Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, disque ou objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Ce dimanche, il a ressorti quelques trésors de la période 1981/1982 au moment de l’alternance politique, une sélection iconoclaste à base d’Aldo Maccione, de Marcel Achard, de Philippe Timsit et de René Bellotto
La comédie et la nostalgie guident les peuples opprimés. Les gouvernements passent, les chambres se défont, les gloires d’hier à l’hémicycle se recyclent sur les chaînes d’info, l’arrière-cuisine électorale soulève des haut-le-cœur, le citoyen est souvent trahi mais le public ne change pas.
Dominique Lavanant amoureuse d’Aldo Maccione
Il veut rire et se souvenir. Il n’a que faire des démonstrations artistiques à vocation égotique et des roulements de tambour. Il trouve son bonheur dans des films sans prétention, sans message, sans intimidation, idiots parfois, ineptes pour certains, mais empreints d’une tendresse qui semble aujourd’hui être la marque d’une faiblesse de caractère. On a peur d’être tendre dans ce pays saisi de tremblements. Et pourtant, on ne se déshonorera jamais à être tendre, c’est même la seule attitude qui peut nous racheter. Vous enlevez la tendresse, il reste l’amertume et la colère, la violence et l’indifférence, elle seule peut atténuer la douleur d’être au monde. En mai 1981, la gauche vient de l’emporter, de l’ombre à la lumière, les damnés de la terre auront leur quart d’heure de célébrité. L’espoir est grand d’un changement, les haines resucées pourront bientôt s’exprimer au grand air, il y aura des purges et des cabales, des martyres et des gagnants, des déballages et des mises au placard. L’homme de la rue regarde ce spectacle, à distance, effaré par sa classe politique, son absence de colonne vertébrale et la marchandisation des idées à la criée. En 1981, chacun prend les avantages sociaux qu’on lui tend et observera la valse des ministères, avec une prudence de paysan. En juin, un mois plus tard, après l’accession de Mitterrand à l’Elysée, dans les cinémas de France, sort « Pourquoi pas nous ? », une comédie sentimentale de Michel Berny à qui l’on doit quelques épisodes de « Petit-déjeuner compris », la meilleure série télé française de ces cinquante dernières années. On aurait pu s’attendre à un film d’alternance au manichéisme désolant, à un foudroiement des bonnes consciences, Allende et crise de la sidérurgie dans le bassin lorrain, poing levé et cultureux en A.G, on a droit à une « petite » fabrique du rire, sous-éclairée, emmenée par quelques vedettes, presque poussive dans sa narration, sans éclat et sans profondeur, vulgaire car trop populaire ? Il est temps de faire son auto-critique. « Pourquoi pas nous ? », malgré quelques lourdeurs non-déplaisantes est d’une permanence que l’énoncé de son pitch ne laisse pas percer à priori. En effet, la rencontre entre une librairie de Carpentras (Dominique Lavanant), vieille fille prise de strabisme sous le coup de l’émotion et d’un catcheur surnommé Cro-Magnon (Aldo Maccione) à la pilosité envahissante, pourrait laisser dubitatif, voire même inquiet quant au résultat. Croyez-moi, derrière un nanar revendiqué, il y a toujours un film plus personnel, plus délicat qu’il n’y paraît. La poilade n’est que l’écume des choses. Une forme de courtoisie à l’égard des spectateurs intimidés par les intellos du trémolo. On ne leur dit pas : « Venez voir un grand film dramatique où l’expression des sentiments atteindra son paroxysme ». On leur dit : « Venez voir ce petit film marrant, il y a Aldo, Jugnot, Maurice Biraud, Daniel Russo en marchand d’articles de sport et même Guybet en flic qui roule dans un break R18 ; la semaine a été pénible, vous avez mérité un bon divertissement sans prise de tête ». C’est un mensonge, car on oublie assez vite le côté farce pour ne s’intéresser qu’à la psychologie de nos deux anti-héros. Aldo se révèle plus tendre que d’habitude, abandonnant son côté garçon de plage sans perdre son accent délicieux. Et Dominique Lavanant, la plus « Hussarde » des comédiennes, déploie un jeu ample, impressionnant par son étendue, de la gaucherie à la pudeur, du rire aux larmes. On croyait rire, on a ri effectivement, mais on a été émus par quelques réminiscences du passé, une librairie de province, un combi Volkswagen jaune, en somme, une absence de gueulardise, le contraire de nos époques bavardes.
Pierre Mondy et Michel Duchaussoy jaloux
Même impression d’une « qualité France » lorsqu’on visionne « Patate » de Marcel Achard avec Pierre Mondy et Michel Duchaussoy, deux vrais-faux amis qui se jalousent et se détestent, sans oser rompre leur relation. Ce mano à mano, pleins de sous-entendus et d’ironie siffleuse, est un pur bonheur à l’oreille. On redécouvre un monde disparu et le charme de Clémence Amouroux nous saute aux yeux, alors que l’on ne connaissait pas son existence hier encore. Mea culpa. Et on ne se laissera jamais d’admirer Marie Dubois. On en fait ici le serment.
Durant cette première année de septennat, la rupture tant prônée, n’empêche pas la mélancolie de toquer à notre porte. La modernité ne serait-elle qu’un leurre ? Philippe Timsit chante « Henri, porte des lilas », il se souvient d’un bassiste, du Golf Drouot et des yéyés, les lumières de l’Olympia se sont éteintes pour celui qui est rentré du service. Et je relis chaque été, le roman de René Belletto, Sur la terre comme au ciel qui fut adapté au cinéma par Michel Deville en 1985 sous le titre « Péril en la demeure ». Sa dernière phrase ne me quitte pas : « À treize heures, Vivane et moi, nous nous envolâmes pour Malaga ». Cohabitation ou pas.
Pourquoi pas nous ? de Michel Berny – CanalVod
Patate de Marcel Achard – INA Madelen
Henri, porte des lilas de Philippe Timsit
Sur la terre comme au ciel de René Belletto – J’ai lu – Numéro 2943