Accueil Culture La boîte du bouquiniste

La boîte du bouquiniste

"Ersatz", de René Fallet


La boîte du bouquiniste
© SIPA

Les bouquinistes virés des quais de Seine par la Ville de Paris ont trouvé refuge à Causeur. Jusqu’à la fin des JO, la rédaction vous ouvre leur boîte à vieux livres.


Dernière minute ! Les bouquinistes des quais de Seine ne seront finalement pas déplacés pour la cérémonie d’ouverture des JO. « Constatant qu’aucune solution consensuelle et rassurante n’a pu être identifiée avec ces acteurs, le président de la République a demandé au ministre de l’Intérieur et au préfet de police de Paris que l’ensemble des bouquinistes soient préservés, et qu’aucun d’entre eux ne soit contraint d’être déplacé », vient d’indiquer le palais de l’Élysée. Mais que va devenir notre rubrique « La boîte du bouquiniste » ?

René Fallet a vu presque la moitié de ses romans adaptés au cinéma. Si Les Vieux de la vieille, Un idiot à Paris et La Soupe aux choux ont été des succès de librairie et du grand écran, c’est que l’aspect drolatique de ces œuvres enrobait d’une crème apaisante l’affliction de l’auteur devant la disparition annoncée d’un monde, celui des banlieusards et des paysans, des halles de Paris et des bistrots. Fallet préférait le mot « populaire » à celui de « populiste » pour qualifier une œuvre qu’il disait inspirée par « le vélo, la pétanque, la pêche, la fidélité en amitié » – et par un certain penchant pour l’alcool, la poésie et le Tour de France.

Ironique et audacieux

Ersatz, édité par Denoël en 1974 et reparu pour la dernière fois en 1993, est le plus méconnu des livres de Fallet. Il faut dire que cette uchronie ironique est audacieuse. Elle débute par un épisode baroque : nous sommes en 1973, un autocar rempli de retraités allemands longe la Tamise. Herr Müller considère « placidement l’Angleterre, Londres derrière la vitre », tandis que Herr Hassenstein, alias « Wehrmacht », se remémore avec nostalgie les exploits de la Luftwaffe sur la cité londonienne. Frau Kolledehof, elle, est en extase :« Nous sommes en Angleterre ! Mon Dieu si le Führer pouvait voir ça, ce qu’il serait heureux ! » Ce qu’elle ignore, c’est que le Führer voit ça. En effet, Herr Gottfried Müller n’est autre que… Adolf Hitler.


On subodore le frétillement des moustaches du facétieux Fallet en train de concocter cette farce kolossale : Hitler n’est pas mort dans son bunker en 1945. Après avoir été remplacé par un « ersatz » prêt à mourir pour son Führer, le dictateur s’est retrouvé garde champêtre dans un charmant petit village, puis pensionnaire d’un asile de vieillards sis à… Nuremberg. En 1973, Adolf Hitler devenu Gottfried Müller fête ses 84 ans. Il s’aperçoit qu’il aime « décidément la vie ». Il s’agace d’entendre Wehrmacht parler avec regret de l’Allemagne nazie et déplorer d’être encore en vie. Herr Müller, lui, savoure les jours qui passent, s’extasie devant les papillons et les coccinelles, et écrit en cachette les Mémoires d’Adolf Hitler :« En ce tendre mois de mai 1973, le docteur Depp est venu m’ausculter. Il m’a dit, n’en déplaise à ceux qui m’ont traité, me traitent encore de monstre, que j’avais au contraire un bon cœur. » Un jour, un nouveau pensionnaire arrive. Gunther Held devient rapidement très proche de Herr Müller et « rompt en sa compagnie un pain dont l’ex-garde champêtre n’avait jamais connu le goût, puisqu’il ressemblait à celui de l’amitié ». La vie de Müller-Hitler va en être bouleversée.

A relire: Le Sucre, de Georges Conchon

Derrière cette situation tragi-comique, décrite dans les tons ironiques, truculents et poétiques qui ont fait son succès, René Fallet renoue avec un de ses thèmes de prédilection, l’amitié. Pour cela, l’auteur, « anarchiste de gauche à droite, tendance essuie-glaces », choisit comme héros un personnage douteux qui lui permet toutefois d’exposer une philosophie rieuse et faussement désinvolte de la vie, celle d’un écrivain qui osa répondre malicieusement à un journaliste que son occupation favorite était… l’occupation allemande – tout en gardant un silence pudique sur son engagement dans l’armée, en 1944, à l’âge de 16 ans.

Ersatz, René Fallet, Denoël, 1993.

Ersatz

Price: ---

0 used & new available from

Février 2024 – Causeur #120

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Julien Denormandie serait bien partout!
Article suivant Caméra voilée
Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération