Le succès de l’exposition des premières photos en 1871 de Formose par John Thomson à la Maison de la Chine (qui est restée accrochée place Saint-Sulpice jusqu’au samedi 28 novembre 2015) m’a valu beaucoup de courriels ; certains pour me demander où l’on pouvait trouver à Paris des photographies érotiques chinoises, vintages ou récentes.
Je dois avouer que je n’ai pas la réponse, alors que le sujet mériterait certainement un galeriste spécialisé. En revanche, je connais une remarquable galerie, très fréquentée par les amateurs chinois (et taiwanais) de photographies (et autres images) érotiques occidentales : celle de Nicole Canet, « Au Bonheur du jour ».
Biederer Jacques (1887-1942)
Jeux de dames 1930. Epreuve argentique
C’est près du square Louvois, pratiquement en face de la Bibliothèque Nationale, à deux pas du si beau jardin du Palais Royal.
En face, il y a ZenZo「珍珠茶館」un salon de thé taiwanais, au coin de la rue Cherubini, juste à coté de l’immeuble où se situait le bordel le plus fameux et le plus chic de Paris de 1877 à 1946, le « Chabanais » dans la rue du même nom.
C’est là que je prends le thé avec mes invités asiatiques lorsqu’ils me demandent de les piloter dans leur recherche de curiosa. Et, manifestement, je ne suis pas la seule à guider des amateurs à ce carrefour, et chez la savante et sympathique Nicole Canet.
Sa galerie « Au Bonheur du jour » est ouverte du mardi au samedi, de 14h30 à 19h30 pendant les expositions ; et sur rendez-vous entre deux expositions.
Elle comporte deux espaces : celui consacré à la photographie des XIXe et XXe siècles, aux dessins et peintures, ainsi qu’aux expositions thématiques : maisons closes, orientalisme, matelots, nus masculins (1860-2010) ; et à coté un « boudoir », réservé aux curiosa, objets singuliers anciens, livres et revues rares.
Monsieur X (1930)
Epreuve argentique d’époque
Le radiateur du chabanais, vers 1905
Bouquet de fouets, 1930
Utilisé pour les jeux sexuels. Provenance Maison close.
« Nicole Canet, amatrice passionnée, est l’âme de ce lieu hors du commun où les artistes les plus connus côtoient d’illustres inconnus qui, sans son insatiable curiosité, le resteraient ». C’est très vrai et très amusant. Nicole Canet édite des ouvrages érudits, abondamment illustrés, donc un peu chers, mais très utiles aux étrangers qui – comme moi – cherchent à comprendre à quoi ressemblait la France dans les siècles passés.
Je reproduis la couverture de quelques-uns d’entre eux :
Et je reproduis également quelques affiches d’expositions anciennes que je trouve très belles (les Chinoises et Chinois en raffolent).
Pour rester dans l’actualité, noter que du 23 septembre au 14 novembre 2015 , l’exposition s’intitule « Maisons closes et prostitution, féminin masculin XIXe & XXe siècle. Objets, livres, dessins, peintures, photographies ».
C’est l’occasion du lancement d’un livre passionant Le Chabanais. Histoire de la célèbre maison close 1877-1946. [ISBN 9782953235197, cartonné, abondemment illustré, 79€]
L’entrée est libre, gratuite. Mme Canet est une sympathique guide pour commenter les œuvres et ouvrir les tiroirs.
Il y a à Paris, en ce moment, deux expositions un peu coquines, « Fragonard amoureux » (au Luxembourg) et « Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 » (au Musé d’Orsay.). Mais j’avoue ma préférence pour l’intimité de la galerie-boudoir de Nicole Canet, gratuite, où l’on peut acheter des originaux à des prix raisonnables.
Ses curiosa se vendent entre dix-huit euros et mille euros, une gamme accessible à toutes les bourses. Et même moins cher si l’on s’intéresse aux affiches (5 ou 10€).
Il semble que les images de garçons se vendent plus et mieux que celles de dames. Il ne faut pas imposer la parité dans ce domaine, mais essayer de comprendre pourquoi hommes et femmes préfèrent collectionner des gravures et des photos masculines.
C’est un plaisir difficile à décrire que celui de pouvoir passer des heures à choisir un tirage original, signé par le photographe, de légionnaires ou de matelots, souvent nus, toujours avantagés par la nature, à l’évidence offerts prioritairement à des collectionneurs amateurs du même sexe, mais qu’une jeune Chinoise ou Taiwanaise peut rêver détourner de leur vocation. Bref un endroit exquis pour faire provision de phantasmes.
Ernst Hildebrand (1906-1991)
La cigarette, vers 1940
Encre et lavis, 48×32 cm.
Ernst Hildebrand (1906-1991)
Prostitution, vers 1940
Encre et lavis, 48×32 cm.
J’ai interviewé Nicole Canet pour ce blog.
Elle tenait avant 2000 un stand aux Puces. Le succès venant elle s’est installé, près de la BNF, exactement en face du Chabanais, le bordel le plus célèbre au monde.
En 2009, elle a commencé à publier : 24 titres à ce jour, qu’elle a rédigés et dont elle a assuré la maquette avec l’aide de son imprimeur à Belleville, toujours avec d’intéressantes illustrations, le plus souvent tirées de ses collections.
Le catalogue SUDOC qui recense tous les livres de quatre mille bibliothèques publiques en France n’en donne que trois… Et à un seul exemplaire à chaque fois, à l’INHA, l’Institut national d’Histoire de l’art, de l’autre coté du Square Louvois et de la rue de Richelieu. Les universitaires prêtent donc bien peu d’attention à un sujet qui est pourtant fondamental pour comprendre la vie en société.
Je ne peux m’empêcher de montrer le dessin qui me tente le plus en ce moment chez Nicole Canet. Je vais suggérer à la direction de Causeur de passer un béret en conférence de rédaction pour me l’offrir :
Constant Detré (1891 – 1945)
Scène de maisons closes, 1925
Mine de plomb, 30 x 21 cm
Pourtant les bibliothécaires de la BNF fréquentent assidument la galerie : j’en ai rencontré trois chez Nicole Canet, dont un – plutôt mignon – m’a proposé d’aller chez lui examiner ses estampes japonaises avec l’amie chinoise qui m’accompagnait.
Mais son intérêt ne se limitait pas aux「春畫」 Shunga (ChunHua dans la prononciation chinoise de ces deux caractères). Ce charmant chartiste m’a donné de nombreuses explications sur Jean Boullet qui le passionne. Il m’a appris par exemple que Jean Boullet, retrouvé pendu en Algérie en 1970, fut le décorateur de Boris Vian quand J’irai cracher sur vos tombes a été monté au théâtre.
J’ai déjà rédigé pas mal de paragraphes et donné quelques illustrations, mais je n’ai pas encore parlé d’Alexandrine Jouannet (1845-1899) qui donne son nom à la présente tranche de blog.
C’était une jeune berrichonne, sans doute très belle, qui travailla comme prostituée dans plusieurs endroits, y compris au Levant, à Constantinople, puis à Lyon « chez Clotilde ». Elle s’installa en 1877 à Paris, pour investir ses économies, et une subvention d’un ami de cœur au grand cœur, dans un bordel dont elle était la seule propriétaire et patronne.
Elle eut le génie de s’installer rue Chabanais, non loin de l’avenue de l’Opera, à égale distance du Palais-Royal, et en face de la Bibliothèque Nationale.
Elle se mariera, tardivement, avec un chanteur d’opéra, qui l’aima beaucoup et malheureusement mourut quelques années après leur union. Elle lui survécu.
C’est elle qui eut l’idée de décorer chaque chambre de manière luxueuse et originale, différente des autres, pour loger et animer convenablement les phantasmes de ses très riches clients.
On connaît la baignoire que le Prince de Galles (1841-1910), fils de la reine Victoria, faisait remplir de champagne pour ses ablutions, tout comme la « chaise de volupté » qui fut commandée au célèbre ébéniste Louis Soubrier. Ce meuble indispensable aux extases du futur monarque de Grande-Bretagne vient d’être prêté au Musée d’Orsay pour son exposition actuelle.
Alexandrine se rendait en vacances fréquemment dans le sud-ouest où elle avait acheté le château de Tarabel dans le Lauraguais, entre Toulouse et Carcassonne, au temps de la « cocagne », c’est à dire des boules du pastel qui fit un temps la fortune de la région.
Si mes lecteurs veulent connaître la suite de l’histoire du Chabanais, je les invite à acquérir le livre de Nicole Canet. Il peut figurer dans la bibliothèque d’hommes et de femmes de distinction.
Vingt années après sa mort, sans enfant, la seconde épouse d’un neveu héritier brûla toutes sortes d’archives et on ne connaît donc pas son visage. Il figure sans doute à la BNF dans l’imposante collection des Reutlinger, photographes établis dans le même immeuble où résidait Alexandrine. Mais rien n’a encore permis de le retrouver.
Cela désole non seulement Nicole Canet mais aussi son amie Edith Jouannet, descendante d’Alexandrine, très attachée à la mémoire de la femme remarquable que fut son aïeule.
J’ai proposé à Nicole et à son amie Edith de réaliser un documentaire sur Alexandrine. Je lancerai peut-être bientôt un crowdfunding,「集資」JiZi en chinois, pour la production de ce documentaire.
Galerie Au Bonheur du Jour
Madame Nicole Canet
11, rue Chabanais
75002 Paris
+33 1 42 96 58 64
canet.nicole@orange.fr
aubonheurdujour@curiositel.com
*Photo : Vee Speers, « Bordello, 2000 ». Tirage Fresson
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