La peine de mort a beau être abolie, l’idéologie diversitaire ne se prive pas pour autant de prononcer des arrêts de mort sociale à tout bout de champ. Analyse.
La peine de mort étant abolie, on ne se prive pas de prononcer des arrêts de mort sociale, et les mêmes qui s’indignent de la violence institutionnelle pratiquent sans états d’âme le matraquage verbal.
Appauvrie par l’inculture, aseptisée par le vocabulaire technique qui l’envahit chaque jour davantage, la langue française devient la complice d’un lavage de cerveau qu’on administre même aux jeunes enfants, contraints par l’école à se préoccuper de questions qu’ils ne se seraient pas posées si on les avait laissés se livrer à des occupations de leur âge, au lieu d’avoir à se faire une opinion – et la bonne ! – sur la « transphobie » par exemple. L’heure est en effet aux « phobies » en tous genres, et la multiplication de ces folies supposées furieuses va probablement contraindre les procureurs des nouveaux tribunaux révolutionnaires à inventer des sous-catégories verbales tant on aura bientôt besoin de cellules plus individualisées où enfermer les ennemis de la bienséance sociétale. La « phobie » n’est-elle pas une forme d’insanité appelant un traitement radical à la mesure de sa dangerosité ?
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Le processus accusatoire est pourtant clair : à chaque problème non réglé, à chaque question refoulée ou méritant un traitement plus nuancé, correspond désormais une « phobie » qui dissuade d’en parler, d’y réfléchir et de s’opposer à l’esprit du temps. On oublie qu’être véritablement phobique (agoraphobe, claustrophobe) est une souffrance qui empoisonne la vie, et que la vraie victime est celui ou celle qui subit l’emprise d’une panique aussi irraisonnée qu’incontrôlable. Le traitement des phobies fut d’ailleurs, avec celui de l’hystérie, l’un des premiers chantiers de la psychanalyse. Qu’à cela ne tienne puisque ce sont les nouveaux « phobes » qui, possédés par la peur ou la haine de l’Autre, sont censés faire des victimes à l’endroit desquelles devrait s’exprimer la compassion collective. On dit d’ailleurs désormais plus couramment « phobe » que phobique, afin d’englober dans une terminologie pseudo-médicale vague et unique l’ensemble des peurs qui n’osent plus dire leur nom. À ce jeu-là, qui n’est pas « phobe » de ceci ou de cela ?
Un ramassis d’arriérés à neutraliser
Les historiens et ethnologues des temps futurs enquêtant sur les mœurs étranges de notre époque se demanderont peut-être qui étaient vraiment tous ces nouveaux « phobes », et s’ils avaient surgi des bas-fonds de la société ou avaient débarqué d’une lointaine galaxie pour semer la confusion dans un monde où plus rien déjà ne fonctionnait : une tribu aussi exotique que les cynocéphales ou les acéphales au Moyen Âge ? Un ramassis d’arriérés tout juste bons à être rééduqués, ou bien quelques irréductibles qu’on ne saurait tolérer qu’au nom de la « diversité » tant aimée ? Et si certains de ces enquêteurs n’ont pas perdu tout sens de l’humour et de la poésie, ils seront peut-être tentés de classer les « phobes » parmi les peuplades inconnues sorties de l’imagination d’Henri Michaux, ou les créatures monstrueuses peuplant le Manuel de zoologie fantastique de Jorge Luis Borges.
Mais il y a plus grave. Alors que l’accusation de « phobie » s’apparente dans la plupart des cas à la diffamation, elle échappe à la loi puisque c’est la personne accusée qui est sommée, ou se sent obligée, d’apporter la preuve qu’elle n’est pas ce qu’on lui reproche d’être. Les torts et les responsabilités sont donc inversés et le procédé, en usage dans tous les systèmes totalitaires, parvient de plus en plus mal à dissimuler sa perversité en dépit de ses succès médiatiques. Tandis que les « phobes » supposés n’en finissent pas de s’introspecter afin d’extirper de leur inconscient les germes de la maladie dont ils seraient porteurs, leurs accusateurs occupent le terrain et se frottent les mains pour avoir inoculé au tissu social l’idée qu’un « phobe » est un malade mental qui s’ignore, voire un fou potentiel qu’il convient de neutraliser en lui refusant tout moyen de s’exprimer qui ne serait pas l’occasion de se ridiculiser à force de vouloir se justifier.
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Mais l’accusation de « phobie » a également ceci de pervers qu’elle pousse qui en est soupçonné à basculer, par crainte ou lassitude, dans le camp adverse où il va se sentir enfin admis, réconcilié avec l’humanité, car devenu inconditionnellement philanthrope et désormais habité par une philia universelle : non seulement il n’est pas « phobe » mais il aime, il adore toutes les victimes d’insupportables discriminations qui sont en fait les êtres les plus merveilleux du monde ! Le mécanisme de la collaboration active est en marche, et il n’y a plus qu’à le laisser fonctionner tout seul ; ce jeu de bascule supprimant la possibilité (et le droit ?) de ne pas se prononcer sur des questions devenues sociétales par lesquelles on ne se sent pas vraiment concerné, et qui ne concernent elles-mêmes qu’un très faible pourcentage des catégories minoritaires, dont les problèmes réels mériteraient une attention plus équitable car plus sélective.
Terroristes du langage
Ainsi respecter les personnes transgenres, dont certaines vivent un drame humain, signifie-t-il qu’on doive les prendre pour modèles d’une nouvelle humanité affranchie de tout genre, au sein de laquelle chaque individu pourra librement choisir celui qu’il « sent » être le sien ? De même devrait-on pouvoir s’interroger sur l’homoparentalité sans être taxé d’homophobie, et n’avoir aucune appétence pour une religion de la soumission comme l’islam sans être accusé d’islamophobie, etc.
Un tel droit paraissait encore si évident il y a vingt ans qu’on a aujourd’hui presque honte de proférer de telles évidences. Elles sont pourtant constitutives d’un art de vivre et de penser qu’il ne faut pas abandonner aux terroristes du langage qui s’en sont emparés.
Une nouvelle langue de bois ? Oui et non, car ce serait faire injure au bois de le penser perméable au fiel.