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« Éric Zemmour a surestimé sa capacité à faire venir des cadres de LR »

Battu à la présidentielle et aux législatives, le candidat de "Reconquête" prépare la suite...


« Éric Zemmour a surestimé sa capacité à faire venir des cadres de LR »
Éric Zemmour prononce un discours à Cheval-Blanc (84), le 28 mai 2022 © Alain ROBERT/SIPA

Entretien avec le journaliste de Valeurs actuelles Jules Torres, qui a suivi toute la campagne d’Eric Zemmour depuis les coulisses. Il publie Zemmour, dans le secret de sa campagne (Plon).


Causeur. Comment avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre Zemmour, dans le secret de sa campagne

Jules Torres. Au départ, au journal, je n’étais pas un « rubricard », j’écrivais des portraits, des articles sur Michel Onfray ou sur les burqinis à Décathlon. Fin 2020-début 2021, nous constatons au journal que la candidature d’Éric Zemmour n’est plus seulement le fantasme d’une certaine droite. Je commence à rencontrer les personnalités qui font partie de l’équipe resserrée d’Éric Zemmour : Sarah Knafo bien sûr, mais aussi Samuel Lafont, Stanislas Rigault ou encore Diane Ouvry… Et je deviens plus ou moins le “rubricard” Zemmour, suivant tous les déplacements de sa pré-campagne. À l’automne, j’ai l’idée de ce livre et j’accède alors à toutes les coulisses. 

Jules Torres. D.R.

Pendant la campagne présidentielle, votre journal, Valeurs actuelles, s’est vu reprocher d’être pro-Zemmour, notamment par le Rassemblement national. Estimez-vous que ces critiques étaient injustes ?

Ces attaques/critiques sont triplement infondées. Premièrement, le Rassemblement national ne digère pas que Valeurs actuelles ne roule pas pour Marine Le Pen. Deuxièmement, il faut regarder la question de l’audience. Quand nous faisions une couverture sur Zemmour, nos ventes grimpent de 30%. Lorsque nous faisons des couvertures sur Le Pen, cela ne fonctionne pas aussi bien. C’est ainsi pour tous les titres de presse. La décision de suivre Éric Zemmour était donc moins idéologique et politique, qu’économique et éditoriale. Troisièmement, le RN n’a pas été très classe à plusieurs reprises. Marine Le Pen m’a diffamé lors d’un off presse avec une centaine de journalistes, après que le RN m’ait accusé de faire fuiter des informations sur ses déplacements. J’invite vos lecteurs à lire le chapitre de mon livre sur Les Sables d’Olonne, ils comprendront le niveau de paranoïa du RN pendant cette présidentielle. 

On ne devrait pas beaucoup voir Éric Zemmour cet été (…) Une majorité des cadres des LR restent beaucoup plus proches de Macron que de Zemmour…

Je vous explique en quelques mots. En janvier, le RN m’accuse d’avoir balancé aux équipes d’Éric Zemmour que Marine Le Pen allait se rendre aux Sables d’Olonne. On se souvient que le candidat lui avait coupé l’herbe sous le pied, en y allant une semaine avant elle. Nous sommes alors à un moment charnière de la campagne. Le Pen et Zemmour sont au coude à coude dans les sondages. Mais en réalité, je n’y suis pour rien. Je révèle dans le livre que c’est le maire des Sables d’Olonne, Yannick Moreau, proche de Philippe de Villiers, qui prévient l’équipe d’Éric Zemmour. Le maire ne souhaite pas que Marine Le Pen soit la première à venir défendre la statue de Saint-Michel menacée de déboulonnement par une association laïcarde. En une journée, le déplacement est organisé pour le week-end suivant. De mon côté, je me fais exclure de la conversation WhatsApp dédiée aux journalistes qui suivent le RN, alors que je n’ai rien fait !

Pourquoi Éric Zemmour a-t-il choisi de se présenter dans le Var aux législatives ? Avec un score de 23,2% dimanche, il finit 3e et éliminé. On nous avait promis une reconquête, c’est une succession de revers…

Avant tout, il se présente là-bas car c’est une des circonscriptions où il a fait un de ses scores les plus élevés à la présidentielle, dont 22% sur la seule ville de Saint-Tropez. Ensuite, il dit qu’il est attaché au Var pour plusieurs raisons. C’est à Toulon qu’il tient sa première conférence littéraire en septembre 2021, il y passe ses vacances d’été tous les ans et le ralliement de Marion Maréchal s’est également passé dans ce département. Il a donc trois dates importantes pour lui, qui le relient à ce territoire. Mais il n’a pas non plus cherché à jouer le Varois de souche pendant les législatives, il a assumé être Parisien et être parachuté.

Après cet échec, on ne devrait pas beaucoup voir Éric Zemmour cet été, même s’il fera sans doute quelques médias. En revanche, l’année prochaine, il va faire du combat culturel. À partir de septembre, il commence à donner des conférences. Nous savons aussi qu’il tiendra son université d’été le 10 septembre… dans le Var. Il y a également une revue dans les tuyaux, et un livre prévu pour 2023. Zemmour va essayer par ailleurs de créer une école de formation, il veut former à la politique ses 20 000 jeunes adhérents, les faire lire, leur proposer du media training… Et l’avenir de Reconquête, c’est évidemment les européennes de 2024, ce scrutin sera important et pourrait rapporter des élus.

Comment gérer la déception des militants ? Le parti « Reconquête » n’a-t-il pas peur que les soutiens repartent massivement au RN ou chez les LR ?

Je me souviens du soir du 10 avril, j’étais à la maison de la Mutualité où était organisée la soirée du premier tour de Zemmour. Beaucoup de gens étaient déboussolés, et n’y croyaient plus. Deux semaines après, la page était tournée. Certains restent, d’autres partent. C’est pareil dans tous les partis. L’avenir du parti va passer par la formation des jeunes. Ils vont commencer à tisser un maillage territorial permettant de développer le nord, l’ouest, le sud-ouest… Il était ainsi intéressant d’investir autant de jeunes dans les circonscriptions. C’est intéressant de faire perdre des jeunes et non des seniors. Ils se construisent pour plus tard. Ils auront acquis de l’expérience. Quand on a un parti politique, on doit miser surtout sur la jeunesse. Et même sans aucun élu, le parti conserve des voix qui portent comme celles de Marion Maréchal, Guillaume Peltier et évidemment d’Éric Zemmour, qui seront toujours invités dans les médias.

A lire aussi: Quand les droitards choisissent Nupes au second tour…

Justement, au-delà du cas d’Éric Zemmour, comment expliquez-vous que des voix qui portent, comme Peltier ou Rigault (avec Maréchal en colistière), aient également perdu, et de surcroît sont même arrivées derrière les personnalités investies par le RN beaucoup moins connues ?

Je pense qu’on peut parler d’effet pancarte. Dans le Var, le candidat Philippe Lottiaux, qui a accédé au second tour en devançant Zemmour, n’était pas très connu. C’est un parachuté de 2017. Mais il a bénéficié des 23,15% de Marine Le Pen à la présidentielle. Il y a un vrai effet de pancarte Marine Le Pen. D’ailleurs, certains candidats RN pour les législatives se sont contentés de mettre juste la tête de Marine Le Pen et de Jordan Bardella sur leurs affiches électorales. On ne vote donc pas forcément pour le député du RN, mais pour le candidat de Marine Le Pen, finaliste de la présidentielle. 

Et pendant la présidentielle, après peut-être un moment d’inquiétude en novembre 2021 quand Zemmour est donné à 18% dans certains sondages, Marine Le Pen est vite apparue assez sereine. Elle a compris que Zemmour ne la battrait pas, parce qu’elle a toujours avec elle son « plancher », c’est-à-dire ces électeurs des classes populaires qui quoi qu’il arrive voteront pour elle. C’est ce que me disent les cadres du RN : les classes populaires voteront toujours pour nous, ou s’abstiendront. Elles ne vont pas aller voter Zemmour qui est un candidat beaucoup plus libéral économiquement, perçu comme proche de la droite plus classique. 

Même s’il recule, LR reste le principal parti se revendiquant de droite. Grâce à leur ancrage local, les Républicains espèrent 50 à 80 sièges dimanche prochain, moitié moins que ce qu’ils avaient, mais ils pourront peut-être négocier certains textes avec la majorité. De son côté, Éric Zemmour continue à fustiger RN et LR qui ont refusé sa main tendue… N’est-ce pas là sa vraie défaite ? 

Le seul vrai ralliement que Zemmour ait obtenu de LR, c’est Guillaume Peltier. Il n’a pas eu les Éric Ciotti, les Laurent Wauquiez… Éric Zemmour a surestimé sa capacité immédiate à faire venir des cadres de LR jusqu’à lui. C’est là qu’il a sans doute fait une erreur. Ciotti va être réélu député à Nice, Wauquiez demeure président de la région Rhône-Alpes, et Bruno Retailleau préside le groupe LR au Sénat. Ces gens n’avaient aucun intérêt à rejoindre Zemmour trop tôt. Par ailleurs, l’ensemble des députés LR ont voté 70% des textes de LREM entre 2017 et 2022. Vous avez donc en réalité une majorité des cadres des LR qui restent beaucoup plus proches de Macron que de Zemmour. L’autre moitié est très bien où elle est, et n’a aucun intérêt à tenter une aventure personnelle. Peltier, qui a perdu sa circonscription, l’aurait peut-être conservée s’il était resté chez les LR.

Oui, mais il affirme préférer le panache de ses convictions au confort de sa carrière, contrairement aux autres…

Certes, mais je pense aussi que certains Républicains de l’aile la plus à droite essaient de renforcer leur courant. Ils tentent de faire vivre cette frange conservatrice en se disant que seul LR peut prendre le pouvoir. Ils veulent impulser de l’intérieur une nouvelle dynamique, une nouvelle génération. Du moins c’est ce qu’ils essaient de faire.

Dans votre livre, vous racontez que jusqu’à la veille de la candidature sur YouTube, Éric Zemmour hésite et que c’est Sarah Knafo qui va le convaincre de finalement bien se présenter. Au-delà de son rôle de conseillère, quel est le pouvoir réel de la compagne d’Eric Zemmour ?

Sarah Knafo apparaît comme beaucoup plus obstinée que lui. C’est déjà elle qui le convainc au printemps 2021 de songer à se lancer en politique. Puis, c’est elle qui organise le premier comité opérationnel du 6 avril 2021. L’hésitation de dernière minute est effectivement une séquence intéressante. Après son voyage raté en Suisse, et la couverture de Closer révélant la soi-disant grossesse de Sarah Knafo, on voit Zemmour rentrer de Marseille sans Sarah Knafo… A Paris, pendant deux jours, les 27 et 28 novembre, il hésite. La vidéo de lancement sur YouTube a pourtant été tournée depuis 15 jours. Sarah Knafo appelle alors tous les amis d’Éric Zemmour, et leur dit « vous allez le convaincre de continuer ».

Du début à la fin, l’équipe d’Éric Zemmour est composée d’amis de Sarah Knafo. Stanislas Rigault et elle sont amis depuis longtemps. Elle a connu Samuel Lafont du temps de l’UNI, il y a huit à 10 ans. Le community manager, un ancien cadre LR passé à « Reconquête », aussi. Quant au trésorier Gilbert Payet, il a carrément été le patron de Sarah Knafo lors de son stage à l’ENA. Deux ans plus tard, c’est elle qui est devenue sa patronne ! Cela vous montre toute l’évolution de cette femme. Quant à son avenir en politique, il n’est pas tranché: elle a reçu des propositions intéressantes lui offrant d’aller travailler dans des entreprises du CAC 40, pour y faire de la communication, du conseil… Elle a un avenir, c’est une femme très intelligente qui a aussi un réseau incroyable. Même Jacques Attali, qui n’est pas franchement pro-Zemmour, va chez elle…

Vous racontez cette séquence importante, le 24 février, où Zemmour lâche à son équipe « Je déteste Poutine ».

Le candidat vient de faire à midi une sorte de déclaration solennelle, pas très réussie, à côté du siège de campagne. L’après-midi, il réunit ses équipes pour définir la marche à suivre. Faut-il ou non maintenir le meeting prévu le lendemain à Chambéry ? A ce moment-là, Zemmour a compris non pas qu’il a perdu, mais que toute la campagne présidentielle est en réalité terminée. Tout est tranché à ce moment-là. Un peu abattu, il finit par lever la tête et lâche : « Je déteste Poutine ». Une fois que l’Ukraine est attaquée, c’est effectivement le seul sujet de préoccupation des Français. L’immigration, l’insécurité, c’est terminé, quand bien même il continue à y avoir une agression physique toutes les 44 secondes en France.

Éric Zemmour est résigné, il continue de faire campagne et de tenir de grands meetings, il se réjouit de l’arrivée de Marion Maréchal une semaine plus tard mais il sait qu’il sera quoi qu’il arrive moins audible que Marine Le Pen, qu’on ne parlera plus de grand remplacement. Selon la formule de Philippe de Villiers, Marine Le Pen devient alors la « candidate de la fin de l’essence, tandis que Zemmour est le candidat de la fin de la France ». Et en février-mars, l’urgence pour les Français c’était l’essence plutôt que la France.

Sur le plan des relations internationales, Zemmour se faisait conseiller par Caroline Galactéros, un personnage qui semble un peu excentrique.

J’ai discuté avec elle à trois ou quatre reprises, mais je ne la connais pas assez pour vous dire ce qu’elle pense précisément sur ce sujet. Un certain nombre de journaux ont dit qu’elle était pro-russe. Mais tout au long de la campagne, ils ont aussi répété que Zemmour, Le Pen et Mélenchon étaient pro-russes alors que je pense que c’est évidemment plus nuancé. Est-ce que c’est elle qui a conditionné la ligne géopolitique de Zemmour, pendant la campagne ? Pas du tout. Ce sont évidemment Zemmour, Sarah Knafo, Villiers ou Peltier, et elle n’a pas eu l’influence qu’on lui prête sur les positions de Zemmour – par exemple sur les réfugiés ukrainiens.

Une autre erreur, à en croire l’analyse la plus répandue sur le sujet. Mais, vous nous expliquez que les déclarations d’Éric Zemmour sur les réfugiés ukrainiens, c’est en réalité une erreur collective.

Certes, mais il reste le candidat. Quand Zemmour a réuni ses proches après l’invasion de l’Ukraine, ils étaient tous d’accord pour dire qu’il ne fallait pas accueillir de réfugiés ukrainiens en France, et dire qu’ils devaient aller dans les pays limitrophes. Même Jean-Frédéric Poisson. Mais je ne suis pas certain que Zemmour ait perdu tant d’électeurs que ça en disant qu’il ne fallait pas accueillir de réfugiés ukrainiens. La bourgeoisie patriote s’en va de toute façon très vite chez Macron, Zemmour est surtout victime de la diabolisation de Poutine et de l’effet drapeau bénéfique à Macron. D’ailleurs, une semaine après l’invasion de l’Ukraine, Pécresse a perdu autant que Zemmour dans les sondages (quatre points chacun), alors qu’elle n’a pas eu la même position que lui sur les réfugiés.

Il n’y avait qu’une seule personne chez Zemmour qui était opposée au fait de dire ça, c’est… Damien Rieu ! Le militant identitaire est assez logique, à sa façon : il pense qu’il y a l’Occident et qu’il y a les autres. Les Ukrainiens étant des chrétiens orthodoxes, ils font partie de notre civilisation.

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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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