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Eric Zemmour parle défense: à l’attaque!


Eric Zemmour parle défense: à l’attaque!
Eric Zemmour présente son projet pour la défense, Paris le 17 février 2022

Lors de sa conférence de presse jeudi, où il présentait son projet pour la défense de la France, le candidat a adopté un ton martial tout à fait seyant chez le fondateur de Reconquête! Son engagement en faveur des militaires français, trop souvent traités en parents pauvres par l’Etat, cadre parfaitement avec son ambition de restaurer la fierté de la nation. Reste à savoir si certains éléments idéologiques dans son discours sont là pour les besoins de sa campagne électorale ou si elles représentent les vrais principes fondateurs de sa politique stratégique.


Dans une salle bondée, au milieu du remue-ménage des photographes se déplaçant sans cesse à la recherche du meilleur angle pour capter le profil de celui qui aspire à être chef des armées, Eric Zemmour parle avec autant de calme que de fermeté. Selon lui, afin de restaurer la fierté de la France sur la scène mondiale, il faut permettre à cette dernière d’exprimer sa « voix singulière et indépendante ». Pour garantir une telle autonomie et se faire respecter, que ce soit en tant qu’adversaire ou en tant qu’allié, la France doit se doter de forces armées importantes, modernes et efficaces. Pourtant, en dépit du courage et du professionnalisme de ses soldats, les dirigeants successifs de l’État ont infligé des coupes drastiques au budget militaire, conduisant à des forces armées sous-dimensionnées et insuffisamment équipées, voire « échantillonnaires ». La reconquête de la fierté nationale passant par un renouveau en matière de défense, le premier acte de M. Zemmour, une fois installé à l’Élysée, sera donc de renverser cette tendance…

Au fur et à mesure qu’il déroule son programme, on a de plus en plus l’impression qu’il porte un képi invisible, voire, à certains moments, un bicorne, tant il s’efforce d’incarner une longue tradition française de gloire militaire. Qui sait ? A l’heure actuelle, c’est peut-être d’une telle combinaison de détermination, de sincérité et de vantardise calculée dont la France, qui a le moral dans les chaussettes, a besoin.

Le règne de la quantité

Le candidat pointe le fait que, si la France arrive, aujourd’hui, à consacrer 2% de son PIB à la défense (l’objectif fixé par l’OTAN), c’est moins parce que le pays attribue plus de crédits à ce budget que parce que, suite aux effets de la pandémie, le PIB de la France a rétréci. Il faut noter que, selon le ministère de la Défense, le budget strictement défense – le plus important du ministère et qui ne prend pas en compte les pensions des militaires – s’élevait à 39,2 milliards d’euros en 2021, 7 milliards de plus qu’en 2017. Quoiqu’il en soit, M. Zemmour vise un budget de 70 milliards d’euros en 2030. Un autre objectif non moins ambitieux consiste à augmenter à 100.000 hommes les forces opérationnelles de l’armée de terre d’ici 2027. Il faut savoir que, en 2021, la France comptait plus de 30.000 hommes dans ses différents déploiements autour du monde, les militaires de l’armée de l’air et de la marine compris. Pour l’armée de l’air, le nombre de chasseurs sera porté à 300 d’ici 2040 (le 1er juillet 2021, le nombre des avions de combat s’élevait à 211). Quant à la marine, le nombre de porte-avions doit passer de 1 à 2, tandis que celui des frégates sera porté à 20 (on suppose qu’il s’agit de frégates dites « de premier rang », il y en a 15 aujourd’hui). La nation comptera 8 sous-marins d’attaque nucléaires, contre 6 actuellement (le ministère de la Défense parle de 5 au 1er juillet 2021). Doter la France de forces armées « dignes [de son] rang » ne suffit pas. Lors d’un entretien avec nos confrères de la revue Conflits, le chef d’état-major actuel de l’armée de terre, le général Pierre Schill, a souligné la nécessité d’« accorder une attention accrue aux familles et à la qualité de l’environnement de nos soldats. » Se montrant éminemment sensible à ce besoin, Éric Zemmour annonce vouloir augmenter de 20% les salaires des militaires et améliorer les conditions de vie – notamment en ce qui concerne le logement – de leurs familles. Certes, une politique fondée sur autant de dépenses peut ressembler à une lettre au père Noël et, interrogé sur la manière dont il financera ces augmentations, le candidat refuse d’expliquer où il va trouver les fonds. Mais tous les candidats restent vagues quand il s’agit de chiffrer leurs dépenses futures. L’important ici, c’est que M. Zemmour insiste sur le fait que, lui président, le ministère de la Défense ne sera plus le parent pauvre en termes budgétaires.  

Aujourd’hui l’Europe…

L’approche « européiste » de la défense consiste à viser la création d’une véritable armée de l’Union européenne – une ambition peu réaliste qui a nourri la détermination des Britanniques de choisir le Brexit. Pas plus que la perfide Albion, M. Zemmour n’est dupe de cette chimère. D’autres formes de collaboration militaire existent en Europe ou pourraient être développées, mais il y a un obstacle qu’il identifie – correctement – comme étant l’Allemagne. D’abord, cette dernière dépense plus sur la défense que la France mais se montre plus réticente à s’engager dans de véritables opérations. Plus grave encore, les Allemands tirent à eux la couverture en matière de développement, de fabrication et d’exportation d’armements. Pour cette raison, Éric Zemmour se dit déterminé à revoir les programmes de coopération avec l’Allemagne. Comment s’y prendra-t-il ? Il ne l’explique pas encore, mais au moins il affiche clairement sa volonté : la France ne sera plus le caniche des industriels outre-Rhin. On comprend bien cette nécessité, car dans une Union européenne qui, sur le plan militaire, semble actuellement sans boussole, la France est le seul pays capable de prendre le leadership grâce à ses forces opérationnelles et à ses capacités de réflexion stratégique. Quelle sera la stratégie de M. Zemmour ? Ici, le képi devient encore plus perceptible : si la France ne doit pas être le caniche de l’Allemagne, l’Europe ne doit pas être celui des États-Unis. Pour lui, les tensions actuelles avec la Russie au sujet de l’Ukraine risquent de conduire à une instrumentalisation de l’Europe par les Américains qui seraient en train de remonter les Européens contre les Russes pour servir leurs propres intérêts hégémoniques. Selon le candidat de Reconquête!, il faut que les relations avec la Russie soient « normalisées et apaisées. » Les Russes, qui ne sont « ni nos alliés ni nos ennemis », doivent être traités « sans complaisance mais sans provocation inutile. » Éric Zemmour n’a pas d’illusions quant aux ambitions hégémoniques que nourrit de son côté Vladimir Poutine. Pour l’instant, il n’explique pas comment nous pourrons normaliser les relations avec quelqu’un qui nous trouve plus utiles comme adversaires que comme amis. L’essentiel est dans cette détermination à endosser le costume du général de Gaulle : la France ne doit être le jouet ni de l’oncle Sam, ni de l’Ours russe. Entre les buveurs de bourbon et les buveurs de vodka, il y a une place à part pour les amateurs de calva. Bref, la France, avec sa « voix singulière », doit être « une puissance d’équilibre. »

… demain, le monde

Ce retour à la doxa gaulliste va plus loin encore. Éric Zemmour annonce que, lui président, la France quittera le commandement intégré de l’OTAN. Selon un courant de pensée tenace en France, qui trouve des adhérents autant à gauche qu’à droite, un grand nombre des maux de la nation sur le plan géostratégique seraient dus à sa participation à l’OTAN. M. Zemmour s’empresse d’ajouter que la France ne rompra pas « sa coopération avec les États-Unis ». Heureusement, l’Amérique restant pour le moment la seule super-puissance dans le camp occidental. Mais aux yeux de beaucoup de politiques français, l’OTAN permet aux États-Unis d’instrumentaliser les membres de cette organisation à ses propres fins. Peut-on vraiment dire que, depuis 2009, l’année où M. Sarkozy a renversé la décision du général de Gaulle en 1966 de quitter le commandement intégré de l’OTAN, la France a parlé avec une voix moins « singulière » ? En tout cas, ce départ est apparemment un symbole de virilité nationale dont les Français ont besoin. Du même coup, si la coopération militaire avec le Royaume Uni doit continuer – M. Zemmour veut maintenir les accords de Lancaster House signés en 2010 – l’Angleterre est, pour lui, à ranger définitivement du côté des Américains dans une alliance atlantique que la France doit refuser. Et si, en matière de renseignement, la France, comme d’autres pays occidentaux, reste dépendante des États-Unis, son ambition à long terme doit être de s’en libérer. Dans un monde où le partage d’informations entre alliés reste fondamental, cette recherche d’indépendance semble illusoire, mais on sent que, encore une fois, il s’agit surtout de remonter le moral des Français en adoptant des accents gaulliens.

Cette volonté de restaurer une fierté nationale prend une tonalité plus napoléonienne quand le candidat de Reconquête! déclare : « L’Europe est trop petite pour la France. » Il est évident que, comme beaucoup d’autres pays occidentaux, surtout ceux qui possédaient autrefois un empire colonial, la France est engagée dans des opérations militaires autour de la planète, que ce soit au sein de l’ONU ou de l’OTAN ou pour défendre ses propres intérêts ou ceux de ses alliés les plus proches. Mais souligner ainsi les dimensions réduites de l’Europe est aussi une de ces rodomontades dont la France a besoin. A l’heure où les forces françaises se retirent du Mali, M. Zemmour constate l’échec de l’opération Barkhane mais n’y voit pas une raison pour la France de se replier sur elle-même. Il faut que, désormais, les interventions contre les djihadistes au nom de la sécurité française et occidentale se limitent à des opérations « coup de poing. » D’ailleurs, loin de se retirer de l’Afrique, Éric Zemmour annonce que, d’ici 2027, il doublera les effectifs de militaires stationnés en Afrique de l’Ouest et aux Émirats arabes unis. Le père Noël est de nouveau proche ici, mais la France – à l’instar du Royaume Uni – doit pouvoir projeter sa puissance jusque dans le Pacifique afin, comme il le dit, de « défendre bec et ongles ses intérêts. » Qui seront les alliés de la France ? M. Zemmour parle de développer la coopération avec la Grèce, l’Inde, l’Égypte ou le Brésil. Si ces pays ne constituent pas d’emblée une alliance logique et forte, il s’agit d’un désir de créer une bande à part, celle des amis de la France. Éric Zemmour n’évoque pas l’humiliation que la France et le président Macron ont subie lors de l’annonce de la création de l’AUKUS, cette alliance dont la France a été exclue mais où elle aurait dû trouver une place toute naturelle. Désormais, il faut que la France initie des alliances ou lieu d’attendre qu’on la prie d’en faire partie.

Cette volonté d’affirmer l’autonomie de la France qu’on détecte partout dans le discours zemmourien est-elle destinée simplement à remonter le moral des Français au nom d’une fierté nationale perdue, ou constitue-t-elle le fondement de la doctrine stratégique du candidat ? Dans le monde actuel, l’autonomie est une valeur toute relative. M. Zemmour déclare que la France serait incapable aujourd’hui de mener une intervention semblable à celle des Britanniques à l’époque de la guerre des Malouines. Il faudrait ajouter que les Britanniques eux-mêmes ne peuvent plus le faire. Mais ce serait possible au sein d’une alliance. Le général Schill, dans son entretien avec Conflits, définit l’ambition de l’armée française comme étant celle de « jouer un rôle de nation cadre au sein d’une coalition. » Dans ces circonstances,  « l’interopérabilité avec nos alliés est fondamentale sous l’aspect opérationnel comme capacitaire. » Autrement dit, il est désormais très difficile de faire cavalier seul. La France avec sa « voix singulière » devra se faire entendre plus souvent en tant que choriste qu’en tant que soliste.



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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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