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États-Unis: une campagne entre cris et chuchotements

Les états-majors démocrate et républicain réorientent leur propagande à l'approche du scrutin


États-Unis: une campagne entre cris et chuchotements
Kamala Harris et son colistier Tim Walz en meeting à Philadelphie, 6 août 2024 © Cover Images/SIPA

À en croire médias et réseaux sociaux, les Américains sont au bord de la guerre civile. Des sujets de société tels que l’avortement et le port d’armes séparent les démocrates des républicains. Cependant, derrière les effets de manche et les concours d’invectives, leurs états-majors ont compris que les électeurs aspirent à un certain centrisme.


Si on se fie aux discours publics du personnel politique américain, la détestation entre le Parti républicain et le Parti démocrate est à son comble aux États-Unis.

Le Parti républicain, qui sert depuis plusieurs générations de maison commune aux conservateurs, s’est éloigné de sa tradition calme et pondérée, pour se transformer en cohorte de soutien au mouvement MAGA (« Make America Great Again »), conformément au slogan proposé par le génie du marketing Donald Trump. De sorte que la majorité des responsables républicains d’aujourd’hui se proclament anti-inclusifs, anti-clandestins, anti-avortement, anti-confinement, pro-armes à feu (« pro-gun »), parfois pro-Poutine et toujours pro-Israël.

Le Parti démocrate, quant à lui, patrie présumée des ouvriers, des minorités pauvres et des élites libérales, est obsédé par l’inclusion raciale et sexuelle, prône la régularisation des sans-papiers et veut bien sûr autoriser l’IVG à l’échelle fédérale. Les dirigeants démocrates sont généralement pro-Ukraine, parfois pro-Gaza et souvent excédés par Israël. Tous sont favorables à la réglementation des armes à feu.

Le temps est révolu où les deux appareils se contentaient d’éprouver l’un envers l’autre un sentiment de supériorité bonhomme, comme dans le cadre d’un championnat sportif. L’heure est aujourd’hui à la haine réciproque.

La promotion des politiques dites de « Diversity Equity Inclusion » en question dans les deux camps

Cependant, cette haine commence à paraître artificiellement exagérée. Derrière la surenchère des propos d’estrade et des posts sur les réseaux sociaux, les électorats sont en train de se ramollir discrètement. Certes, la « base » de Trump ne démobilise pas, menée par la quinzaine de députés presque plus trumpiens que Trump lui-même, j’ai nommé le « Freedom Caucus », dont les vingt membres n’ont pas suscité de nouveaux ralliements. Quant aux démocrates, ils étaient, il est vrai encore récemment, en proie au gauchisme le plus caricatural. Mais depuis quelques semaines, la modération politique de Kamala Harris s’est imposée dans les rangs du parti. Les députés wokes, qui forment une « squad » de neuf membres, dont Ilhan Omar, Rashida Tlaib et Alexandria Ocasio-Cortez, n’ont plus le vent en poupe. Il n’y aura d’ailleurs bientôt plus que sept « squadistes », puisque deux des moins connus ont perdu leur investiture, au profit de collègues plus modérés.

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Dès le lendemain de l’attentat contre Trump, quand Biden a appelé à la retenue, les états-majors ont pris conscience de l’aspiration des Américains à davantage de centrisme. On peut gager que la victoire du 5 novembre reviendra à celui des deux candidats qui l’aura le mieux compris, et saura le mieux réorienter sa propagande. Certes, de nombreux sujets continuent de diviser violemment les Américains. Parmi eux : le droit à l’avortement ; la promotion des politiques dites de « Diversity Equity Inclusion », « DEI », nouveau nom de la discrimination positive ; la nécessité pour les mâles blancs hétérosexuels de faire repentance à l’égard des Noirs, des femmes, des minorités sexuelles et des Amérindiens ; la transidentité (« pas d’hommes dans le sport féminin », a notamment déclaré Trump) ; la question palestinienne ; l’expulsion massive des clandestins ; le confinement, le port du masque et l’imposition du vaccin en cas de recrudescence du Covid-19.

Notons que, s’agissant des armes à feu, le débat est sans objet, la victoire politique appartenant d’ores et déjà aux conservateurs, malgré une tendance contraire au sein de l’opinion. Environ 60 % des Américains sont favorables à une régulation accrue de la vente et de la détention d’armes, les autres sondés étant soit favorables aux quelques contrôles légers existants ou carrément contre toute régulation. Les candidats conservateurs, inconditionnellement financés par le lobby des armes, estiment que toute restriction sur l’achat d’une arme est liberticide, y compris les procédures banales de vérification de casier judiciaire. Tout candidat favorable même à de légères restrictions voit sa campagne minée par le lobby des armes. Jamais le Congrès n’est parvenu à voter une réelle régulation, si bien que tout le monde peut facilement acheter un AR-15, le fusil automatique dont s’est servi le tireur qui a atteint Donald Trump à l’oreille en juillet.

Donald Trump et son colistier le sénateur de l’Ohio, J. D. Vance, à la convention républicaine de Milwaukee, 16 juillet 2024 Photo: Annabelle Gordon/CNP Photo/SIPA

Il faut aussi mentionner un autre point de division entre les Américains : la question de la centralisation du pouvoir. De nombreux habitants des États du Sud, ces territoires qui ont résisté à la déségrégation raciale dans les années 1960, sont attachés à la notion de « States Rights » (les droits des 50 États). Leur problème actuel est de mettre fin à l’interventionnisme fédéral progressiste sur les questions sociétales comme celle de l’IVG. Or, pour son hypothétique deuxième mandat, Donald Trump semble ambitionner lui aussi de renforcer les pouvoirs de la Maison-Blanche et de Washington. Les documents de campagne disponibles sur la plateforme officielle du parti républicain et le « Project 2025 » édité par le think tank conservateur The Heritage Foundation recommandent un interventionnisme présidentiel hypermusclé. Dans ce dossier, les marqueurs idéologiques sont en train d’évoluer, voire de s’inverser : les républicains MAGA semblent résolus à ne distribuer que quelques vagues pouvoirs symboliques aux États fédérés tout en instituant de nouvelles prérogatives fédérales. Pour l’heure, les autonomistes conservateurs n’ont ni le temps ni l’envie d’aller jusqu’au bout de la question. Ils auront tout loisir d’y penser plus tard en cas de victoire de leur candidat.

Aujourd’hui les invectives demeurent donc encore au cœur du discours des candidats. Mais pour combien de temps encore, et avec quelle intensité ? Pour Donald Trump, Kamala Harris est une « gauchiste radicale » et une corrompue puisque Joe Biden l’est aussi à ses yeux. De son côté, Harris dépeint Trump comme un harceleur sexuel, un escroc et un séditieux, en plus d’être un ennemi des minorités sexuelles et ethniques. Biden lui-même répétait sans cesse que Trump était un menteur.

À l’étage du dessous, c’est-à-dire si on se penche sur le cas des deux candidats à la vice-présidence, le démocrate Tim Walz et le républicain J. D. Vance, c’est une autre musique qui se joue : chacun rivalise dans l’art de paraître plus rural-populiste que l’autre.

Walz et Vance, colistiers scrutés par l’opinion publique américaine

Tim Walz, colistier de Kamala Harris et gouverneur démocrate du Minnesota, est un progressiste pur sucre. Cet ancien instituteur, militaire de réserve, chasseur et pêcheur, issu d’une famille modeste d’agriculteurs, a pratiquement interdit la « thérapie de conversion » dans son État, c’est-à-dire la pratique consistant à changer des homosexuels en hétérosexuels. Il est également favorable à l’avortement comme droit pour toute femme. Enfin, après la mort de George Floyd en 2020, il a rétabli l’ordre public en mobilisant de son propre chef la garde nationale. Ce faisant, il a essayé de se créer une niche : quelqu’un qui sait être de gauche sans être entièrement relié à la cause woke. Il renoue avec une vieille tradition de bon sens populaire du Midwest.

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Face à lui, J. D. Vance, sénateur de l’Ohio, élevé par une mère célibataire accro aux opiacés et à l’alcool, met en avant son passage dans les US Marines. Après quelques années comme juriste, il a écrit en 2016 un livre remarqué, Hillbilly Elegy (littéralement : « Élégie pour les ploucs montagnards »), dans lequel il présente Trump comme un usurpateur trompant les pauvres Blancs du Sud. Mais au bout de quelques années, Vance a opéré une volte-face spectaculaire, pour devenir un fervent soutien du milliardaire… Un revirement dont il n’a pas honte. Bien au contraire, le docteur en droit de l’université de Yale est un adepte de la « rédemption ». Le 17 juillet, dans son discours à la convention de Milwaukee, qui l’a désigné colistier de Donald Trump, il a d’ailleurs salué la guérison de sa mère, « propre et sobre depuis dix ans ». Des paroles typiques de la religion évangélique dans laquelle il a été élevé ; mais pour le moins étonnantes quand on sait que Vance s’est converti au catholicisme et a épousé une juriste hindoue.

Autre point de divergences entre démocrates et républicains : l’environnement. Trump qualifie d’arnaque les mesures écologiques de Biden, alors que les emplois verts ne cessent de se multiplier aux États-Unis. Pour lui, les automobiles électriques, celles-là mêmes qui sont fabriquées par son sympathisant Elon Musk, le patron de Tesla, sont une aberration économique… Côté démocrate, Kamala Harris vante les mérites des énergies renouvelables, et parle d’indépendance énergétique internationale, non sans accents nationalistes.

Les Américains des deux bords peuvent-ils s’y retrouver en fin de compte ? Sur l’avortement, une majorité d’Américains dans tous les sondages sont favorables au droit de choisir pour les femmes. Pendant combien de temps l’interdiction rampante introduite par la Cour suprême peut-elle être maintenue ? Il est vrai que Donald Trump lui-même rétropédale : il ne souhaite plus une loi fédérale interdisant l’IVG, renvoyant dès lors la décision à chaque État fédéré.

Le 6 août 2024 à Philadelphie, lors de son premier meeting de campagne, Tim Walz a répété un message qu’il ne cessait de déclamer depuis plusieurs semaines : les républicains sont « weird » (« bizarres »). « Vance est allé à l’université de Yale, c’est ça un homme du peuple ? a-t-il notamment déclaré. Lui et Trump sont diablement weird. » Un mot qui a fait mouche dans les sondages. Depuis, Trump et Vance tentent de retourner le weird contre l’envoyeur, mais même les commentateurs de la chaîne conservatrice Fox News estiment que cette tactique n’a pas marché.

Ce qui est vraiment weird, c’est plutôt la faille grandissante entre les attentes des Américains raisonnables des deux bords, et la propagande clivante des candidats. Y a-t-il vraiment deux Amériques qui se haïssent à mort ? Beaucoup le pensent. Une moitié des Américains, sondés en mai par une étude conduite par l’Institut Rasmussen, redoutent que des violences armées se produisent dans le pays de leur vivant. La tension exacerbée entre les états-majors de droite et de gauche peut-elle aboutir à un scénario de guerre de Sécession (1861-1865) ? Possible, mais de moins en moins plausible. Les Américains ne semblent pas désireux de s’entretuer comme en 1861-1865. Ils ont vu le résultat : 700 000 morts.

Septembre 2024 - Causeur #126

Article extrait du Magazine Causeur




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Harold Hyman est franco-américain, élevé à New York, ancien du « Lycée » français de New York, diplômé de Columbia University et l’Université de Montréal. Il s’installe définitivement à Paris en 1988. Journaliste à Reader’s Digest, puis RFI, Radio Classique, BFMTV, actuellement CNEWS. Il a couvert l’Extrême-Orient, les États-Unis et le Moyen-Orient. Auteur de Géopolitiquement correct & incorrect (éditions Tallandier, 2014) puis de États-Unis: Tribus américaines (éditions Nevicata).

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