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Espions mais pas trop


Espions mais pas trop
photo : laverrue
photo : laverrue

Nonabstant les coupes claires dans les budgets ministériels et l’obsession présidentielle de réduction du déficit avec les dents, toutes les administrations n’ont pas hissé le drapeau noir sur la marmite.

Ainsi, à la Défense, pourtant un des ministères les plus durement touchés par le régime budgétaire Dukan-Juppé, certains ont réussi à tirer leur épingle du jeu de massacre: les espions. Non seulement il n’est pas question de supprimer un OSS 117 sur deux à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), mais en plus, celle-ci recrute et se relooke pour attirer à elle les jeunes talents. Son budget sera en hausse de 13 % cette année et 500 recrutements sont provisionnés d’ici à 2016. Des mesures auxquelles il faut ajouter la création, en juillet 2010, de l’Académie du renseignement, inaugurée en septembre par François Fillon en personne. Pour parachever le tout, les ci-devant super-autistes de la « Grande Muette » se sont dotés d’un site internet tout neuf et on leur a affecté − pour la première fois dans l’histoire de la DGSE − un porte-parole officiel, Nicolas Wuest-Famose.[access capability= »lire_inedits »]

L’agence Associated Press, qui consacre une longue dépêche à la deuxième jeunesse de la « Piscine » est allée lui demander les raisons de ce grand bond en avant et de cette nouvelle propension au show off : sa réponse fut laconique (on aurait pourtant pu croire qu’il aurait beaucoup de choses à dire après cinquante ans de silence forcé), mais néanmoins très claire, style « mili » comme on aime, quoi : « De nos jours, rester dans l’ombre, c’est ne pas exister. Or nous existons bel et bien et nous avons des objectifs. »

Quant à la nature desdits objectifs, on n’en saura pas plus, mais on imagine volontiers qu’ils ne se limitent pas à la protection de la Tour Eiffel contre les cadeaux de Noël au semtex d’Al-Qaïda. Certes, la lutte contre le terrorisme islamiste sera à l’évidence l’une des priorités de nos services dans la décennie à venir, mais sûrement pas la seule. Là encore, ce n’est pas dans les discours officiels qu’il faut chercher nos buts de guerre. Et si François Fillon a beaucoup parlé pour le discours de rentrée de la première promo de l’Académie du renseignement, il ne en nous a pas dit grand-chose, se contentant de disserter sur l’équation délicate entre secret et transparence et de remixer une version expand de la déclaration de Wuest-Famose : « De plus en plus, les services de renseignement sont confrontés à la question de leur ouverture à la société, car il ne leur est pas possible d’ignorer le monde dominé par l’échange et l’information qui les entoure. Il ne s’agit pas de porter atteinte au secret dont vous avez besoin pour travailler et que vous avez le devoir de préserver ; mais de faire en sorte que les Français connaissent mieux les services de renseignement, sachent mieux quelle est leur contribution à leur sécurité quotidienne et soient plus nombreux à vouloir servir dans leurs rangs. »

Mais revenons à nos objectifs, nos buts secrets de guerre secrète. C’est d’accord, on embauche, disions-nous, pour cause d’Al-Qaïda, mais pas seulement. De même que, côté espionnage policier, la houleuse fusion Direction de la surveillance du territoire (DST)-Renseignements généraux (RG) sous l’égide de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) avait notamment pour but de permettre une reprise en main de services soupçonnés d’être truffés de paléo-gaullistes, donc de chiraquiens, donc de potentiels villepinistes, il n’est pas à exclure qu’une tentative du même ordre soit envisagée chez les espions version « mili ». Ceux-ci, du temps du Général, de Mitterrand puis de Chirac, ont cultivé une solide tradition de méfiance voire d’hostilité vis-à-vis des Anglo-Saxons, notamment en Afrique mais aussi au Proche-Orient, où ils leur livrent une guerre larvée depuis un demi-siècle. Pour dire les choses gentiment, il semble que cette défiance ne soit plus une priorité absolue sous la présidence Sarkozy, celle du retour dans le commandement intégré de l’OTAN et du partnership stratégique franco-anglais en matière d’arme nucléaire, signé par Alain Juppé à Londres quelques jours à peine après sa nomination.

Mais le fossé entre nos espions made in France et les collègues de Jason Bourne et de James Bond n’est pas seulement politique, il est aussi méthodologique : nous avons affaire à deux cultures du renseignement radicalement différentes. Pour aller vite, contrairement à ce qu’Hollywood nous raconte depuis l’invention du Technicolor, 90 % des communautés du renseignement US et britannique sont composés de ronds-de-cuir surdiplômés, auxquels sont venus s’ajouter depuis ce siècle quelques bataillons de geeks supposés patriotes. On y voue un culte sans bornes aux longs rapports analytiques façon Yale-Cambridge et on a tendance à y penser que les technologies de pointe sont la clé de la victoire contre le terrorisme et autres contrariétés. Il semblerait que le 11-Septembre n’a pas pulvérisé cette certitude-là.

« Jamais, depuis le « Rainbow Warrior », le moral des troupes n’a été aussi bas »

La tradition française, elle, était jusqu’ici beaucoup plus pragmatique : on ne courait pas à tout prix après le polytechnicien qui fait chic dans un bureau, mais on a toujours accueilli à bras ouvert un titulaire du certif doué pour l’infiltration, le renseignement ou l’action. Ça, c’était avant… Comme nous l’a raconté un agent un rien désabusé : « On voit arriver presque chaque semaine des petits cons de Sciences-Po qui ne connaissent rien à rien mais qui trouvent que ça fait trop classe de faire espion. » Mauvaise pioche, semble-t-il : « Vu nos priorités de terrain et stratégiques du moment, on préférerait mille fois former au renseignement des jeunes issus de l’immigration ; il y en a des centaines de très valables qu’on pourrait repérer dans les lycées pro et les facs, mais ce type de recrutement-là, on nous le refuse… »

Pour un autre de ses collègues, le constat est encore plus sévère : « La tentation est forte pour certains de croiser les bras, d’expédier les affaires courantes et d’attendre des jours meilleurs ; je crois qu’on peut dire que le moral des troupes n’a jamais été aussi bas depuis le Rainbow-Warrior. »

Un esprit retors − et heureusement, il n’en manque pas dans les métiers de l’espionnage − pourrait penser que cette démoralisation est justement le but recherché. C’est le secret le moins bien gardé de Paris : derrière les discours redondants sur la nécessaire coordination police-armée et les babillages sur la déontologie, le contrôle démocratique et la nécessité d’un minimum de transparence dans le secteur, se dissimule assez mal une OPA forcenée de l’exécutif sur les services, sur tous les services.

Et pour que chacun comprenne bien la nature du message, François Fillon l’a dit, une fois n’est pas coutume, assez explicitement dans ce même discours de rentrée de l’Académie du renseignement : « Auparavant, le pouvoir politique n’énonçait pas clairement aux services ses besoins de renseignement ; et les services cherchaient et définissaient eux-mêmes leurs propres priorités stratégiques. On comprend quelle perte d’efficacité pouvait naître de cette situation, des deux côtés. Aujourd’hui, la demande politique de renseignement est clarifiée et guide l’action des services. » Ça, pour être clair, c’est clair…[/access]

Janvier 2011 · N° 31

Article extrait du Magazine Causeur



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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