Vladimir Poutine a fermé les médias « Dojd » et « Echo de Moscou ». De son côté, la France interdit RT et Sputnik. Est-il excessif de faire un parallèle ?
L’appel à la censure des médias financés par le pouvoir russe, RT France et Sputnik, est venu de la très démocrate Ursula von der Leyen.
Elle venait d’outrepasser ses prérogatives de présidente de la Commission européenne, en déclarant que l’UE ouvrait grande sa porte à l’Ukraine (« ils sont des nôtres »). Tout le monde s’est demandé, un instant, si cette proche d’Angela Merkel était devenue la présidente élue d’un État-nation européen qui n’existe pas encore ! De fil en aiguille, plusieurs États membres de l’Union ont entériné l’interdiction des deux médias, notamment la France.
L’Ukraine est attaquée, Macron dénonçait depuis longtemps des « contrevérités infamantes »
Sur Sud Radio, la directrice de Causeur Elisabeth Lévy a dans un premier temps constaté qu’en arrêtant son émission sur la chaîne d’information « par loyauté envers la France », la « star » Frédéric Taddeï avait choisi son pays – « Right or wrong, my country » – et révélé qu’il aurait fait la même chose s’il avait travaillé à la BBC, en cas de conflit avec l’Angleterre. Mais Elisabeth Lévy a surtout rappelé ensuite que ce n’était certainement pas à l’Union européenne de décider quels médias pouvaient exister en France.
Dès mai 2017, alors qu’il recevait Vladimir Poutine à Versailles, le président Macron avait prévenu qu’il avait ses médias à l’œil : « J’ai toujours eu une relation exemplaire avec les journalistes étrangers, encore faut-il qu’ils soient journalistes! Russia Today et Sputnik ont été des organes d’influence qui ont répandu des contrevérités infamantes sur ma personne [pendant la campagne présidentielle NDLR] et donc sur cela je ne cèderai rien. » Vladimir Poutine était resté impassible à ses côtés, malgré une tension palpable.
Les réseaux sociaux américains YouTube et Twitter, jadis chantres de la liberté d’expression, ont suspendu les premiers les comptes de RT France et Sputnik de leurs plateformes, avant que le signal de la chaîne d’information ne soit coupé. La raison invoquée est que les deux médias en question nourriraient la propagande russe sur l’invasion de l’Ukraine.
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En France, dans son discours à la nation le 2 mars, Emmanuel Macron a précisé que « les organes de propagande russes ont été coupés ». Tout en ajoutant que la France n’était pas en guerre avec la Russie. De fait, elle ne l’est pas, pas plus que l’Allemagne… Alors, pourquoi cette interdiction, qui peut faire penser au sort funeste de certains médias de Hong-Kong trop critiques envers le Parti communiste chinois, ou à la lutte sans merci que Vladimir Poutine livre lui-même aux médias russes chez lui – les derniers en date étant la chaîne de télévision « Dojd » (« pluie ») et la radio « Écho de Moscou », qui viennent d’être interdits pour avoir critiqué l’invasion de l’Ukraine ?
RT France, une approche anti-anti-russe
En France, Russia Today employait quelque 150 collaborateurs et journalistes, pour bonne partie dûment encartés, qui faisaient un travail intéressant depuis des années, nous permettant d’avoir une approche non pas pro-russe mais anti-anti-russe.
Tout démocrate et tout intellectuel curieux pouvait profiter d’un média alternatif en temps de paix, moins macroniste que la plupart des autres canaux, et écouter un son de cloche différent en temps de guerre. Car nul n’ignore que dans le conflit Russie-Ukraine, la guerre des propagandes est aussi vive que les combats sur le terrain. Se développe ainsi, sur les médias mainstream, un narratif antirusse qui confine à une « fabrique du consentement » (Ingrid Riocreux). Comme d’habitude, le spectateur lambda prend en pleine poire une guerre dont il ignore les tenants et aboutissants. Qui rappelle par exemple les tensions et les morts dans le Donbass russophone depuis 2014 ?
Certes, on peut reprocher à RT France et au média Sputnik plusieurs choses. Sputnik, par exemple, ne faisait pas toujours dans la dentelle dans son approche un peu conspirationniste en matière de Covid-19. De son côté, pourquoi, par exemple, Russia Today s’est-elle débaptisée pour prendre un nom bien de chez nous, RT France, sans plus même de référence à la main qui la nourrissait : la Russie ? Cela fait penser à Al Jazzera qui s’appelle AJ+ sur Internet. Ensuite, la couverture extrêmement partiale de la crise des gilets jaunes en France, ou des camionneurs au Canada, servait-elle un agenda caché ? Il a été reproché au média de souligner en permanence la pagaille de la France dirigée par Emmanuel Macron ou du Canada dirigé par Justin Trudeau, qui ne sont ni l’un ni l’autre la tasse de thé de Vladimir Poutine.
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N’y a-t-il pas eu de la part des journalistes, dans le choix des experts en géopolitique, un parti-pris permanent pour le dirigeant russe et sa politique étrangère ? Ce faisant, ont-ils délibérément sous-estimé le drame qui se préparait ? Car, quelque excuse qu’on puisse lui trouver, en envahissant l’Ukraine dans le but de plus en plus clair d’en faire une province russe comme du temps de l’Union soviétique, Vladimir Poutine a commis un crime inexcusable, une folie et une faute géostratégique dont on espère qu’il paiera un jour lourdement le prix…
Les Français n’étaient pas obligés de regarder la chaîne
Pour autant, il est ridicule de considérer les lecteurs et spectateurs francophones comme à ce point stupides qu’ils ne pourraient librement apprécier des médias russes, conscients d’une ligne rédactionnelle sans ambiguïté et sachant d’où vient l’argent (chose que YouTube, notamment, nous rappelait sans cesse dans ses avertissements). Le paradoxe est que RT France, quant à l’idéologie qu’elle portait, m’a toujours paru plus objective au fond que France Inter, financé par l’État français. Frédéric Taddéi y avait d’ailleurs obtenu, dans « Interdit d’Interdire », toute latitude pour mener les débats qu’il voulait. Il s’était même permis, lors du lancement de son émission, de rappeler à une Sonia Devillers médusée combien l’ORTF, dans une France considérée alors comme une grande démocratie, était également aux ordres du Général de Gaulle…
Bien sûr, je ne mets pas sur le même plan la France et la Russie. « Reporters sans frontières » a d’ailleurs classé la Russie à la 150e place sur 180 dans son dernier index sur la liberté de la presse (la France est 34e), et les « propagandistes » qui critiquent l’armée russe risqueront bientôt 15 ans de prison en vertu d’une loi examinée à la Douma. Il n’empêche que l’Europe et la France ne se grandissent pas en censurant des médias, quels qu’ils soient. Comme l’a rappelé André Bercoff sur Sud Radio, si vous n’aimiez pas RT France, vous pouviez toujours zapper…