En call-girl ou agrégée de lettres, l’actrice franco-américaine a donné aux comédies des années 1970, une touche inestimable d’érotisme corseté.
C’est entièrement de sa faute si l’on regarde aujourd’hui les actrices avec un désintérêt poli, voire une pointe d’ennui. Nous n’avons plus goût à toutes ces fadeurs savamment orchestrées par des agents-marketeurs, vieilles techniques démagogiques pour soutirer l’amour du public. Leur banalité appuyée est un frein à notre imaginaire. Elles annihilent toute projection possible, toute emprise psychologique. Elles indifférent, voilà tout. Leur discours a quelque chose de rouillé et d’incantatoire, de fonctionnarisé et de faussement bienveillant. Au lieu d’ouvrir les vannes, elles coupent net notre élan. Nous n’y croyons plus, tout simplement. Nous sommes devenus indifférents à leurs agitations sentencieuses et leur honte de déplaire à la télé. Elles ont désormais le culte de la normalité et la hantise de paraître trop belle, trop garce, trop intelligente, trop despotique, trop sèche, trop inaccessible, etc… Elles s’épanouissent dans le commun alors que nous exigeons l’impossible, l’innommable, la rupture avec les sentiments les plus convenus.
Pendant la décennie 1970, Maureen Kerwin a fait grimper notre degré d’exigence et d’allégeance. Elle apportait une profondeur ironique, un détachement érotique, cette distance souveraine et blessante qui, bien longtemps après infusion, perfuse dans tout notre esprit. Nous lui étions totalement dévoués. Sa seule présence dans une comédie grinçante ou un policier nerveux suffisait à nous plonger dans un état de sidération. Il n’est pas excessif d’affirmer que son apparition avait le parfum d’un désir foudroyant, vif et intense, qui, à peine posé sur notre peau, laisserait des blessures durables. Sans le savoir, Maureen a façonné notre nostalgie, notre culte idiot pour les filles snobs et vachardes, fortes et toujours trahies à la fin, méprisantes et attirantes, secrètes et libérées, ayant de la répartie et vivant dans les mystères. Le trouble l’habillait.
A lire aussi: Croquis de famille
Nous serons à jamais ses pantins désarticulés, ses prisonniers de fiction, et sommes éternellement reconnaissants pour cette sauvagerie-là. Elle piétinait nos rêves en déshabillé de soie et en tailleur pantalon Renoma. Elle a nourri nos rêves disco d’une soirée chez Castel ou Régine entre Françoise Sagan et Bernard Frank au son de Giorgio Moroder, d’un déjeuner chez Lasserre avec un capitaine d’industrie ou un seigneur du pétrole, d’un voyage en jet privé aux Maldives sur un coup de tête ou d’un baiser volé sur la banquette arrière en cuir Connolly d’une Rolls Silver Shadow, aux premières lueurs du jour, entre la place de la Concorde et l’église de la Madeleine, par une belle matinée de printemps. Il y a des images que nous n’oublierons pas car elles ont construit notre esthétique nocturne et réactionnaire, une certaine urbanité corrosive.
Maureen, actrice prodigieuse dans les rôles de vamps insultantes ou d’executive women aux dents longues, laisse toujours percer, même dans l’outrance et la morsure, une émotion qui saisit le cœur, un minuscule sous-texte qui intrigue et nous dit : aimez-moi comme je suis, je ne changerai pas de toute façon. Ce style d’héroïnes trop apprêtées et hautaines n’existe plus, la société médiatique n’en veut plus, par peur du désordre. Maureen donnait à la richesse ou du moins à ces atours, une fêlure et une forme d’abandon romantique. Elle a incarné des call-girls dont on ne connaissait que le prénom. Natacha ou Lauren débarquait dans la vie d’un cadre supérieur ou d’un professeur suppléant et rabrouait leurs appétits. Elle avait une façon de vous réduire en miettes sans filtre qui était éblouissante de hargne sociale et d’élégance insoumise. Dans Je vais craquer de François Leterrier, elle calme les ardeurs de Clavier en le tançant comme une maîtresse revêche : « Cessez de jouer à l’homme, ça ne vous va pas du tout ! »
A lire aussi: Art déco go home !
Cette actrice de grande classe que l’on regrette d’avoir si peu vue par la suite a figé notre mémoire. Je la vois assise à côté de Jean-Paul avec sa rivale Carla Gravina, l’Italienne aux cheveux courts dans L’Héritier. De telles secousses telluriques ébranlent les cerveaux les plus endurcis. Reverrons-nous, un jour, morgue aussi charmeuse dans les salles obscures ? Entendrons-nous encore cette voix ombrageuse aux intonations prussiennes qui douche les espoirs des garçons trop sûrs d’eux. Bien sûr, il y a l’allure bourgeoise, cet humour carnassier et puis cette liberté de ton qui désarçonne les hommes établis. Á quand le retour de Maureen au cinéma ? Nous l’attendons !
Je vais craquer – film de François Leterrier – Canalvod –
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !