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Quand les espagnols libéraient Paris


Tu t’appelais Fermín, Manuel, Germán, Faustino, Luis, Daniel, Victor, Rafael,…

Tu étais « rouge », « anar », « syndicaliste », épris de liberté, généreux et désintéressé

Tu venais d’Aragon, d’Estrémadure, de Galice, d’Andalousie, des Asturies, …

Avec tes cheveux en pagaille et ton œil noir, tu avais pleuré un soir devant Saragosse

Le sang espagnol avait beaucoup coulé cette année-là

Tu avais fui ta République chérie, ton Pays aimé, ta colonne Durutti, tu avais tout perdu jusqu’à ton honneur, ton dernier éclair d’humanité

On avait confisqué ta victoire, sali ta mémoire, souillé tes espérances

Tu avais le cœur en miettes, la rage intacte et la farouche envie d’en découdre,

Tu avais vu la bête immonde au plus près, tu l’avais vue t’encercler, t’anéantir dans son dessein funeste

Dans l’infamie des camps, dans ces baraquements de fortune transpercés par le froid des Pyrénées-Orientales, tu avais souffert de ces indignes officiers français, de leurs coups et de leur haine

À Dachau, les autres avaient le même regard froid et satisfait

Pour eux, toi et les tiens n’étiez qu’une engeance à éradiquer

Puis un jour, le grand Antonio Machado est mort à Collioure, c’était un peu de ton âme qu’on arrachait

Toi, le combattant déchu, tu n’avais qu’un désir ardent, repartir au combat, mourir pour tes idées

Tu avais fini par rejoindre la France Libre, ces autres officiers avaient la même flamme que toi dans leurs yeux, vous apparteniez à cette race d’Hommes qui n’abdique jamais

En Angleterre, avant de le Débarquement, on t’avait encore regardé comme une curiosité, certains doutaient même de ta discipline, on disait que tu étais antimilitariste, c’était vrai, tu étais libre, terriblement libre

Mais, tu avais reçu en partage la confiance de Dronne et de Leclerc, ils avaient reconnu en toi, ce guerrier noble, ce chevalier qui ne recule jamais, cet Homme debout

Alors, tu as libéré Paris au son de Guadalajara, Ebro, Belchite, Guernica, Madrid,…

Jusqu’au nid d’aigle, tu as été l’honneur d’une Nation, d’un Continent

Tu pensais retrouver ton Espagne, la libérer elle aussi, mais les vainqueurs de l’Histoire en avaient décidé autrement

Blessé une seconde foi, un immense chagrin a fini par t’emporter

Bien longtemps après, personne ne connaissait tes exploits, ta droiture, ton courage, ta bonté, ta folie aussi,

On faisait comme si tu n’avais pas existé, on pillait même ta mémoire

Soldat de la Nueve, nous ne t’oublions pas, ton désespoir, ta nature tempétueuse, tes élans de générosité, nous les chérissons.

À lire sur ce sujet : La Nueve 24 août 1944 – Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris – de Evelyn Mesquida – Le Cherche Midi



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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