Après avoir remonté les Champs-Elysées dans une voiture aux vitres fermées, loin de la foule habituelle, le président s’est rendu hier à la prison de Montluc, à Lyon, pour rendre hommage à Jean Moulin.
Il y a des dénonciations qui sont absurdes non pas parce qu’elles ne seraient pas pertinentes mais à cause de leur caractère totalement sans effet à notre époque.
Pour fustiger les manifestations du 8 mai aussi bien à Paris qu’à Lyon, on invoque l’obligation qu’il y aurait à respecter certains épisodes sacrés, l’hommage à Jean Moulin par exemple. On considère qu’il y devrait y avoir une suspension dans les conflits, par décence et par admiration pour ce grand résistant héroïque.
Mais qui connaît véritablement cette histoire, qui a cette mémoire, qui a cette culture, aujourd’hui, pour distinguer entre l’intouchable ou le profane, entre le sublime qui doit pacifier et le conjoncturel, le conflictuel ? Ceux qui s’émeuvent parce que la quintessence d’un passé admirable n’arrête pas les oppositions n’ont pas compris que nous avions changé et que ce changement n’était pas à notre honneur.
On peut, on doit s’en indigner mais ensuite ? Puisqu’il est malheureusement vain de prévoir un futur différent…
J’ajoute que l’hommage à un héros absolu est probablement amoindri ou même ignoré par la multitude des héros relatifs que la modernité fabrique ou surestime.
Faut-il rappeler aussi que longtemps, la légitimité des présidents, aussi controversée que soit leur politique, ne suscitait pas d’ire démocratique à l’égard de ce qu’ils avaient à accomplir et à célébrer pour la France, tel un facteur d’unité pour tous les Français ?
Avec Emmanuel Macron, il me semble que la configuration est devenue tout autre. Quoi que fasse ou célèbre ce président, rien ne lui sera concédé. La loi sur les retraites risque de demeurer sur l’estomac républicain et, sans doute injustement, il n’est rien qui, émanant de lui, trouve grâce aux yeux de ses opposants les plus résolus, qu’on entend beaucoup.
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Ils ne représentent certes pas tout notre pays mais n’hésitant pas à user de mille contestations extrêmes parfois au point d’être dévoyées, ils tombent même dans l’abject, la nostalgie de la guillotine (ils nous diront que c’est au figuré !) quand par exemple un élu médecin, Christophe Prudhomme, au sein d’un groupe LFI, ose souhaiter pour Emmanuel Macron le sort réservé à Louis XVI.
Rien de ce qui concerne le président actuel n’est accepté. Tout ce qui devrait susciter le consensus, comme l’Histoire de France et ses hauts faits tragiques et admirables, est passé au crible de la détestation qu’il inspire. Cette conscience qu’il a de son impopularité le conduit à faire croire qu’il n’a peur de rien et n’a pas besoin de protection contre son peuple. En même temps, au nom de sa légitime sauvegarde, le périmètre de l’espace interdit est élargi démesurément de sorte qu’une opposition populaire, majoritairement syndicale, de gauche et d’extrême gauche, se voit privée de toute expression d’hostilité à l’égard du pouvoir, ce qui me semble être pourtant un droit. On aboutit à ce paradoxe d’un président d’autant plus courageux qu’il est de plus en plus éloigné de ses opposants. Cette manière de maintenir l’ordre à Paris – les Champs-Elysées quasiment vides – comme à Lyon, loin d’apaiser, pousse à l’exacerbation.
Il n’est pas honteux de manifester. Un certain nombre de nos concitoyens use de ce qui leur reste. Le président envoie une lettre manuscrite aux Français qui l’ont élu puis réélu, et à ceux qui l’ont soutenu, pour les remercier. C’est une manière de faire illusion : nous serions, grâce à cette lettre, dans de la normalité alors que la France est éclatée et dans une effervescence, souvent violente, permanente. Je me demande si les Français ne rêvent pas d’une seule chose : avoir enfin la parole et que le pouvoir se taise pour les écouter.
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