La première fois que j’ai vu Jean-Luc Mélenchon à la télé, c’était à l’occasion de la pré-campagne du PS préalable au célèbre congrès de Rennes de 1990. Nous étions deux copains, moi déjà disciple de Séguin, lui plutôt sympathisant socialiste. Nous avons écouté celui qui présentait une motion en compagnie de Julien Dray et, à la fin de l’intervention, nous nous sommes regardés, perplexes. Je ne sais plus bien lequel a dit à l’autre : «Tu as compris quelque chose, toi ? »
– « Non, rien du tout. »
Et nous avons éclaté de rire. C’était du Rocard en pire. Depuis, le président du Parti de gauche a fait du chemin. Il est devenu plus… direct, pourraient dire David Pujadas, Laurence Ferrari et Arlette Chabot.[access capability= »lire_inedits »]
Mélenchon est une personnalité plus paradoxale qu’on ne le laisse entendre, ou qu’il ne le laisse transparaître lui-même. Il souhaite, semble t-il, cultiver l’image la plus sectaire possible afin de bien montrer dans quel camp il se trouve. Ainsi a-t-il expliqué qu’il ne commettrait pas une tribune avec un « noniste » de l’autre rive en déclarant : « C’est un homme de droite. » Mais, au risque de brouiller l’esprit de ses partisans, il n’hésite pas non plus à rosser Reding quand tout le monde, à gauche, la porte au pinacle, à défendre Zemmour ou Dati ou à déclarer devant un auditoire ébahi que la meilleure rubrique internationale d’un quotidien français est celle du Figaro.
Qu’ils s’en aillent tous ! donc, est le titre, marketing au possible, de son dernier livre[1. Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, une révolution citoyenne. Flammarion. 144 pages.].Un croquis, écrit-il. Une intro, cinq parties et une conclusion. Court, direct, clair. Viril, aussi. Simple sans être simpliste. Aucune de ses lignes ne laisse indifférent. On est vraiment d’accord ou pas du tout.
Curieusement, ce n’est pas là où je l’attendais que le nouveau héraut de la « révolution citoyenne » m’a plu et déplu. Sa troisième partie, par exemple, « Sortir du traité de Lisbonne », aurait dû me remplir d’aise. Enorme déception ! Alors qu’il dit adieu au fédéralisme européen auquel il reconnaît avoir cru à tort, il ne remet nullement en cause l’euro. Etant entendu que « cette Europe n’est pas la solution mais le problème », il lui faudra bien aborder le sujet de la nécessaire renationalisation de la monnaie, au risque de passer pour un nationaliste en sus d’un populiste.
Les Minc, Duhamel et autres Attali s’appuieront évidemment sur la deuxième partie, « L’autre partage des richesses », pour renouveler à son encontre l’accusation de populisme. Personnellement, je l’ai trouvée plutôt raisonnable. Que, dans une entreprise, l’écart entre le salaire le plus bas et le plus élevé ne puisse aller au-delà de 1 à 20, cela relève du simple bon sens. C’est d’ailleurs le cas dans la majorité des PME de notre pays. Quand Mélenchon fustige les 15 000 qui se « goinfrent », on imagine son visage plein de colère. Au risque de ne pas me faire un copain de ce bouffeur de curé, je pense à un célèbre chasseur de marchands du Temple, balançant tous les étals.
J’ai eu un peu les jetons avant d’entamer le chapitre consacré à « La planification écologique ». Planification, ça me parle : je pense à la Datar, à Olivier Guichard. Mais écologique ? Pouah, j’ai l’impression de voir débouler Eva Joly et Cécile Duflot main dans la main. Cauchemar garanti. Mais, exception faite de la lubie consistant à vouloir sortir du nucléaire pour investir dans la géothermie – comme si on ne pouvait pas faire les deux – le reste n’est pas si effrayant. Dénonçant à juste titre le fait qu’un blue-jean parcourt les milliers de kilomètres − avec tout le CO2 qui en résulte − qui séparent l’ouvrier à bas prix du consommateur aisé, Mélenchon propose de promouvoir un protectionnisme environnemental de bon aloi. Mais ne lui dites pas que cela ressemble un peu à la « taxe carbone aux frontières » dont a parlé le Président de la République ; il aurait vite fait de vous traiter de petite cervelle. Et il n’aurait pas complètement tort. Car le Président parle là où on espère que Mélenchon agirait. Encore que. À la lecture des pages consacrées à la refondation républicaine, on peut s’interroger. Sa critique de la monarchie présidentielle témoigne d’un mitterrandisme franchement mal digéré. Mélenchon peut-il croire que la Ve République chère au Général − auquel il sait se référer en matière de politique étrangère − est encore en vigueur ? De plus, il n’est pas très cohérent de vouloir supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct et de réclamer que le patron de France Télévisions soit élu par ceux qui paient la redevance. Comprenne qui pourra !
Jean-Luc Mélenchon ne sera pas mon choix du premier tour. Mais, j’espère bien qu’il sera candidat car, avec lui, on est sûr de ne pas s’ennuyer pendant la campagne. [/access]
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