« Islamofascisme ! », disent les uns (Valls, Estrosi, etc.). « Nazislamisme ! », clament les autres (Ivan Rioufol, évoquant la figure du grand mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, grand copain d’Hitler dans les années 1930-40). « Amalgame ! » beuglent les bien-pensants — ceux qui voient dans toute critique de l’Islam la preuve d’une islamophobie galopante. Ma foi (si je puis dire…), dans ce cas précis, ils n’ont peut-être pas tort. Fascisme et nazisme étaient des mouvements originaux, que l’on n’aurait pas appelé « néo-bonapartisme » sans une grave distorsion de l’Histoire — de même que Le Coup d’Etat permanent de Mitterrand à propos de De Gaulle était de la bonne polémique mais de la mauvaise Histoire. L’islamisme est une trouvaille moderne.
À la rigueur, le seul mouvement d’époques antérieures avec lequel on pourrait le comparer, ce sont les croisades. La vraie union du sabre et du goupillon. Sous le signe du croissant et non plus celui de la croix. Des croissantades, en quelque sorte.
Mais voilà : la chrétienté a renoncé aux croisades depuis celle des Albigeois, et ça date. L’Espagne elle-même a renoncé à l’Inquisition en 1834. L’Église a renoncé aux interférences massives entre l’éternel et le temporel. Qu’elle ait eu tort ou raison d’agir ainsi, d’un point de vue commercial, est une autre histoire. Que Vatican II ait dissous les conditions même de la Foi, terreur et pitié, peut-être — mais ce n’est pas mon problème, chacun se suicide comme il veut. Et si, au lieu de lancer une nouvelle Contre-Réforme, on préfère passer les cours de catéchisme à faire dessiner des Mickeys en croix, grand bien leur fasse.
L’Islam fondamentaliste, wahhabite, salafiste, celui des Frères Musulmans, de l’Etat islamique, Boko Haram et Al-Qaïda n’aime pas les petits dessins, lui. Il n’a pas le temps (d’ailleurs, comme je l’ai déjà souligné ici, le temps ne fait pas partie de son univers : l’Islam œuvre dans l’éternité des certitudes inoxydables). Il conquiert le monde. Il est un totalitarisme. C’est là le seul terme générique que nous pouvons décemment utiliser.
Entendons-nous : la liste susdite des grands nauséabonds ne fait pas grand monde en proportion — 10 à 15% des Musulmans, estiment les divers services secrets —, mais cela regroupe tout de même quelques centaines de millions de siphonnés dans le monde. De quoi empêcher Caroline Fourest de dormir. Elle et les illuminés du sécularisme qui avaient, dès 2006, signé un Manifeste contre le nouveau totalitarisme. Des Musulmans, pur la plupart. Ils ont tous plus ou moins depuis cette époque des fatwas suspendues au-dessus de la tête.
2006 ! Comme l’a écrit avec force Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie à l’Unesco, dans un article remarquable, tout était prévisible. Depuis longtemps : « Écrit, pas par la main d’Allah dont les islamo-fascistes ont souillé jusqu’à la magnificence et rabaissé la majesté, mais par trente années de laxisme, d’angélisme et de conformisme malséant au pays de Voltaire. Écrit par les concessions aux tenants de l’islam identitaire, holistique et totalitaire, au nom de la démocratie et de la tolérance républicaine. De la question du voile islamique au massacre tragique de Charlie Hebdo, en passant par l’affaire Redeker ou la conférence du pape Benoît XVI à Ratisbonne, que de chemin parcouru dans la capitulation, l’altération de la laïcité et la subversion de la démocratie. Que de reculs des Lumières face à l’obscurantisme! Que de coups portés au modèle de civilisation occidentale devant la barbarie islamiste! »
Recul des Lumières : ce n’est pas une guerre, au sens que l’on donne ordinairement au terme, où deux (ou plusieurs) adversaires clairement identifiés s’affrontent dans un espace géographique plus ou moins délimité. Pas même un conflit de civilisations, n’en déplaise aux lecteurs de Samuel Huntington. C’est un conflit de cultures. L’Encyclopédisme contre le Coran. La philosophie contre la Foi. Les Lumières contre la nuit.
Christian Estrosi, avec sa « troisième guerre mondiale », doit bien avoir aussi une petite idée régionale derrière la tête, en venant chasser sur les terres du FN (mais est-ce être FN que de dire la vérité ? On se souvient de Tartuffe : « C’est être libertin que d’avoir de bons yeux »). Certes, la Côte d’Azur (qui en l’occurrence commence à Perpignan) n’est pas Paris, ville fictive que les ministres croient être la France. Certes, sortir à Marseille est une expérience ethnique particulière. Certes, arrivant récemment de la capitale, j’ai entendu l’un de mes compagnons de train sortir son portable boulevard d’Athènes (au bas des escaliers de la gare Saint-Charles) et appeler un de ses copains restés là-haut bien à l’abri : « Incroyable ! Zemmour a raison ! Le grand remplacement, ici, il a commencé… »
Ça me rappelle une blague locale. Des gabelous de la brigade maritime interceptent une barque avec quatre Nord-Africains à bord, ramant vers Marseille. « Que faites-vous ? » « Nous venons envahir l’Europe. » Hurlements de rire des douaniers. « À quatre ? Vous n’avez pas peur… » « Ah, mais nous, nous sommes l’arrière-garde. Le reste de l’armée a déjà débarqué… »
Foin de plaisanteries : les 350 000 Musulmans marseillais sont très majoritairement français, et n’ont aucune envie réelle de retourner au bled (un lieu proche de l’Enfer, où l’on n’a pas toujours une prise pour recharger son smartphone ou sa playstation) ou d’en importer les pratiques barbares — à commencer par la langue, qu’ils ignorent pour la plupart allègrement, surtout l’arabe classique du Coran. Alors, parler de « cinquième colonne » est un grossier abus de langage. La référence aux Allemands infiltrés avant la dernière guerre (y en eut-il tant que ça ?) est même inadéquate : nous exportons des terroristes, nous, en ce moment, bien plus que nous n’en importons. Du produit Made in France. Cervelles garanties vides. La politique des ZEP s’en est chargée depuis vingt ans.
À noter que le mot « guerre » n’a pas été inventé par Estrosi. Il y a deux mois, après les attentats parisiens, Umberto Eco avait averti : « Siamo in guerra. L’ISIS è il nuovo fascismo. » Mais là encore, le démon de l’analogie avec le nazisme avait frappé.
Il faut remonter un peu plus en arrière pour trouver une analyse un peu sérieuse sous la plume d’un intellectuel. Arturo Perez-Reverte, qui a vu de près la guerre de Bosnie (il y était correspondant) n’a aucun doute sur la nature de la guerre en cours : « Es la guerre santa, idiotas ! ». Et de préciser : « . Y no necesito forzar la imaginación, pues durante parte de mi vida habité ese territorio. Costumbres, métodos, manera de ejercer la violencia. Todo me es familiar. Todo se repite, como se repite la Historia desde los tiempos de los turcos, Constantinopla y las Cruzadas. Incluso desde las Termópilas. Como se repitió en aquel Irán, donde los incautos de allí y los imbéciles de aquí aplaudían la caída del Sha y la llegada del libertador Jomeini y sus ayatollás. Como se repitió en el babeo indiscriminado ante las diversas primaveras árabes, que al final -sorpresa para los idiotas profesionales- resultaron ser preludios de muy negros inviernos. Inviernos que son de esperar, por otra parte, cuando las palabras libertad y democracia, conceptos occidentales que nuestra ignorancia nos hace creer exportables en frío, por las buenas, fiadas a la bondad del corazón humano, acaban siendo administradas por curas, imanes, sacerdotes o como queramos llamarlos, fanáticos con turbante o sin él, que tarde o temprano hacen verdad de nuevo, entre sus también fanáticos feligreses, lo que escribió el barón Holbach en el siglo XVIII: «Cuando los hombres creen no temer más que a su dios, no se detienen en general ante nada». Porque es la Yihad, idiotas. Es la guerra santa. »
Mes lecteurs étant gens de grande culture, je n’ai pas besoin de traduire. Mais comme passent aussi ici des individus de culture incertaine, et même des profs d’Histoire d’Aggiornamento, autant penser à eux :
« Je n’ai pas besoin de forcer mon imagination, parce que pendant une partie de ma vie, j’ai habité ce territoire. Habitudes, méthodes, manière d’exercer la violence. Tout m’est familier. Tout se répète comme se répète l’Histoire, depuis le temps des Turcs, Constantinople et les Croisades. Y compris depuis les Thermopyles. Comme elle s’est répétée dans cet Iran, où les imprudents de là-bas et les imbéciles d’ici applaudissaient la chute du Shah et l’arrivée du libérateur Khomeiny et ses ayatollahs. Comme elle s’est répétée dans un empressement sans discernement avant les différents printemps arabes, qui, au final –surprise pour les idiots professionnels – eurent pour résultat d’être les préludes de très noirs hivers. Hivers qui sont à attendre, par ailleurs, quand les mots liberté et démocratie, concepts occidentaux que notre ignorance nous fait croire exportables au froid, pour le meilleur, confiants en la bonté du cœur humain, finissent par être gérés par des curés, des imams, des prêtres comme nous aimons les appeler, fanatiques avec ou sans turbans, qui tôt ou tard font de nouveau la vérité, au milieu de leurs paroissiens aussi fanatiques, ce qu’écrivait le baron d’Holbach au XVIIIème siècle : « Quand les hommes ne croient avoir à craindre que leur dieu, ils ne s’arrêtent communément sur rien ». Parce que c’est le Jihad, idiots. C’est la guerre sainte. »
J’aime que le meilleur écrivain espagnol contemporain cite d’Holbach. Des Lumières persiste donc quelque chose — cette « clique holbachique » que vomissait Rousseau — tout se recoupe. À nous de continuer à en porter la flamme au sein même de l’obscurité — et de l’obscurantisme.
PS. Cette adresse (« Es la guerra santa, idiotas ! ») me rappelle, allez savoir pourquoi, un article au vitriol adressé en 2009 par ce même Perez Reverte aux autorités pédagogoles d’Espagne, et qui commençait de même par « Permitidme tutearos, imbéciles » — l’union de l’insulte appropriée et d’un mot français immortel. À lire absolument, parce que comme le souligne l’auteur du Peintre des batailles, de l’évidement des cervelles enfantines au départ pour le djihad, il n’y a que le frémissement d’une paupière de moineau.
*Photo : LAURENCE GEAI/SIPA. 00704777_000012.
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