Pour le président de Reconquête, la stratégie de dédiabolisation poursuivie par le RN revient à se soumettre à la gauche. L’urgence, c’est de mener le combat identitaire car « la France est assiégée par une civilisation étrangère » qui a notamment ravivé l’antisémitisme. Pour lui, la politique est une affaire trop belle et trop grande pour être confiée à des politiciens obsédés par les sondages.
On l’avait vu, au lendemain des européennes, passablement abattu par les trahisons. On le retrouve souriant, reposé, gourmand de rencontres et d’idées nouvelles. Après une dizaine de jours en Californie, où le gotha conservateur américain avait invité Sarah Knafo, son lieutenant et sa compagne, à une session de formation, j’ai rejoint le patron de Reconquête en Camargue, une région où il compte de fidèles partisans devenus de bons amis. Deux heures de natation par jour, des livres en pagaille, la presse dégustée dans la solitude matinale face aux vignes, la famille et les copains : alors que la dernière séquence a largement confirmé son diagnostic, il est prêt à en découdre, plus que jamais convaincu que la France est en danger. Il lui reste à prouver qu’il est celui qui peut la sauver. À supposer qu’elle veuille être sauvée • |
Causeur. Avez-vous été touché par la grâce olympique ?
Éric Zemmour. Depuis mon enfance, j’aime le sport – je le regarde et je le pratique. Depuis 1968, je n’ai jamais raté les JO, ni la Coupe du monde de football. Je pourrais vous parler pendant des heures des JO de Mexico en 1968 avec la victoire de Colette Besson ! Je ne suis pas de ces gens qui méprisent « le pain et les jeux » qu’on donnerait « au peuple ». Comme tous les gens du peuple, je suis heureux quand les Français gagnent. Et cette année, j’ai été servi ! Léon Marchand nous a tous enchantés. Je suis très chauvin en sport, je n’en ai pas honte.
Vous êtes chauvin en tout !
Pas faux ! Le sport, c’est aussi le patriotisme. Quand on dit que le sport, c’est uniquement « le vivre-ensemble, la convivialité, la sororité », on dénature complètement les valeurs du sport. Le sport, c’est l’effort, la méritocratie, la sélection, la compétition. Le sport, ce sont des valeurs de droite. Pour être jockey, il faut être petit et léger. Il y a ceux qui arrivent les premiers et qu’on respecte, et ceux qui arrivent en dernier et qu’on plaint. Tout le contraire de l’école d’aujourd’hui ! On accepte que les qualités des hommes et des femmes soient différentes ; ils ne combattent pas ensemble. On est content quand son compatriote gagne. Tout ce que la gauche et l’époque détestent !
Peut-on se contenter de crier « Vive la France ! » uniquement dans les stades ?
Et pourquoi les peuples européens ne manifestent-ils leur patriotisme que dans les stades ? Car, c’est désormais le seul endroit où les élites le tolèrent. Prenez l’Allemagne. Après 1945, le patriotisme allemand est devenu suspect, alors le football fut son seul refuge. Aujourd’hui, nous sommes tous Allemands. Tous les peuples européens ont été mis au pain sec et à l’eau patriotiques.
La « communion », célébrée jusqu’à l’écœurement par les commentateurs, n’est-elle pas factice ?
Bien sûr. C’est exactement l’histoire de la Coupe du monde de football en 1998. Les politiciens et les intellectuels de tous bords, qui ne manifestaient jusque-là que mépris pour ce « sport de beauf », exaltèrent avec des trémolos dans la voix la victoire de la France « black-blanc-beur ». Cette victoire que tout un peuple attendait depuis des années, que notre peuple fêta dans la liesse – cette victoire fut dérobée, subtilisée, transformée et devint un fantastique objet de propagande. Nos trois couleurs n’étaient plus bleu, blanc, rouge, mais black-blanc-beur. Ce n’était plus la victoire de la meilleure équipe du monde, mais celle du métissage. La réalité a vite rattrapé cette légende. Car trois ans plus tard, il y eut un match entre la France et l’Algérie. Et là, ce sont les supporters des banlieues françaises qui applaudirent l’Algérie, sifflèrent La Marseillaise et conspuèrent Zidane « le traître » dès qu’il touchait le ballon. Avant d’envahir le terrain, parce que la France humiliait l’Algérie dans le jeu. L’illusion de la France black-blanc-beur était déchirée.
Quoi qu’il en soit, les JO ont été une réussite organisationnelle.
Paris a vécu sous une bulle pendant quinze jours. On a mis dix fois plus de policiers que d’habitude, on a démantelé les points de deal, on a sorti les migrants de la ville. On a fait marcher le métro, il arrivait à l’heure, il était propre. Bref, un avant-goût de la France que je veux ! Ce n’était pas le Paris d’Hidalgo…
Le sport est-il un critère valable pour juger de la supériorité des nations ? La hiérarchie issue du sport n’est-elle pas contestable par rapport à celle des scientifiques, ou des grands artistes ?
L’un n’exclut pas l’autre. Après les JO de Rome de 1960, qui avaient été une catastrophe pour les sportifs français, le général de Gaulle a réuni un Conseil des ministres spécial pour développer le sport de compétition en France. C’est ainsi qu’on a organisé la formation du football qui nous a amenés à l’équipe de Platini dans les années 1970. À l’époque, Jacques Faizant a publié un dessin hilarant du général de Gaulle courant en survêtement avec cette légende : « Dans ce pays, il faut que je m’occupe de tout. » Dans tous les sports, l’État a donné une impulsion. Donc, même au temps du général de Gaulle, on considérait que le sport était un élément du prestige français. En temps de paix, dès qu’un pays sort du sous-développement, il s’efforce d’organiser son sport de haute compétition. Les deux pays qui raflent le plus de médailles sont les États-Unis et la Chine : la hiérarchie olympique épouse assez fidèlement celle de la puissance. Pour moi, les sportifs, en particulier olympiques, sont les chevaliers de notre époque, ils portent haut les couleurs de leur pays.
Que retenez-vous de la cérémonie d’ouverture ? Les provocations, la Marie-Antoinette gore arborant sa tête coupée ou les monuments de Paris sublimés ?
Je retiens que la gauche n’arrête jamais de mener le combat idéologique et trouve toutes les occasions pour faire avancer ses pions. Ce que vous appelez « provocation », c’est simplement la mise en scène de ses idées qui doivent s’imposer à tous. C’est la grande force de la gauche. Elle est fondamentalement gramscienne. Et c’est la grande faiblesse de la droite, qui ne mène pas le combat culturel. Il faut affronter la gauche sur ce terrain culturel. C’est ce que j’ai fait pendant des années. C’est ce que nous faisons avec Reconquête.
Le droit au blasphème fait partie de notre culture. Peut-on demander aux musulmans d’accepter les caricatures de leur prophète et pousser des hurlements pour une transgression pour enfants, déjà vue 500 fois, autour de la Cène ? Faut-il s’énerver contre « les mutins de Panurge » (Muray) ou se payer leur tête ?
Le droit au blasphème, la transgression et la caricature font partie de l’esprit français. Mais justement, quand cette provocation a été vue 500 fois, alors ce n’est plus une provocation : c’est l’idéologie dominante qui, par définition, s’impose à nous. En 1900, se moquer du christianisme dans une société encore catholique, c’est se moquer du pouvoir. En 2024, se moquer du christianisme, c’est faire partie du pouvoir, de l’idéologie dominante. Nous devons la combattre, car il ne s’agit plus de transgresser un ordre qui tient debout, mais d’effacer complètement une civilisation devenue fragile : les racines chrétiennes de la France.
Vous voulez recommencer la guerre froide idéologique dans l’autre sens, en fait. Et pourquoi ne pas essayer le pluralisme culturel ? Le débat à la loyale ?
C’est exactement ce que je fais ! Mais ne soyons pas naïfs : il y a toujours une culture dominante. Quand la gauche gagne les élections, elle gagne. Mais quand elle les perd, elle gagne aussi, parce que la droite n’applique pas ses idées et se soumet à la gauche. Chez Reconquête, nous contestons sans cesse cette hégémonie, par exemple avec les Parents vigilants, notre réseau de 75 000 parents, présents dans la France entière pour alerter des dérives au sein de l’école. Je veux que Reconquête reprenne le flambeau de l’éducation des jeunes générations. Je compte m’y investir personnellement dès nos universités d’été à Orange, le 7 septembre.
Pardon, mais on n’a pas envie de voir un politiquement correct de droite supplanter celui de gauche. Ni de voir le retour de la persécution des homosexuels…
Vous tombez dans ce panneau ? Depuis 1789, date à laquelle elle a été dépénalisée, l’homosexualité n’est plus persécutée en France. Moi, je déteste le politiquement correct, et je me fiche de ce que font les gens, j’ai grandi dans les années 1970. Ce que je combats, c’est le militantisme LGBT. On nous raconte que le refus de l’agenda woke serait de l’homophobie. C’est un peu gros.
Donc, contrairement à vos amis ou ex-amis de la « droite des valeurs », vous êtes libéral sur les mœurs ?
Je ne suis pas un puritain. Je trouve que nous vivons une triste époque de réaction puritaine, après l’explosion libertaire des années 1970. Regardez la sexualité des jeunes : elle est quasiment réduite à néant ! Sauf que ce n’est plus l’Église, mais le féminisme à la MeToo qui inhibe les désirs et contraint à l’abstinence.
Diriez-vous qu’avec Marion Maréchal, Reconquête a perdu sa branche la plus catholique ?
Vous avez trouvé son attitude très catholique ?
Les trahisons semblent derrière vous. Vous avez encaissé ?
Oui, les vacances m’ont fait du bien. Je me suis posé des questions simples : Est-ce que l’intérêt de la France serait mieux défendu si j’arrêtais la politique ? Si Reconquête cessait le combat ? Je pense avoir trouvé la réponse. Je regarde devant moi. J’ai des troupes déterminées. Je sais qu’il nous faut continuer le combat. Sans Reconquête, nos idées ne vaincront jamais. Nul autre que nous ne les portera.
On a été contents d’oublier la crise politique pendant ces trois semaines. Elle est toujours là. Fin juin, il y avait une quasi-unanimité pour dénoncer la dissolution : choix irresponsable, scandaleux… Était-ce votre avis ?
Ce n’était pas scandaleux, c’étaitstupide. La dissolution permet, en principe, au président de la République d’améliorer son rapport de forces avec les autres pouvoirs. Or, en l’occurrence, Macron a dissous à un moment où il ne pouvait que s’affaiblir. Personne n’a gagné : ni la gauche, ni la Macronie, ni le RN. Et surtout pas la France ! Désormais, peu importe le gouvernement, il n’aura pas de majorité solide. Les immigrés vont continuer à arriver, l’école, à s’effondrer, la dette, à grossir. Tous les problèmes qui doivent être réglés ne le seront pas. Les Français le voient et sont écœurés de la politique pour cette raison. C’est pour cela que plus de 80 % d’entre eux viennent de dire que les partis politiques n’étaient ni crédibles, ni honnêtes, ni utiles (Odoxa).
Quand vous jouez, vous n’êtes jamais sûr de gagner !
Macron avait-il vraiment un objectif rationnel ?
Oui, celui d’user le RN pour ne pas amener Marine Le Pen à l’Élysée.
Dans ce cas, il fallait le laisser gagner, et non s’allier avec LFI. Quoi qu’il en soit, le résultat, c’est le chaos.
Si la France n’est pas politiquement partagée en deux mais en trois, c’est le chaos ?
Le problème n’est pas la tripartition parlementaire, mais le décalage entre la réalité du pays et les débats des politiciens. Tous les Français le disent : on ne comprend plus rien à la vie politique, c’est le chaos ! Pourquoi ? Car la politique ne correspond plus aux clivages de la société. On a connu dans l’histoire des moments où la politique ne correspondait plus aux réalités sociologiques et démographiques d’un pays. Regardez la fin du xixe siècle, en France. La vie politique oppose alors les républicains et les monarchistes, alors que le conflit qui agite la société, c’est déjà la lutte des classes. Le socialisme tarde à être représenté, d’où la déconnexion entre la société et la politique, et l’instabilité qui va avec. Même chose en Angleterre à la même époque : la compétition politique oppose les conservateurs et les libéraux, alors que la classe ouvrière naissante cherche son expression politique. Le chaos politique anglais dure cinquante ans avant d’accoucher du Parti travailliste qui s’opposera aux conservateurs et aux libéraux enfin réunis. Vous connaissez la définition d’une crise : c’est quand le vieux monde tarde à mourir et le nouveau tarde à naître. Aujourd’hui, les uns veulent ressusciter les années 1960 avec un clivage droite/gauche à l’ancienne, les autres les années 1990 avec le clivage populistes contre mondialistes. Ces clivages sont désuets. La vie politique française n’est pas encore entrée au xxie siècle. Le nouveau clivage est identitaire. La politique est en retard sur la société. Moi je viens de la société. C’est pour cela que j’ai quelque chose à apporter.
Si je vous vois venir, Reconquête est le Labour party du xxie siècle ! Mais pour représenter quel clivage qui ne le serait pas aujourd’hui ?
La question est simple : qui veut continuer de vivre dans la France de toujours, et qui veut la balayer pour vivre dans la France islamisée de Jean-Luc Mélenchon ? Aujourd’hui, nous sommes le seul parti à le formuler. Il s’imposera aux autres. D’ailleurs, j’ai noté un aveu dans l’intervention d’Emmanuel Macron, fin juillet. Il dit : « J’ai cru que la baisse massive du chômage allait entraîner la réconciliation des Français entre eux, je me suis trompé. » Il lui aura fallu sept ans pour comprendre, et il va encore passer trois ans à ne rien faire !
Si je vous comprends bien, même le RN ne représente pas les aspirations identitaires de ses électeurs.
En effet, ses dirigeants ne le souhaitent pas. À chaque élection, le RN range soigneusement le sujet de l’identité pour opposer les Français sur d’autres questions : sur l’euro en 2017, sur le pouvoir d’achat en 2022 et sur plus grand-chose, il faut bien le dire, en 2024. Le RN ne veut pas affronter les médias sur ce sujet. La grande leçon de ces législatives, c’est qu’il faut sortir de la tactique politicienne pour revenir aux idées et aux caractères ! Comme disait Philippe Séguin, « la politique n’est pas une course de petits chevaux », où chacun fait son petit pari en fonction des sondages, en oubliant ses convictions profondes.
Un peu, si ! Elle n’est même souvent que cela !
C’est ce qui la tue. C’est ce qui nous tue. Keynes a une jolie métaphore pour critiquer le caractère moutonnier des marchés financiers. Il les compare à un concours de beauté, au cours duquel on ne demanderait pas au public quelle est la fille la plus belle, mais quelle fille va être désignée comme la fille la plus belle. C’est exactement notre vie politique. J’aimerais qu’on revienne à la désignation de la fille la plus belle, et non pas de celle que l’on croit que les autres vont désigner comme la fille la plus belle – c’est le mécanisme des sondages, qui crée le vote utile. Cela fausse complètement le jeu démocratique.
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