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Et maintenant?


Et maintenant?
Image d'illustration Pixabay

Au lendemain des espérances déchues…


Il y a les somnambules, chers à Herman Broch, et il y a les exaltés. Les deux pouvant aisément se retrouver dans le même homme, tel que cela se cristallise chez le maniaco-dépressif, en son genre matriotique.

Aujourd’hui, c’est à toutes « les sorcières modernistes », chères à Philippe Muray, que je pense. Les sorcières modernistes, de l’un et l’autre sexe cela va sans dire. En lieu et place du Père, elles nous proposent la Femme à majuscule, Europa la Hors sexe, la Bonne Mère des fils déguisés en père. Transfert direct, sans retour ni médiation.

La guerre, le retour du tragique ainsi qu’il est rabâché – comme si ce tragique nous avait jamais quitté ! Ce qui nous a quitté, c’est la faculté à l’habiter, en revenant au cours ordinaire de l’humanité, celui de notre condition de mortel – est l’occasion pour les sorcières modernistes d’affûter les nouveaux sortilèges ! Elles usent de tout, sous toutes sortes de références glorieuses et impériales, à la Démocratie universelle et à la Science, pour « enthousiasmer les populations, obtenir leur obéissance, et même leur participation et les conduire, sans trop de problèmes, vers un avenir abominable. » (quatrième de couverture, Le XIXe siècle à travers les âges, de Ph. Muray).

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Nombreux se réjouissent de la fabrique en cours d’une humanité occidentale qui, s’estimant libérée et supérieure, croit pouvoir vivre au-delà du mur du langage (= de la loi généalogique), même si d’autres, dans les familles comme dans la société, doivent pour eux en payer le prix.

D’avoir dès la fin de la décennie 70 légitimé, sous la pression européistes des lobbies lgbtistes, le transsexualisme, puis d’avoir fait de l’homosexualité, position subjective quant au sexe, un état normatif de la personne, les législateurs français ont cédé sur l’essentiel : sur la fonction « paternelle » hautement symbolique de l’État. La dé-Raison inhérente à la logique du fantasme a pris force de loi. La « nouvelle anthropologie », juridiquement verrouillée, s’est banalisée. Le monde intellectuel, jusqu’aux psychanalystes, s’aveugle, refusant de considérer la régression identificatoire qui est constitutive des symptômes de la dé-civilisation en cours.

Nouvelle doxa

Les idéaux du moi, autrement dit, tels que Freud en fit résonner l’articulation, les idéaux culturels, juridiquement noués, qui bien en amont des familles régissent symboliquement l’ordre de l’identification des sujets – via la mise en scène des figures parentales Mère et Père soutenues par le couple homme / femme – ont été irradiés par l’idéologie lgbtiste. Les idéaux du moi culturels, supports de l’identification des jeunes générations, ont été juridiquement mis au pli du mythe subjectif confusionnel homo-parental, celui des « parents combinés », sexuellement indifférenciés. Dans ce mythe subjectif parental, d’avant la différence des sexes (en jargon de psychanalyse, préœdipien), le père, subverti comme tel, comme tiers œdipien, ne peut se trouver requis que comme une sorte de mère-bis. Dès lors la scène familiale, de plus en plus dé-triangulée, fonctionnant sur le mode imaginaire, duel, de la séduction/rejet, ne peut plus opérer comme espace tiers, lieu premier de la métabolisation de la haine et du ressentiment originaires inhérents à l’animal parlant… L’amour se trouve confondu aux séductions narcissiques, incestueuses…

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Alors, ma conclusion ? Eh bien c’est que pour ne pas s’opposer, comme il y conviendrait, en rigueur et mesure, à la nouvelle normativité trans/homosexualiste, nous ne préparons guère les garçons et les jeunes hommes à devenir des pères, j’entends là des pères en capacité, avec l’aide des mères, de reconnaître et de déjouer la haine, la rivalité œdipienne des fils (de l’un et l’autre sexe). Y a-t-il encore des parents, parents institutionnels compris, suffisamment dégagés du narcissisme social ambiant, de l’idéologie individualiste du sujet-Roi, le sujet auto-fondé dans son fantasme, pour soutenir en fermeté et en tempérance, bien que de façon toujours plus ou moins boiteuse, le conflit structurant avec les adolescents d’aujourd’hui ? Y a-t-il encore des parents en capacité de contrarier, le temps qu’il faut, et cela bien sûr sans les rejeter pour autant, les chéris de l’un et l’autre sexe ?

Lana Wachowski, la réalisatrice des films « Matrix », San Francisco, décembre 2021 © Noah Berger/AP/SIPA

Comment dès lors pourrait-on s’étonner et se plaindre que notre société fabrique des violents et des immatures en série ?

L’idéologie trans, venue dès la décennie 70 des USA, et plus précisément encore, des milieux féministes (comme Sollers le releva parmi les premiers, repérant le lien profond existant entre l’hystérie et la promotion culturelle de l’inversion), a ouvert la boîte de Pandore, celle du règne du fantasme, avec sa double dimension, incestueuse et meurtrière. Au nom de la tolérance nous croyons pouvoir vivre impunément au-delà de la Loi commune, comme une espèce d’humanité supérieure. Mais à ne pas vouloir nous rendre à la condition ordinaire, au sort commun, à croire pouvoir vivre ainsi au-dessus de nos moyens psychiques, nous ne faisons qu’alimenter la dé-civilisation des liens familiaux et sociaux, aussi déguisée en Progrès ou Nouveau monde soit-elle. D’aucuns, bons chrétiens œcuménistes, appellent cela  » l’émancipation européenne« , atlantiste of course. Mais le grand Orgueil occidental, réveillant les volcans éteints, rencontre de plus en plus un os, le mur de ceux qui ne sont pas nous… Qui ne sont pas nous, mais tout aussi capables du pire que l’Occident de haute culture l’a été…

Si Sollers s’égare peut-être parfois dans sa critique de « la France moisie » – critique dont on ne peut négliger toutefois les diverses résonances –, il demeure, tel un René Char, un de ces très rares qui très tôt a vu venir la nouvelle dévastation, repérant les sources féministes de ce qu’on isole aujourd’hui sous les traits les plus rebutants du wokisme. Dévastation dont il devient dès lors possible de continuer à négliger les causes historiales et culturelles les plus profondes, et l’étendue des dégâts. ..

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Dans son dernier ouvrage (Graal), ne cédant rien à la doxa du « contorsium LGBT« , Sollers rappelle la prophétie du philosophe maudit, le maudit Heidegger : « Comme l’a dit, dès 1941, le seul penseur de l’époque, l’homme moderne, celui des  » Temps nouveaux « , est sur le point de se faire l’esclave de la dévastation. »

Et maintenant, Pasolini (dans une lettre écrite la veille de son assassinat):

« Comme c’est simple, quand moi je suis d’un côté, et toi de l’autre.
L’autre – ou les autres, les groupes – viennent vers toi ou t’affrontent – avec leurs chantages idéologiques, avec leurs prêches, leurs anathèmes, et tu ressens qu’ils constituent aussi une menace. Ils défilent avec des banderoles et des slogans, mais qu’est-ce qui les sépare du « pouvoir » ? Mais moi je dis qu’en un certain sens, tous sont faibles, parce que tous sont victimes. Et tous sont coupables, parce que tous sont prêts au jeu de massacre. » 

Alors oui, à méconnaître le meurtrier en l’homme, le meurtrier chez l’autre, chez les autres, comme en nous, comme le Mr Hyde en nous, et plus encore, à s’aveugler, tel que le promeut une anthropologie sociale sinistrée, sur les conditions logiques, structurales, de la civilisation du meurtrier en l’homme, nous sommes en danger. Et ce n’est pas en demeurant dans les modes d’analyse du siècle passé, en mettant en avant la seule question économique, gestionnaire, ou la seule question sociale, au détriment de la question généalogique, qu’on pourra y surseoir !

Prisonniers de leurs propres affects anti-généalogiques, de plus en plus nombreux sont ceux, de tous bords, qui ne veulent et ne peuvent plus mettre en cause l’habillage moderniste et les prédications progressistes sous lesquels opère la déconstruction en cours des digues du droit civil. De la dé-civilisation occidentale ils chérissent les causes. Et quant à l’inestimable objet de la transmission (P. Legendre), ils se battent les flancs. Au fond, pour eux, la sacralité, la transcendance, la foi, paraissent d’un autre temps, elles sont d’autres territoires. Ces territoires auxquels la Mission doit apporter Lumières…

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Et maintenant?

La France continuera de suivre « le mouvement général de l’Occident en proie à l’idéologie d’un individualisme multiforme et radical que n’arrête aucune antinomie. Mais, on ne peut mettre à sac le principe de non-contradiction, autant dire défier la Raison à l’échelle politique et sociale sans produire sur le long terme des effets de violence inattendus.
Et alors, comment conclure? « En attendant les Barbares », serais-je tenté de dire, en prenant au pied de la lettre le titre du fameux poème grec de Constantin Cavafis
. » (Pierre Legendre, dans Majesté des images, Revue politique et parlementaire, janvier-mars 2022).

Notez bien la formule : « un individualisme multiforme et radical que n’arrête aucune antinomie »…


EN ATTENDANT LES BARBARES

« Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora?
On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.
Pourquoi cette léthargie, au Sénat?

Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.

À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.

Pourquoi notre empereur s’est-il levé si tôt?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que notre empereur attend d’accueillir
leur chef. Il a même préparé un parchemin
à lui remettre, où sont conférés
nombreux titres et nombreuses dignités.

Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
sortis aujourd’hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées?
Pourquoi ces bracelets sertis d’améthystes,
ces bagues où étincellent des émeraudes polies?
Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses
finement ciselées d’or et d’argent?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.
Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l’ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que l’éloquence et les harangues les ennuient.
Pourquoi ce trouble, cette subite inquiétude
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?

Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu’il n’y a plus de Barbares.

Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution. »

Traduction du grec: Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras



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