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État social: chronique d’un suicide

En 60 ans, le rapport de forces entre l’élite économique mondiale et notre présidence social-démocrate, s’est inversé


État social: chronique d’un suicide
Xi Jinping et Vladimir Poutine lors de leur rencontre au Kremlin, Moscou, 21 mars 2023. © Pavel Byrkin/Sputnik/Sipa

La social-démocratie n’a plus la cote, à tel point que plusieurs auteurs en prédisent bientôt la fin. Sans doute subit-elle les assauts de ses ennemis intérieurs et extérieurs – Gafam ou États voyous – mais plus probablement se meurt-elle d’avoir organisé sa propre chute.


Lorsqu’Henry Ford monte les marches de l’Élysée en décembre 1964 pour y rencontrer le général de Gaulle, c’est bien sûr le roi de l’automobile qui se montre impressionné par son interlocuteur. Quand Elon Musk ou Mark Zuckerberg rendent visite à Emmanuel Macron, on les sent plus bravaches. En soixante ans, le rapport de forces entre l’élite économique mondiale et notre président social-démocrate, bien que maître du feu nucléaire, s’est inversé. Ainsi, en 1965, le chiffre d’affaires cumulé des cinq plus grandes sociétés de l’époque totalisait 102 milliards d’euros d’aujourd’hui. En comparaison, celui des cinq Gafam affiche 1 350 milliards, treize fois plus – des montants comparables à ceux de pays développés. Ces 1 350 milliards représentent ainsi l’ensemble des recettes de l’État français – les Gafam et notre république bénéficient donc de revenus équivalents. La comparaison s’arrête malheureusement aux encaissements, car si l’on s’intéresse aux résultats, là où la France enregistre un déficit de 125 milliards, Bill Gates et ses homologues dégagent un excédent de… 800 milliards. Quand le Trésor public dispose à un instant t de 100 milliards, les Google et consorts peuvent signer immédiatement un chèque de 900 ! De quoi détendre Mark Zuckerberg à l’idée d’échanger avec notre sympathique président (dont l’assistante a dû sans doute lui rappeler le nom, avant son rendez-vous).

Cette incroyable puissance aux mains de quelques entrepreneurs non élus justifie, au demeurant pleinement les espoirs qui ont pu être mis dans l’Union européenne. Si la France ne fait pas le poids face à eux, l’Europe aurait dû redonner du pouvoir aux social-démocraties qu’elle était censée unir. Sans avoir eu besoin du traité de Lisbonne, l’Europe a su développer les programmes Ariane et Airbus. Depuis cette époque pionnière, particulièrement sur la thématique digitale, c’est le néant ou presque. Il n’existe pas de Google européen, mais Bruxelles s’entiche de la loi RGPD pour limiter le pillage de nos données. Fidèle à sa ligne courtelinesque, l’Union ne semble présente sur le champ de bataille de l’IA que pour en exiger la réglementation urgente – sans la maîtriser. Champion du monde de la bureaucratie, voilà l’avenir radieux que nous propose Thierry Breton – pas plus élu qu’Elon Musk. Xi Jinping, Joe Biden et Kim Jong-un ne doivent pas en dormir la nuit.

Notre inquéitante naïveté numérique

Non seulement, les Gafam disposent d’une puissance financière supérieure au PIB de 80 % des pays membres de l’ONU, mais les outils qu’ils ont développés sapent, en prime, la légitimité de gouvernants obsédés par les « likes » ou les « trending topics ». Le patron de Meta possède en effet, lui aussi, une arme de destruction massive : les réseaux sociaux. Le jeune Américain se trouve à la tête de Facebook, Instagram et, depuis peu, Threads, un concurrent de Twitter. Il a offert à l’humanité la possibilité de tout partager – l’information et le savoir en théorie mais, en pratique, souvent la bêtise la plus crasse. La Silicon Valley a également plongé Homo sapiens dans le règne de l’immédiateté – un présent permanent incompatible avec toute politique tournée vers le moyen ou long terme. Les réseaux sociaux exigent des dirigeants des démocraties des mesures et des succès à court terme irréalistes, du genre « stop oil now ». L’attraction des populismes est décuplée par Facebook ou Twitter, puisque ces outils leur permettent de diffuser un discours cohérent avec leur certitude de pouvoir agir vite et efficacement : Mélenchon souhaitait ainsi taxer à 90 % les revenus supérieurs à 400 000 euros pour régler tous nos maux. Des messages simplistes qui s’épanouissent sur les fils ou les « reels » des simples d’esprit.

Ces technologies, inimaginables en 1965, offrent par ailleurs à tous les États voyous de la planète un accès direct aux populations occidentales. Jamais les Soviétiques n’auraient imaginé inonder l’Occident, en temps réel, de fausses informations. C’est un peu comme si on leur avait confié à l’époque, de temps à autre, les manettes de l’ORTF afin que le camarade Brejnev remplace Pierre Desgraupes.

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Mais Poutine, son lointain successeur, n’est pas le seul à se régaler de notre naïveté numérique. La théocratie iranienne, ses séides islamistes, ou la folle dynastie communiste nord-coréenne s’en donnent à cœur joie pour menacer les croisés capitalistes. Et encore ceux-là se sont-ils privés des moyens de la mondialisation – initiée par l’Occident honni. Le total-capitalisme chinois n’a pas commis cette erreur, ni celle de dépendre des Gafam. Il a, au contraire, banni ou censuré les réseaux sociaux américains après avoir fait émerger leurs équivalents connus désormais sous l’acronyme de Batke (ex-BATX). Ils sont à pied d’œuvre pour entamer le match Chine-États-Unis visant le contrôle de l’IA ; l’Europe, bien au chaud, assiste à la rencontre en tribune VIP, avant de reprendre le car pour l’Ehpad.

Et l’Europe, c’est la social-démocratie, avec bien sûr des différences notables entre les quatre points cardinaux du continent. Mais tous partagent l’idée d’un État-providence généreux, grand ordonnateur d’une cohabitation apaisée entre une sphère publique puissante et un marché plus réglementé qu’ailleurs dans le monde. Plus notamment qu’aux États-Unis, où l’égalitarisme et un État omnipotent n’ont jamais été des aspirations collectives légitimes. L’État français, comme ses voisins pourtant mieux gérés, se trouve ainsi engagé dans une opération de sauvetage désespérée de son modèle social. Maintenu en survie artificielle par des taux d’intérêt négligeables, mais menacé par leur remontée et une démographie déclinante, l’État-providence(dense) danse sur un volcan.

Washington peut donc envisager avec plus de sérénité que nous les défis géopolitiques à venir ou la concurrence des Gafam– auxiliaires par essence du FBI ou de la CIA. En revanche, les États-Unis partagent avec les social-démocraties européennes la menace d’une tyrannie des minorités et, singulièrement, cette fois en Europe, celles issues de l’immigration musulmane. Les diasporas chrétiennes sud-américaines qui franchissent le rio Grande prient le même dieu que le locataire de la Maison-Blanche et ils sont majoritairement descendants de colons et non de colonisés. Qui plus est, ils savent qu’ils n’auront droit sur place à aucune allocation, aucun logement, aucun soin s’ils ne trouvent pas un boulot dans les heures qui suivent leur passage de la frontière. Nous ne bénéficions malheureusement pas de ces multiples bénédictions. Aucun de nos vaillants progressistes ne semble en avoir conscience : nos concitoyens noirs sont devenus à leurs yeux des « Blacks » descendants de chimériques esclaves ; les Maghrébins, des Mexicains mangeant moins épicés. Mais tous méritent l’open bar de la protection sociale française, financée par ces (racistes) Français. Beati paupere spiritu.

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Sur les deux rives de l’Atlantique, l’équilibre entre intérêt général et droits individuels a été rompu quelque part entre 1970 et 1980. Arbitrer entre droits et devoirs,c’était jadis la définition de la politique, jusqu’à ce que cette dernière perde de vue le bien commun pour ne proposer que l’ajout de nouveaux « droits à » ad nauseam. Cette hypertrophie, déjà problématique en soi, pouvait sans doute s’entendre dans un contexte d’homogénéité culturelle et d’implicite intérêt collectif. En toile de fond de la social-démocratie, le judéo-christianisme et le message laïcisé du Christ, les droits de l’homme, dont on ne trouve nul baptiste dans l’arc arabo-musulman. Mais l’émergence du concept de communautés victimes de stigmatisation ou de racisme a introduit un niveau intermédiaire entre l’individu et le peuple, ce dernier s’effaçant progressivement au profit de l’archipel de communautés décrit par Jérôme Fourquet. Selon Bard, l’IA de Google (et faute d’équivalent européen), « l’occurrence des mots rattachables à l’islam dans les médias français a augmenté de 20 000 % entre 1965 et 2023 ». Difficile d’imaginer que cette archipélisation soit sans conséquence sur les relations entre des îlots hostiles et l’île principale, alias la majorité, le peuple historique, les Français de souche, si l’on est de droite ; la France rance, les beaufs, les racistes, les gilets jaunes si l’on est de gauche ou bobo. Ce communautarisme a rompu le contrat social.

Asile de dingues

Or, la social-démocratie a été conçue pour gérer les rapports de classes en assurant l’égalité des chances et la redistribution entre des individus disposant d’une vision de la famille ou de la nation en maints points comparables. Elle ne s’était pas fixé comme objectif la gestion d’un asile de dingues où un barbu peut prétendre être une femme, pas plus qu’elle n’était prédisposée à chasser les crèches de Noël ou à déboulonner des statues offensantes. Les nations occidentales ont depuis dix ans, au moins, des allures d’unités psychiatriques où l’on peut traiter Churchill ou de Gaulle de « fasciste » et considérer Finkielkraut, Zemmour ou Nétanyahou comme « nazis ». Cette social-démocratie déboussolée exige à présent de la majorité une solidarité sans faille, quoique toujours plus coûteuse, avec des communautés qui la détestent ouvertement, voire aspirent à la réduire à la minorité. Un statut auquel certains souchiens ne verraient aucun inconvénient : le sort actuel des juifs en Occident, ces haïssables « super blancs », devrait modérer leur enthousiasme.

Elon Musk reçu par Emmanuel Macron à l’Élysée, en marge du sommet « Choose France », Paris, 15 mai 2023. © Stephane Lemouton-Pool/Sipa

Défendre l’intérêt général impose désormais de défendre la majorité blanche et hétérosexuelle de ce pays – un crime raciste et stigmatisant. Comble de la perversion du système, le fumeux « État de droit » s’oppose sans complexe au bien commun. Il conviendrait en réalité de le requalifier d’État sans droit. Sans celui d’exécuter les OQTF ; de contrôler ses frontières ; de construire des prisons ; d’assurer le maintien de l’ordre ou d’exiger de ses magistrats qu’ils y concourent. Son seul droit est un devoir : fermer les yeux (sa gueule aussi) et payer.

Immigration ou solidarité

Michel Wieviorka nous l’avait bien dit en 2009, à l’occasion du (honteux, bien sûr) débat sur l’identité française : « L’identité nationale, c’est la Sécurité sociale. » Néanmoins, la promettre à toute l’Afrique, c’est en réalité la condamner à la faillite, donc mentir aux Africains et accessoirement trahir les Français qui la financent. C’est ce qu’ont compris les Danois : entre immigration et solidarité, il faudra choisir. Ils ont commencé à prendre de fermes mesures pour décourager les immigrés, entraînant une chute spectaculaire de 50 % des demandes d’asile entre 2021 et 2022. En France, le think tank Contribuables associés estime à 54 milliards le coût annuel de l’immigration, sans que personne ne soit capable de chiffrer celui de la fracture culturelle. Contrairement aux autres allocations et dépenses publiques, dont les réductions seront politiquement douloureuses, voilà une source d’économie consensuelle. L’adhésion des Français aux mesurettes de la dernière loi anti-immigration (70 % y sont favorables) tend à valider cette hypothèse. La social-démocratie danoise nous montre donc le premier obstacle à franchir pour espérer sauver une organisation sociale à la disparition de laquelle seuls les sots applaudiront. L’Europe de l’Ouest et du Nord a offert pendant une quarantaine d’années un havre enviable – ils ne sont pas nombreux, ici, à lorgner sur le modèle social américain, au demeurant paradisiaque si l’on est riche et bien portant. Jusqu’à ce que cette Europe décide, en se passant de toute onction du suffrage universel, de devenir une démocratie théorique, soucieuse de complaire en priorité aux minorités allogènes et à leurs défenseurs. Une social-allocratie [1] à l’avenir sombre, si elle persiste à s’autodétruire avec la même application.


[1] Copyright notre ami Jean-Baptiste Roques.

Février 2024 – Causeur #120

Article extrait du Magazine Causeur




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Diplômé d'HEC, il a travaillé de nombreuses années dans la presse ("Le Figaro", "Le Nouvel Obs", "Libération", "Le Point", etc.). Affectionnant les anarchistes de droite tels Jean Yanne ou Pierre Desproges, il est devenu l'un des meilleurs spécialistes de Michel Audiard. On lui doit deux livres de référence sur le sujet : <em>Le Dico flingueur des Tontons</em> et <em>L'Encyclopédie d'Audiard</em> (Hugo & Cie).

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