Nous avons eu le Beauvau de la sécurité, lancé en février. Nous aurons désormais les États généraux de la Justice! Emmanuel Macron les a annoncés le 4 juin.
Le président de la République, après avoir reçu les deux plus hauts magistrats français, a annoncé des États généraux de la Justice et l’engagement que le garde des Sceaux dorénavant aurait à rendre compte chaque année du bilan de la politique pénale devant l’Assemblée nationale.
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Mon premier mouvement a été de me dire « enfin » parce que, depuis 1972, j’écris notamment sur la Justice et il n’y a pas eu un seul livre où je n’aie pas évoqué, comme une opportunité radicale de réflexion collective et de changement, la réunion d’États généraux de la Justice. Cette obsession qui ne m’a jamais quitté, s’est toujours accompagnée, sur un mode mineur, de la certitude que la multiplication de « journées portes ouvertes » dans les Palais de justice permettrait aux citoyens de mieux comprendre, et donc de moins blâmer l’institution judiciaire.
Un second quinquennat?
Même si cette idée présidentielle a surgi en dernière extrémité parce qu’il n’était plus possible de tenir pour rien le profond malaise déploré par Chantal Arens et François Molins, il m’était agréable de saluer, pour une fois, cette initiative et cette future obligation parlementaire. Pourtant à peine m’étais-je réjoui avec « enfin » que je m’assombrissais avec « trop tard ». D’abord, comment ne pas percevoir ces promesses tardives comme une contrainte pour nous persuader de la nécessité d’un second quinquennat afin de pallier les échecs du premier, de combler les grands vides régaliens de ce mandat presque terminé ?
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Par ailleurs, j’aurais bien voulu voir cette annonce inespérée comme la prise de conscience que le choix de ce garde des Sceaux avait relevé d’un mauvais casting, qui tenait plus à une appétence pour l’éclat qu’à la considération d’une authentique compétence. Mais à l’évidence ç’aurait été m’illusionner puisque c’est à Éric Dupond-Moretti que cette mission va être confiée. Il devra la mener en même temps qu’il s’en tiendra, pour les régionales et la campagne présidentielle, au rôle que le président lui a offert : être l’accusateur permanent de Marine Le Pen et du Rassemblement national. Au point d’ailleurs de sous-estimer l’attente et l’inquiétude légitimes des Français en matière de sécurité et de justice.
Faire durer des débats inutiles
Ensuite, ces États généraux, dans le meilleur des cas, n’auront lieu qu’au mois de septembre ou d’octobre et dureraient environ trois mois. Je ne garantis pas que ces échéances, si elles sont respectées, auront des conséquences plus utiles que le Beauvau de la sécurité. Il me semble en effet que rien que sur le plan de leur programmation, ces États généraux auraient été forcément plus percutants dans un délai et avec un rythme plus soutenus, plus rapides, qui auraient mobilisé l’ensemble des acteurs et partenaires de justice. Faire s’étirer les débats serait le moyen le plus efficacement pervers pour les rendre inutiles.
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Même si a priori aucune exclusive n’interdira la participation de quelque profession touchant de près ou de loin l’univers judiciaire (il ne faudra surtout pas oublier les journalistes qui ont une responsabilité éclatante dans la diffusion d’une image systématiquement dégradée, partielle et partiale de la Justice), on a le droit de s’interroger sur les matières dont cette grande messe collective sera saisie. Pour l’Union Syndicale des Magistrats, toutes les justices, et pas seulement la pénale, devront être passées au crible. Je rejoins plutôt la présidente du Syndicat de la Magistrature, qui aspire à l’arrêt de la frénésie législative, avec l’octroi de plus de moyens.
Cette concertation va-t-elle apporter des solutions ?
Cet immense défouloir, s’il joue son rôle, permettra-t-il de mettre en question les ressorts profonds de l’insatisfaction du citoyen ? De revendiquer une constante augmentation du budget, au-delà de la gloriole abusive et d’un rattrapage nécessaire ? De s’inquiéter d’une idéologie qui dénature l’impartialité ? De dénoncer le laxisme des magistrats quand il existe ? De stigmatiser la faillite de l’exécution des peines ? De condamner la lenteur des réponses judiciaires ? D’exiger la construction rapide de nouvelles prisons ? De globalement imposer la mise en œuvre d’un processus judiciaire digne de l’humanisme vigoureux qu’appelle une nation comme la nôtre ?
Davantage, ce moment qui pourrait être unique sera-t-il l’occasion d’aborder le terrain politique et, dépassant le problème des crédits dont on n’imagine jamais que les magistrats et leurs syndicats pourront s’en satisfaire, de faire valoir l’instauration d’une volonté s’assignant un double impératif : défendre l’institution et les juges, comme le garde des Sceaux n’a jamais su le faire (et pour cause : songeons aux diatribes de l’avocat contre les magistrats) et comme Robert Badinter l’a magnifiquement assumé lors de l’émission C l’Hebdo sur France 5 à laquelle il était invité le 5 juin ; et faire tenir son rang éminent, pour le futur, à ce formidable service public et à celui ou celle qui aura l’honneur d’en être le garant, l’aiguillon et le protecteur.
Enfin. Je n’ai plus envie de rêver, d’espérer pour rien. Je ne supporte plus la peur, le désespoir de mes concitoyens. Je préfère compatir avec le peuple que feindre une adhésion politicienne.
Mais trop tard.
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