À la maison, c’est ma fille qui a donné l’alerte : « Papa, tu as vu ce qui se passe avec l’état d’urgence ? » -« Oui j’ai vu. on arrête les islamistes et les bandits. Tu préfères l’état normal ? Quand ce sont les bandits et les islamistes qui nous agressent ? » -« Non mais il n’y a pas que ça, va voir les réseaux sociaux, il y a plein de gens qu’on perquisitionne pour rien, qui n’ont rien à voir avec l’état d’urgence. Les flics ont tout cassé chez un maraicher bio. C’est pas normal ». J’ai avalé mon morceau de steak rouge cancer et je me suis servi un coup de beaujolpif sulfaté. – » Ah bon ? Et on persécute qui en fait ? Des barbus en robe de chambre Daech-friendly ? Des altermondialistes casse bonbons ? Des trafiquants d’armes notoires ? Des dealers qui ont pignon sur rue ? ». Et j’ai descendu mon ballon de rouge.
Je ne l’ai pas convaincue mais j’ai réfléchi à ce que ma fille m’avait dit. On trouvait donc en cherchant sur les réseaux sociaux, de l’arbitraire dans les perquisitions, des violences dans les arrestations, des abus dans les assignations, et je n’en savais rien. Je ne pouvais pas laisser faire de telles choses sans aller voir de plus près, les actions et les exactions de cette police qui ne faisait pas de détails.
Je suis tombé sur le blog de Laurent Borredon, journaliste au Monde qui a patiemment recueilli pour nous toutes ces bavures dans la répression, en proposant d’animer « un observatoire de l’état d’urgence ». Comme avec un numéro de Valeurs actuelles, l’affiche est prometteuse mais le contenu un peu décevant. Je ne m’attendais pas au retour de l’Inspecteur Harry mais quand même ! Là où on nous promet « de l’improvisation, des ratés, des brutalités », on tombe sur un festival de jérémiades et de pratiques policières bon enfant. Les policiers laissent parfois en partant un numéro aux « victimes » pour faire une demande d’indemnisation ou une adresse pour formuler un recours. On n’est pas dans The Shield. On y déniche des curiosités comme cette plainte de perquisitionnés : « Après leurs perquisitions, les policiers continuent leur vie comme avant. Mais nous, on devient quoi ? » Faut-il que les policiers se repentent ? Expient ? Se flagellent ? s’exilent en Uruguay ?
Tout ce qu’on y trouve n’est pas tellement plus « brutal » que le récit de cette famille tchétchène qui a cru en entendant le fracas policier contre la porte de son HLM, que « les Russes revenaient ». Quand Laurent raconte, ça donne ça : « Dina, dont la religion veut qu’elle couvre ses cheveux en présence d’un homme, s’est retrouvée en chemise de nuit devant les policiers. Ils ne lui ont pas laissé le temps de s’habiller, assure-t-elle. Ils ont marché avec leurs chaussures sur le tapis de prière, alors que Massoud leur avait demandé de l’éviter ». Quoi ? Il n’y a pas de patins dans la tenue règlementaire du RAID ?
On se souvient que dans la jungle de Calais, il y a peu, les CRS se déchaussaient avant d’investir une tente baptisée mosquée, alors on ne boudera pas son plaisir. Les amateurs pourront trouver leur bonheur dans « l’observatoire de l’état d’urgence » de Laurent Borredon, mais parfois, le décalage entre l’accroche alléchante et le contenu de l’ article vire à l’arnaque. On reste souvent sur sa faim, on a parfois de fausses joies. Comme lorsqu’il titre sur un suisse traine-savates de Tarnac frappé d’expulsion, et qu’on tombe sur ça : « le ministère de l’Intérieur recule aussi, parfois. Lundi 7 décembre, il a retiré l’arrêté d’interdiction de séjour sur le territoire français que nous évoquons ci-dessous… »
Enfin, même si tout ne marche pas comme on le voudrait, toutes ces « brutalités » nous montrent que si on ne fait pas encore respecter la loi à La Courneuve ou à Notre-dame-des-Landes, on en prend le chemin. Plus vite qu’à l’accoutumée, en état d’urgence, l’électeur donne le ton, l’Etat donne des ordres et la police exécute dans un cadre législatif, mais loin du parcours d’obstacles de la législature et débarrassé de la magistrature. Et sans la Justice, ç’est plus efficace.
En un peu plus d’un mois, 2700 perquisitions administratives, 488 procédures judiciaires ouvertes, dont 187 liées à des infractions à la législation sur les armes, 167 à la législation sur les stupéfiants, 334 personnes interpellées dont 287 placées en garde à vue, 73 renvois en comparution immédiate et 50 convocations devant les tribunaux correctionnels, 51 personnes écrouées, soit en détention provisoire, soit en exécution de peine, 58 condamnations déjà prononcées, 431 armes saisies, dont 41 armes de guerre, 279 enquêtes encore en cours.
Et la guerre contre l’islamisme armé a aussi ses bénéfices collatéraux, sans parler des refoulés aux frontières, des imams expulsés et des mosquées fermées : la criminalité qui a baissé en Île-de-France : -32% pour les vols violents sans arme, -24% pour les coups et blessures volontaires, -22% pour les cambriolages.Et, cerise sur le gâteau de l’état d’urgence, plus de manifs du DAL ou du collectif des lesbiennes transgenre et sans papiers, et plus de rassemblements pro-palestiniens place de la république à Paris.
Malgré ces débuts encourageants, ça braille. Maitre Henri Leclerc, ancien président de la Ligue Française des droits de l’homme et du citoyen, a tiré le premier : « Vous rendez-vous compte ? » , en détachant chaque syllabe dans un de ses effets de manche qui passe très bien à la radio, « On a suspendu la Convention européenne des droits de l’homme ! » Depuis, tout ce que le droitdel’hommisme peut mobiliser défile sur les écrans et sur les ondes pour nous mettre en garde. Des journalistes, des avocats ou des magistrats viennent dénoncer une dangereuse farandole de déserts juridiques où sont menacés nos libertés et nos droits.
Font-ils donc semblant de ne pas comprendre que les libertés et les droits ne sont pas un et indivisibles mais qu’ils s’opposent ? La liberté de diffuser ou de préparer le djihad s’oppose à la liberté d’aller voir un concert ou un match de football en sécurité, comme avant. Le droit de dormir sur ses deux oreilles jusqu’à six heures du matin quand on détient des armes de guerre s’oppose au droit de l’homme à inviter sa femme, ou pas sa femme, ou son mari au restaurant, en sécurité, comme avant.
On ne marche pas vers une dictature quand on renforce les droits du peuple contre les libertés de ses traitres et de ses ennemis, de ses assassins et de leurs complices ou de leurs partisans mais vers un ordre juste. L’état d’urgence donne à l’exécutif le pouvoir de manier le glaive sans gêne, de surveiller et de punir sans entraves. Et pour faire pencher la balance de la justice vers plus de justice, l’Etat écarte la Justice. Voici le scandale que les droitdel’hommistes dénoncent à grands cris. Voilà pourquoi le braillomètre est dans le rouge.
Ça ne m’inquiète pas plus que ça. Les girouettes qui nous gouvernent ont senti le vent électoral passer. S’ils n’ont pas compris qu’il faut mettre hors d’état de nuire, de toute urgence, ces lois et ces juges qui ont donné à Mohamed Merah une dix-huitième chance de retrouver le bon chemin, et à tous ses clones, la liberté de tuer en leur laissant le droit d’aller et venir, ils seront balayés aux prochaines élections.
Et au fait, si aux régionales, le Front national avait fait trois pour cent et le Front vert de gauche quarante, au lieu d’en entendre certains brailler contre les dangers de « l’état d’urgence », on les verrait aujourd’hui saluer « un plan d’urgence solidaire de renfort des services publics » pour lutter contre Daech. Alors, on dit merci qui?
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