élèves déjà perméables aux lectures conspirationnistes : si les attentats ont servi de prétexte, n’ont-ils pas été perpétrés par ceux qui y avaient intérêt ? Ce pas a presque été franchi, en 2013, par un professeur d’histoire au lycée professionnel Maxime- Belbou de Cagnes-sur-Mer, lors d’un cours sur la puissance américaine : « Le 11-Septembre, expliquait-il, est l’œuvre des lobbies de l’armement et de la finance », révélant une curieuse prédilection pour les « thèses » de Thierry Meyssan. D’autres vont plus loin encore, utilisant leur statut et l’influence qu’il leur donne sur de jeunes esprits pour distiller leurs théories délétères. Aujourd’hui étudiante, Caroline Sue n’a pas oublié les diatribes de son prof d’histoire de terminale, il y a deux ans, au lycée D’Estienne- d’Orves de Nice, dénonçant avec virulence la version prétendument « officielle » du « 11/9 ». Et cette propagande ne se limite pas aux cours d’histoire. Dans le même établissement, poursuit-elle, « dans un cours sur les chutes, un prof de chimie réalisait des expériences miniatures qui contredisaient les hypothèses communément admises sur l’effondrement des tours jumelles. » Qu’on ne croie pas, cependant, que l’hostilité à l’Amérique ne se manifeste que dans le traitement du 11-Septembre : l’anti- américanisme apparaît souvent comme une quasi-évidence, un point de vue implicite et naturel. Ainsi, dès le collège, les élèves peuvent lire, dans un manuel de troisième édité par Magnard, que « polluer, c’est bon pour la santé des États-Unis ». En 2007, au cours d’un colloque, des professeurs allemands avaient pointé du doigt l’anti-américanisme des manuels scolaires français. Il est vrai que la résistance à l’hégémonie américaine est l’une des composantes de notre histoire et de notre culture politiques. On peut s’en réjouir ou s’en désoler. Mais quand cette humeur nationale est mobilisée au service de la réécriture de l’Histoire par ceux qui sont chargés de la transmettre, il y a péril en la demeure. L’École devrait enseigner l’art du doute et de la nuance, pas encourager les élèves à avaler tous les bobards susceptibles de les conforter dans leur vision binaire du monde. Ce n’est pas seulement la vérité académique qui est en jeu : en inculquant à nos jeunes la détestation de l’Amérique, on encourage finalement celle de la France.[/access]
*Photo: Oded Balilty/AP/SIPA. AP21084907_000010
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