« On ne me fera pas croire que les Français sont un peuple d’exception gouverné par un quarteron d’imbéciles. » Pour s’opposer au poujadisme et au tous-pourris ambiant, André Comte-Sponville écrit cette phrase dans son dernier livre, C’est chose tendre que la vie. Il a sans doute raison. Mais le philosophe avait pris la plume bien avant l’entre-deux tours des Régionales. Avant que Christian Estrosi ne prenne le maquis contre Marion Maréchal-Le Pen. Avant que Claude Bartolone ne prenne la Bastille contre Valérie Pécresse. Deux anciens ministres de la République dont un président de l’Assemblée nationale, deux prétendants à deux grandes régions françaises. A priori pas les deux premiers « imbéciles » venus…
En invoquant, bravache, l’esprit de la résistance et en se présentant comme le premier résistant face au FN dans la région Paca, Estrosi n’a eu peur de rien. Notre Jean Moulin à la sauce provençale ne s’est pas laissé intimider par le clone de Klaus Barbie, une jeune femme de 26 ans qui, c’est vrai, doit foutre sacrément les jetons si elle pique une colère en allemand…
Nul calcul électoral évidemment. Christian a des principes, c’est tout. Il est prêt à donner son corps à la République pour faire rempart au retour du pétainisme. Il faut dire que « Max », le nom de code d’Estrosi dans l’armée des ombres, sifflote le chant des partisans sous la douche. Parfois, il règle l’eau un peu (mais pas trop) froide, histoire de reproduire une séance de torture de la Gestapo. Pour varier les plaisirs, il prend aussi des bains. Et n’hésite pas à plonger la tête sous l’eau pas loin de cinq secondes, à l’instar ou presque du sinistre supplice de la baignoire. Les nuits d’insomnie, il se rêve en Pierre Brossolette et se jette par la fenêtre de sa chambre, située au rez-de-chaussée.
Notre résistant des Alpilles entre souvent dans la maison du docteur Dugoujon, à Caluire, là où Jean Moulin avait été arrêté. Bon, comme la banlieue de Lyon, c’est un peu loin de Nice, il se rend plutôt au MacDo de son quartier et fait comme si. Les deux premiers blondinets repérés en train de commander des nuggets feront office de Klaus Barbie et de René Hardy, l’homme qui a vraisemblablement balancé Jean Moulin aux Allemands. De toute façon Estrosi, pardon « Max », ne craint pas grand-chose. Il sait que le ridicule ne tue pas…
Claude Bartolone non plus n’est pas mort au combat. Dans une interview à L’Obs la semaine dernière, il a accusé sa rivale pour la région Île-de-France de défendre « en creux » « Versailles, Neuilly et la race blanche ». Le haut-perché de l’Assemblée voulait-il absolument rendre hommage à Alain Finkielkraut, lequel souligne que « la principale occupation des gens de gauche aujourd’hui est de traiter les autres de racistes » ?
Voulait-il faire un clin d’œil plus ou moins subtil à la vulgate rousseauiste, laquelle implique que les dominants soient forcément coupables et les dominés forcément innocents ? Il faut dire que notre sans-culotte du 93 s’était déjà illustré dans le débat de l’entre-deux tours sur iTélé, où il s’était glorifié d’être « un fils de prolétaire ». Ce qui le rend illico plus vertueux et respectable que ses adversaires. Monsieur Claude est vertueux, mais pas forcément cinéphile. Dans ce cas, il n’aurait peut être pas osé pasticher cette fameuse tirade du candidat à une élection joué par Michel Serrault dans La Gueule de l’autre : « ¨Petit-fils d’ouvrier, fils d’ouvrier, ouvrier moi-même… »
« Le prolo est un bourgeois qui n’a pas réussi », écrivait Louis-Ferdinand Céline. Du coup, dans quelle case ou caste le camarade Bartolone rentre-t-il ?
Peu importe. Comme beaucoup de ses amis de gauche, le socialiste a une vision bicolore des choses. Histoire de moderniser la lutte des classes, il lui adjoint le concept de lutte des races. Nul électoralisme ici encore. Non, non ! Le blanc est a priori dominant, donc forcément coupable. C’est aussi simpliste, pardon simple que cela. Pécresse est blanche, de bonne famille, catho, hétéro et en plus de droite. Elle cumule les tares la bourgeoise ! Le fait d’être une femme et donc potentiellement victime de sexisme ne la sauve même pas. En période électorale ça ne compte pas.
Le citoyen Bartolone n’est pas cinéphile mais il est joueur. Aux échecs il ne prend que les noirs. Et se fait systématiquement mater car il préfère ses pions à son roi. Au Monopoly, il met le paquet sur la rue Lecourbe et ne prend jamais la rue de la Paix, question de principe. Versailles, Neuilly et le XVIe arrondissement sont des symboles de la réaction et sont limites contraires aux valeurs de la République.
Enfin, notre homme déteste Les Bronzés font du ski . Primo parce qu’il faut être un nanti pour se permettre de skier. Secundo parce que l’un des acteurs principaux s’appelle Blanc et le réalisateur Leconte. Comme Bartolone n’est pas cinéphile, il ignore que son film préféré est aussi de Patrice Leconte. Le titre ? Ridicule.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00731570_000001.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !