Nous avons certes perdu la finale de la Coupe du monde, mais nous avons de quoi nous consoler. Car cette défaite nous aura révélé un poète.
À l’occasion de cette compétition, en effet, et, surtout lors de ses deux incursions dans les vestiaires des Français, Emmanuel Macron a définitivement évincé René Char. Avec dans la voix des accents qu’Assurancetourix n’aurait pas renié, le Président s’est imposé, on va le voir, comme le dernier de nos Romantiques. C’est du Musset qu’il nous a d’abord récité pour enfin reprendre à son compte, comme une exhortation à lui-même, la préface des Contemplations de Victor Hugo.
Notre Récitant de la République a d’abord fait taire tous les esprits chagrins qui déploraient l’organisation de cette compétition par le Qatar. Sport et politique ne pactisent jamais, c’est bien connu. À la veille du Mondial qatari, il a affirmé : « Il ne faut pas politiser le sport. » Jesse Owens s’est, comme chacun sait, aplati devant le racisme du Berlin nazifié de 1936. Tommie Smith et John Carlos n’ont pas non plus levé le poing à Mexico, en 1968, contre les suites de la ségrégation. Plus récemment, en 2016, Colin Kaepernick, n’a pas mis un genou à terre, durant l’hymne américain, geste qui est devenu l’un des symboles de l’adhésion au mouvement Black Lives Matter. Claquant définitivement le beignet aux Fâcheux, Emmanuel Macron a dûment précisé : « Que la question soit climatique ou qu’elle soit des droits de l’Homme, il ne faut pas se la poser à chaque fois que l’évènement est là. C’est au moment où on l’attribue qu’on doit se la poser ». Au diable les empêcheurs de kiffer sa best life en rond. Notre Résistant de la République « assumait » d’avance toutes ses virées au Qatar.
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D’ailleurs, quand on aime, on ne compte pas. Les allers-retours de l’A330 présidentiel et du Falcon qui l’accompagne ont couté 500 000 euros et généré 480 tonnes d’équivalent CO2, soit 53 ans de l’empreinte carbone d’un Français. « Sobriété énergétique ? », ont tenté encore les pisse-froid. « Peu me chaut » aurait rétorqué le locataire de l’Élysée. Il s’agissait d’être de la fête, « Quoi qu’il en coûte ». Alors, nous aussi, entrons avec joie dans les coulisses du match, à nous les vestiaires.
Mardi 13 décembre, demi-finale : victoire contre le Maroc. Lyrisme de notre Exultant de la République. Macron, c’était Musset dans On ne badine pas avec l’amour.
Ne lésinant sur la rime en « u » pas plus que sur le kérosène, le Président a d’abord emprunté les mots et les accents de Dame Pluche au début du proverbe de Musset, quand il s’agit d’annoncer au chœur le retour de Camille, promise à Perdican. Voyez plutôt. Pluche : « Jamais il n’y a eu de si pur, de si ange, de si agneau, et de si colombe que cette chère nonnain […] ». Et maintenant, Macron : « Les Français ont besoin de joies simples et pures, et le sport en procure, le foot tout particulièrement ».
Notre Protée a ensuite endossé le rôle de Perdican alors qu’il s’adresse à Camille, à la fin du deuxième acte. Macron à la presse : « On a vu beaucoup de cœur, on a parfois souffert, mais on a vu une très grande équipe ». Perdican à Camille : « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux […] et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé ». Ni vu ni connu, je t’embrouille, t’as le bonjour d’Alfred. Et notre chat noir d’ajouter, avant d’exploser définitivement son bilan carbone : « Didier Deschamps est là, avec sa baraka et son talent et on sera tous derrière donc […] on ramène la coupe, on la rapporte ».
Emmanuel Macron aurait été plus avisé de suivre l’exemple du président argentin, Alberto Fernandez : ne pas se rendre au Qatar pour éviter de porter la scoumoune à son équipe. Malheureusement, notre Président s’est pris pour une patte de lapin. Aussi, dimanche soir, à l’issue de ce match exceptionnel soldé par la défaite qu’on connaît, on a pu voir ledit Président défait, lui aussi, errer sur le terrain ou tenter d’apporter à Mbappé un réconfort que le joueur semblait résolument fuir.
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C’est simplement dans les vestiaires, cette fois encore, qu’Emmanuel Macron a recouvré son ton romantique et par là même la posture, marchepied de l’imposture. Éclipsant Didier Deschamps, Macron s’improvisant coach, des Bleus autant que de lui-même, a pris des accents hugoliens pour s’adresser une équipe chahutée par le destin. Les Bleus nous ont fait « vibrer » et « rêver » a-t-il d’abord déclaré en préambule. Puis, son discours a semblé lui échapper, ses mains battant frénétiquement la mesure, comme pour impulser à une parole inaudible la portée et le souffle.
« Ça » parlait, en Emmanuel Macron : une part de lui-même semblait s’adresser à l’autre, par-dessus la tête des joueurs. « Les leçons, vous les tirerez. Y’ aura sans doute des regrets après ce match […] Quand y manque un truc, dans la vie, c’est pareil, c’est le foot, c’est le sport […] » Soudain, il a décollé : remerciant « celles et ceux » qui « allaient peut-être quitter le maillot », il a poursuivi : « y’en a plein qui sont très jeunes et qui vont en faire beaucoup d’autres [des matchs], plus que moi comme Président, dites-le-vous bien, donc vous allez en gagner, des autres parce que vous avez une expérience embarquée qui est dingue. Voilà, ce soir, ça va être dur, mais, dès demain, on est reparti à l’assaut, c’est comme ça qu’on les gagne. En tout cas, moi, je suis fier de vous ».
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Tudieu ! Ça sonnait comme la préface des Contemplations ! :
« Cela commence par un bruit du clairon de l’abîme.
« Une destinée est écrite là, jour à jour.
« Est-ce donc la vie d’un homme ? Oui et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez-donc ce miroir et regardez-vous y. […] Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous […] Ah ! Insensé qui croit que je ne suis pas toi ! »
Mais, Victor Hugo m’intime de me taire, me rappelant, à toutes fins utiles, qu’entre lui et son épigone, il y a la même distance qu’entre Napoléon et Napoléon le Petit :
Sa grandeur éblouit l’histoire,
Quinze ans il fut
Le dieu qui traînait la victoire
Sur un affût ;
L’Europe sous sa loi guerrière
Se débattit.
Toi, son singe, marche derrière,
Petit, petit.
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