« Être logé, c’est le commencement d’être. La France a eu très tôt des frontières, elle a eu très tôt un logement, avant même d’exister de façon formelle » écrit Fernand Braudel dans son maître ouvrage L’identité de la France. Ainsi, débattre de la pertinence du maintien de frontières physiques aux marches du pays ne saurait se réduire à la seule question de la « libre circulation des personnes et des biens », le couplet tant de fois seriné et sur la base de quoi on a pondu la trouvaille délétère de Schengen. L’historien Fernand Braudel nous ouvre la voie. Si être logé, avoir des frontières, c’est « commencer d’être », nier ces frontières, les effacer, renoncer à leur matérialisation comme on l’a laissé faire et comme l’Europe ne cesse non seulement de le revendiquer mais surtout de le promouvoir, ne serait-ce pas tout bonnement commencer à ne pas être ?
Indispensables frontières
C’est bien ce à quoi nous assistons. Sans frontières définies, inscrites sur le terrain, l’espace national se dilue à terme dans un espace de moins en moins identifiable et se trouve, au bout du compte, amené à se fondre dans une forme d’abstraction. Car, qu’est-ce que l’Europe qu’ils nous ont tricotée sinon une abstraction ? Une abstraction à vingt-sept – en attendant mieux, vingt-neuf, trente ? – prétendument régie par des lois qui ne sont plus l’expression de l’histoire, de la culture, de la spécificité des peuples mais un assemblage relevant bien davantage du bricolage technocratique que de la traduction de la volonté des nations et des citoyens. Cela donne un pseudo corpus juridique de plus en plus rejeté par ces mêmes citoyens parce qu’il leur est impossible de s’y reconnaître, d’y repérer l’empreinte de leur héritage, de leurs racines, l’expression de leur sensibilité singulière, de leurs spécificités mentales, morales, intellectuelles. On le voit bien au dogme sans cesse asséné de la prétendue conformité de la loi européenne au concept de « Droits de l’Homme ». Là encore, abstraction ! L’homme, quel homme ? L’homme universel, éternel, identique à lui-même en tous lieux et de tous temps, l’humain déshumanisé, l’humain réduit à la qualité improbable de concept. Quelque chose comme un énième avatar de la lubie de « L’homme nouveau », cette promesse intenable de toutes les révolutions, celle du bienfaiteur de l’humanité Maximilien de Robespierre en particulier. L’homme nouveau, l’abstraction culte, celle qui ne peut être imposée aux peuples que par la force, la violence, la terreur. Relisons donc Hegel là-dessus[1].
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Et si la dilution de notre être faisait l’affaire des fédéralistes ?
La dilution, conséquence du dogme du sans frontières, n’est pas que géographique dans ses conséquences, elle est essentiellement culturelle et civilisationnelle. Elle constitue bel et bien le premier pas du « ne pas être ». Du « ne plus être », en l’occurrence. Cela dit, n’est-ce pas tout simplement le but inavoué de ses promoteurs et zélateurs ? Que les peuples constitués en nations se dissolvent en une masse indifférenciée et la plus nombreuse possible de non-citoyens réduits à la dimension de producteurs-consommateurs asservis et dociles ? J’entendais le candidat d’une liste européiste, clamer, pontifiant et suffisant comme il se doit : « Qu’est ce qui nous séparait de nos voisins italiens, espagnols, belges, allemands, à part une vague frontière commune ? Rien, ou si peu. Donc la création de l’Europe allait de soi. » Rappelons tout de même à ce bel esprit que la France a aussi une frontière commune avec le Brésil. Qu’attendent-ils donc pour faire entrer ce pays-là, au demeurant magnifique et respectable, dans leur belle Europe ?
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Contrairement à ce qu’ils osent affirmer, la frontière matérialisée n’est pas un véritable obstacle à la circulation des personnes et des biens. Elle implique seulement que celui qui la franchit puisse prendre conscience de passer d’un pays à un autre, d’une nation à une autre, d’un peuple à un autre. Ce qui ne peut être pour lui qu’un enrichissement. De plus, si la re-matérialisation pouvait contribuer à endiguer si peu que ce soit la quasi libre-circulation des drogues, des terroristes et des passeurs, cela constituerait à n’en pas douter un avantage non négligeable. Bref, le droit au logement, une revendication urgente à exprimer, me semble-t-il. Bulletin de vote en main, dimanche prochain.
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[1] Principes de la philosophie du droit, 1820
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