Avec Nolwenn Pétoin, l’ennui n’est pas de mise. À l’issue de la lecture de ses propos iconoclastes, la perception de votre paysage domestique sera changée.
Dans la profusion de livres, il arrive de tomber sur un ovni. C’est le cas avec l’ouvrage de Nolwenn Pétoin. Déjà le titre, provocateur : Érotique de la vie domestique. Ne vous attendez pas à un traité érotique écrit à la manière de Georges Bataille. Ici, l’érotisme ne débouche pas sur la noirceur et la mort, mais la vie solaire. Nolwenn Pétoin est née en 1983, à Saint-Malo. L’air marin, probablement respiré sur le Grand Bé où est enterré Chateaubriand, a fortifié son style. Agrégée de philosophie, son propos est iconoclaste, plein d’humour, et parfois ponctué de métaphores audacieuses. Vous l’aurez compris : l’ennui n’est jamais de mise. Et pourtant, Nolwenn nous invite à rester dans notre chambre, « une chambre à soi », comme le réclamait Virginie Woolf. L’homme pressé va demander : « Que faire chez soi, que faire de cette chambre ? »
Congédions les passions tristes
C’est tout l’enjeu de ce livre audacieux qui propose de tout repenser dans le but de nous conduire à la sagesse et à l’épanouissement de soi. C’est frais, à la fois tonique et doux. Dans un monde en proie à la barbarie, l’univers quotidien, avec ses tâches qu’on juge lassantes, doit nous permettre de nous recentrer et de jouir de cette vie domestique dans ce qu’elle a de plus trivial. Ce n’est pas évident, car il convient de la réinventer.
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Tout part donc de la chambre, qui doit être noire, c’est-à-dire qu’elle va révéler ce que nous sommes réellement. Notre chambre sert à « dormir, dire des bêtises, jouer de la musique ou travailler à notre « grand œuvre ». Nous asseoir et dilapider notre temps. » Nous allons congédier les passions tristes. Au passage, l’auteure révèle qu’elle a vécu dans sa chambre durant trois ans. Elle n’allait pas au lycée, mais elle travaillait « avec un sérieux suffisant ». Sûrement protégée des scories d’un enseignement idéologique, très éloigné de la nature et de ce hennissement de vitalité prôné par Nietzsche. Dans sa chambre, qui ressemble à celle du poète René Baer, mis en musique par Léo Ferré, l’auteure expérimente une catharsis qui lui permet un nettoyage spirituel salvateur. Il reste alors à mettre en valeur le corps, à l’entretenir avec des produits frais, cuisinés avec respect et lenteur, à le caresser sans le brusquer. Nolwenn Pétoin nous convie à retrouver le vibrato de nos cinq sens. Ce que nous cuisinons, par exemple, est un révélateur de ce que nous sommes. Elle écrit : « La cuisine aussi est un style, qui exprime l’ensemble du spectre d’une présence. C’est l’ombre portée de notre vie que nous mangeons. » Elle note qu’il y a « un plaisir de moine à découper les légumes. Leur fraîcheur et leur humidité, leur innocence et leur bonne grâce rendent l’éminçage hypnotique. » Les mots sont choisis avec précision. La cuisine est un art, souligne-t-elle encore. Au passage, elle en profite pour donner la définition de l’artiste. C’est celui qui se libère des règles apprises pour entrer dans un jeu créatif jamais exploré. Nolwenn Pétoin avoue que son alimentation est « non violente », donc végétale et bio, mais elle ne culpabilise pas ceux qui « rôtissent des hécatombes sur l’autel de la convivialité humaine ». Aucun anathème lancé, mais une revendication, celle de la bonté : « Respecter l’humanité en soi, c’est choisir ce que, seuls parmi tous les animaux, nous sommes libres de choisir : l’amour de tout ce qui vit et la compassion, par-delà l’aveugle violence de la chaîne alimentaire. » Et de conclure : « J’aime mieux manger ce qui veut l’être, comme les fruits, dont la pulpe sucrée n’a d’autre vocation que de nous séduire. » Cela résume parfaitement l’entreprise, tendre et sensuelle, de l’auteure.
À la fin de l’ouvrage, à offrir à tous les grands agités, la perception de notre paysage domestique sera singulièrement transformée, et notre vie aura gagné en plénitude subversive.
Nolwenn Pétoin, Érotique de la vie domestique, préface de Kankyo Tannier, Le Passeur Éditeur.