Je n’ai pas voté aux primaires. Faut-il en conclure que je n’adhère pas aux « valeurs de la gauche et de la République » ? En tout cas, j’ai raté le rendez-vous du Parti Socialiste avec la démocratie d’opinion.
Pourtant, si la gauche m’exaspère, la droite, elle, au mieux, me navre. Au moins côté sinistre, les plus audacieux affichent de sympathiques velléités néogaullistes, qui ne brillent pas par leur capacité à dépasser l’économie de marché mais ont le mérite de rompre avec l’orthodoxie libérale.
Du coup, je ne suis pas plus mal placé qu’un autre pour tenter d’analyser le principal événement de la soirée d’hier, la percée d’Arnaud Montebourg. Aux étourdis, je rappelle d’ailleurs les résultats : sur plus de deux millions de votants – lesquels ne suffisent pas cependant à garantir le résultat de la vraie élection si l’on se souvient que quatre millions de participants aux primaires de la gauche italienne n’empêchèrent pas, il y a quelques années, Walter Veltroni de finir terrassé par Berlusconi – 39% ont glissé un bulletin Hollande dans l’urne, 31% Aubry, 17% Montebourg et…. seulement 7% Royal[1. Je mets de côté les résultats piteux de Valls et Baylet, respectivement « socialiste » et « radical », qui pourraient concourir à la primaire du Modem, si le parti centriste respectait un semblant de démocratie interne.].
Sans faire preuve de cruauté inutile, l’échec cuisant de Madame « 17 millions de voix au second tour de la présidentielle » illustre l’éclatement de la bulle médiatique ouverte en 2006. Ah ces salauds de sondeurs qui vous apostasient après vous avoir baptisée ! La popularité et les effets de manche ne marchent qu’un temps, au bout d’un moment, le réel reprend ses droits. La recette est imparable : invoquez Delors et Chevènement dans une même phrase, jouez jusqu’à l’excès le numéro de la femme bafouée sûre de sa victoire, gargarisez-vous de votre défaite passée, mélangez le tout et vous obtiendrez… un bide retentissant.
Et Montebourg à 17%. Qui l’eût cru ? Certainement pas moi, lorsqu’au début de l’été, l’un des proches collaborateurs du député de Saône-et-Loire me confiait viser un score « entre 15% et 20% », porté par la conjoncture internationale. Eh oui, le démantèlement de Dexia, les plans d’aide à la Grèce qui n’en finissent pas, et l’abaissement occasionnel des notes souveraines espagnole ou italienne ont certainement joué en faveur du candidat de la démondialisation. Fût-elle incantatoire, la combativité de Montebourg a sans doute payé : lorsque tout s’effondre, le système financier, l’euro, et le libre-échange chéri, autant se tourner vers les Cassandre qui vous avaient annoncé la chienlit et vous proposent de remettre de l’ordre dans ce fourbi. Damer le pion aux banquiers, créer une agence de notation Potemkine[2. Pas besoin d’être Georges Kaplan pour comprendre que les agences de notation ne sont que des instruments d’ajustement aux mains des marchés et qu’il ne suffit pas de casser le thermomètre (ou d’en fabriquer un pipé) pour dompter la fièvre financière]- pardon nationale- relocaliser une économie à dominante coopérative, en voilà des thématiques alternatives qui séduisent le chaland en quête de nouveauté !
Avec tout cet attirail dans son fourreau, Arnaud Montebourg a probablement phagocyté la gauche de la gauche et, au-delà, une bonne partie du Non au Traité constitutionnel européen, orphelin depuis un certain 29 mai 2005. Le ralliement – pas toujours enthousiaste – à Martine Aubry des emmanuellistes, hamonistes, proches de Quilès et Lienemann et de toute l’aile gauche n’a pas empêché Montebourg de remonter ses concurrents durant la dernière ligne droite. Le caractère ouvert de la primaire n’a pas reproduit les subtils équilibres au sein d’un parti aussi sclérosé que le PCUS brejnevien. Au contraire, l’absence, dans son entourage, de figures de poids a potentiellement renforcé l’image d’outsider de Montebourg, trop heureux de ruer dans les brancards devant le premier potentat marseillais venu. Il se pourrait même que les affaires Guérini, Takieddine, Bourgi et Djouhri aient favorisé l’émergence du Torquemada de Macon, que sa croisade contre la corruption et les paradis fiscaux a longtemps enfermé dans le costume de grand inquisiteur. Ajoutez à cela les performances remarquées- quitte à sombrer dans les outrances anti-sociaux-dems du candidat protectionniste lors des trois débats télévisés, où il s’illustra par la hauteur de son verbe et l’originalité de ses propositions, et vous comprendrez une partie de son exploit du jour.
De facto, Montebourg devient le nouveau leader de l’aile gauche, Benoît Hamon n’ayant plus assez d’yeux pour pleurer à force de s’être enferré dans l’emploi inconfortable de porte-parole aubryste du PS. Fils adultérin du couple improbable Eva Joly-Bernard Cassen, « Monsieur démondialisation » devra désormais faire fructifier son capital électoral.
À entendre ses soutiens, il s’agit en effet d’inscrire ce succès dans la durée, par-delà les (légitimes) ambitions personnelles de leur leader. Oubliées les alliances broussailleuses avec Moscovici, les combinazione avec Royal puis Aubry ? N’allez pas trop vite en besogne, les amis. On me murmure qu’une alliance avec François Hollande se fait jour. Vous vous souvenez ? Le candidat encore honni hier matin, social-démocrate « mou », figure du « système » qui voudrait que tout change pour que rien ne change. Pour un peu, moyennant quelques concessions de fond et, cela va sans dire, une flopée de retours d’ascenseur, Guy Mollet se transformerait en Mitterrand 2.0 (le quasi-socialiste d’Epinay, pas celui des Croix-de-Feu ou de la « parenthèse » libérale 1983-1995).
Bon, arrêtons là nos spéculations. Quand bien même Montebourg se vendrait à Hollande (ou d’ailleurs à Aubry, même topo chez ces deux jospiniens bon teint), rien de nouveau sous le soleil. Quoiqu’en disent les grands mythes de la gauche, l’histoire politique est celle d’un éternel cocufiage, les héros d’hier mutant régulièrement en traîtres d’aujourd’hui, et réciproquement.
Montebourg est sorti vainqueur du match des « petits candidats ». Pour créer un courant à la gauche du PS ? Monnayer quelques postes bien placés dans le gouvernement du (très hypothétique) président Hollande ? Jouer le tout pour le tout en pariant sur la défaite de la gauche histoire de s’ériger en homme providentiel au milieu des ruines socialistes dès mai 2012 ?
Et si ces hypothèses ne s’excluaient pas ? Après tout, comme disait le presque regretté Michel Poniatowski, à droite, à gauche, et sur les côtés, l’avenir n’est écrit nulle part…
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