Quelques jours après l’attaque du 7 octobre, le président de Reconquête s’est rendu en Israël où il a constaté, bouleversé, l’étendue des massacres. Quels sont les devoirs, mais aussi les intérêts de la France dans cette épreuve? Éric Zemmour en est convaincu : elle doit être à la pointe du réarmement de l’Occident.
Causeur. Vous revenez d’Israël où nous nous sommes croisés, dans la vieille ville de Jérusalem. Vous avez prié au mur des Lamentations. Jusque-là, vous n’affichiez pas de lien particulier avec ce pays. Le pogrom du 7 octobre a-t-il réveillé chez vous une fibre juive et/ou sioniste ?
Éric Zemmour. Je suis un juif de la tradition israélite, un Français de confession juive, j’ai été élevé comme ça, je mourrai comme ça. Si je subis la vindicte des institutions juives comme le CRIF, c’est justement parce qu’elles ont abandonné l’héritage universaliste et assimilationniste de Napoléon au profit d’un lobby communautariste à l’anglo-saxonne. Cela dit, on n’a pas besoin d’être juif pour être effaré, révulsé par ces récits de bébés brûlés et suppliciés, de femmes enceintes à qui on lacère le ventre, de femmes qu’on viole après les avoir brûlées. On n’a pas besoin d’être juif pour se sentir solidaire d’un peuple frappé au fond de son âme, mais qui se bat pour son existence et refuse de se soumettre à la barbarie. Je serais attaché à l’existence d’Israël même si je n’étais pas juif.
En attendant, les « juifs couscous » qui vous ont accueilli en héros à Netanya ne sont pas de distingués israélites assimilationnistes. S’ils ont quitté la France, c’est que beaucoup se sentaient d’abord et surtout juifs.
Ça dépend des générations. Les gens de mon âge, ou plus vieux que moi, ont quitté l’Algérie en 1962, chassés par le FLN, alors qu’ils étaient là avant la colonisation arabe. Quasiment tous se sont installés en France, et non en Israël. Ils s’étaient au fil du temps agrégés au peuple des pieds-noirs, et étaient devenus français. Ils se prénommaient Annie, Lucette, Roger, Pierre. Chez les plus jeunes, c’est différent. À partir des années 1980-1990, il y a eu un mouvement général de défrancisation de la population française, qui a touché tout le monde, y compris les israélites français : à l’école, les enfants passaient leur temps à se chercher des origines étrangères, des Français de souche étaient très gênés car ils n’avaient pas d’« origine », donc certains s’en inventaient des allemandes, italiennes… En même temps, l’immigration massive du Maghreb et d’Afrique noire a rendu la vie dans les banlieues impossible pour tous les non-musulmans. Certains quartiers sont devenus des enclaves étrangères et islamiques. Israël, c’est la France périphérique des juifs de ces quartiers. À Netanya, dont vous parlez, il y avait plus de mille personnes et des drapeaux français brandis fièrement. Cela m’a frappé là-bas : j’enrage que des gens qui aiment autant la France aient été obligés de la quitter, tandis que tant de gens qui la détestent restent et arrivent chaque année.
Les crises sont souvent des occasions de dévoilement. Que vous ont appris l’attaque du Hamas et ses conséquences ?
Plutôt qu’un dévoilement, il s’agit d’une confirmation d’évolutions à l’œuvre depuis longtemps. S’il y a une surprise, c’est qu’Israël se soit fait surprendre. Mais la véritable nouveauté, je l’ai vue en France.
Les flambées d’antisémitisme quand les armes parlent au Proche-Orient, ce n’est pas très nouveau…
Je ne parlais pas de ça ! Pour la première fois depuis la guerre des Six Jours, il y a eu dans l’espace public français une réelle empathie pour Israël. Je n’avais jamais vu une telle bienveillance, et pas seulement dans l’espace médiatique, mais aussi chez le peuple français. Cela s’explique par la sauvagerie de l’attaque. On est dans le registre d’une barbarie pure. Or, c’est précisément pour protéger les juifs de cette barbarie qu’Israël a été créé, c’est le cœur de sa légitimité. Il y a là un enjeu presque métaphysique. Contrairement à ce que prétend la doxa politique française, la solution des deux États est aujourd’hui impossible : le Hamas, pour qui les Palestiniens ont voté, ne veut pas de solution, il veut tuer les juifs. Le mouvement palestinien a changé d’âme, au tournant de l’année 2000. Il n’a plus un objectif national et territorial, il s’inscrit dans un projet planétaire d’islamisation qui ne peut tolérer qu’une terre musulmane soit redevenue une terre juive. Pour les Palestiniens, Israël, c’est le royaume des croisés. Ce royaume n’a duré que cent ans… Les Palestiniens veulent qu’Israël connaisse le même destin.
A lire aussi : Michel Onfray: La guerre de civilisation, hélas!
Vous idéalisez l’OLP, dont la laïcité était aussi authentique que celle du FLN ou de Saddam Hussein et qui, on l’a aujourd’hui oublié, pratiquait la terreur autant que le Hamas.
Je suis le premier à dire que le nationalisme, venu d’Europe, n’a jamais été, en terre d’islam, pur de toute référence religieuse. Le journal du FLN s’appelait El Moudjahid, en référence au djihad. Il n’empêche qu’autour d’Arafat, ce sont des élites chrétiennes et non musulmanes qui ont forgé le nationalisme palestinien, sur le modèle du sionisme. Quant à la terreur, tous les mouvements nationaux y ont eu recours à leurs débuts. Les Allemands et les Espagnols ont pratiqué la terreur contre Napoléon, les Israéliens, contre les occupants anglais. Ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est : dans quel but recourt-on à la terreur ? Le nationalisme de l’époque d’Arafat voulait deux États, celui du Hamas veut « jeter les juifs à la mer ».
Puisque votre pensée se nourrit toujours de références historiques, à quels événements compareriez-vous le 7 octobre ?
Tout d’abord, aux guerres d’Algérie : la guerre d’Indépendance au xxe siècle, mais aussi la guerre de conquête, de 1830 à 1840. Il faut lire le général Bugeaud et tous les témoins de l’époque. Ils sont sidérés de la violence des combattants arabes. D’ailleurs, lorsqu’on accusera l’armée de férocité à l’égard des ouvriers français, dans la répression des journées de juin 1848, on l’imputera aux habitudes prises dans cette région.
Et puis, il y a évidemment la Seconde Guerre mondiale et les nazis, et la rupture qu’elle provoque – le plus jamais ça. Et le 7 octobre, ça a recommencé. Je suis allé au centre médico-légal, où ils s’efforçaient de reconstituer les corps brûlés, martyrisés, pour leur donner une sépulture digne et simplement une identité. Je suis allé au kibboutz de Kfar Aza, j’ai vu ces maisons éventrées, ces voitures calcinées, la vie arrêtée brutalement – du linge, des tasses de café, des jouets d’enfants cassés. Mais ce qui m’a le plus pris aux tripes, ce que je n’oublierai jamais, c’est l’odeur de la mort partout.
Peut-on penser quand tout provoque la sidération ?
Il le faut. Parfois c’est même un petit élément qui donne à réfléchir. Dans une maison j’ai vu une affiche de Chalom Archav – La paix maintenant. Les officiers qui nous accompagnaient m’ont expliqué qu’il s’agissait d’un kibboutz de gauche, pacifiste, dont les habitants croyaient à un accord, à la paix. Ils allaient chercher les enfants palestiniens malades à Gaza pour les conduire dans les hôpitaux israéliens. J’ai immédiatement pensé à la célèbre formule du philosophe Julien Freund : « C’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez l’ennemi, vous l’êtes. » Donc oui, cet affrontement fait partie d’une guerre qui nous dépasse, même quand on la refuse : une guerre de civilisations. La civilisation islamique mène une guerre à l’Occident, mais cette guerre a lieu partout où réside une forte communauté musulmane, en Afrique, en Inde, en Chine, en Russie. Cela n’empêche pas ces pays de soutenir le camp anti-occidental : il y a toujours eu des intérêts économiques et militaires, des alliances qui s’ajoutent aux questions de civilisations. C’est la logique d’intérêts communs, notamment en termes de coopération militaire, qui explique l’alliance entre Israël et l’Azerbaïdjan. Mais pour moi, les Israéliens ont tort. Je peux comprendre toutes les stratégies, mais je crois qu’à terme, le conflit de civilisations nous dépasse et nous emporte. D’ailleurs, le gouvernement d’Azerbaïdjan a voté contre Israël à l’ONU, et dans les manifestations des rues de Bakou, le mot d’ordre était « les Israéliens sont peut-être nos alliés, mais les Palestiniens sont nos frères ». Comme le disait Raymond Aron :« Ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n’ont rien compris au xxe siècle. » Cela vaut pour notre siècle aussi.
A lire aussi : « Vivre ensemble », le grand échec
Ce qu’on appelle crime contre l’humanité est donc en réalité un crime contre l’Occident. Les autres nations soit approuvent, soit ne se sentent pas concernées. Une grande partie de l’Asie regarde ailleurs.
L’Asie n’est pas l’Occident. Vous me dites que l’Occident soutient l’Occident : ça semble logique.
Vous conviendrez que ce concept de guerre de civilisations est d’un maniement délicat : il ne s’agit pas, ou pas seulement, d’un conflit entre nations ou entre aires géographiques, il prend des formes très différentes– des attentats et une guerre, ce n’est pas pareil.
Revenons aux sources. Tout le monde a entendu parler du texte d’Huntington, Le Choc des civilisations, qui, après la chute du Mur de Berlin, affirmait que le conflit majeur n’opposerait plus désormais l’Est et l’Ouest, mais de grandes civilisations. Ce qu’on sait moins, c’est qu’Huntington n’a rien inventé. Ce conflit de civilisations est le cours traditionnel des choses depuis l’aube de l’humanité. C’est la guerre froide, un affrontement entre deux idéologies occidentales, qui a été une parenthèse. La logique de l’Histoire depuis cinq mille ans, comme nous l’a appris le grand historien britannique Arnold Toynbee, c’est qu’il y a différentes civilisations (chinoise, hindoue, islamique, occidentale, orthodoxe, etc.) qui s’ignorent ou s’affrontent, se toisent ou se méprisent. À partir du xve siècle, forts de leur supériorité technique, les Occidentaux occidentalisent le monde et déstabilisent des civilisations qui se croyaient toutes le centre de l’univers. Les musulmans sont déstabilisés par l’arrivée de Bonaparte en 1798, les Chinois par la diplomatie de la canonnière au xixe siècle, etc. Après la disparition de l’URSS remontent à la surface des civilisations désireuses de prendre leur revanche sur des Occidentaux qui les ont dominées. Chacune use de moyens différents. La civilisation chinoise emprunte tous les moyens de l’Occident, technique, guerre, industrie – à l’exception de la liberté.
En revanche, l’islam conjugue deux armes qui lui sont propres : la démographie et la spiritualité. Il se présente comme la réponse au vide spirituel imposé partout par le matérialisme occidental. Par deux fois, déjà, l’islam a été le porte-drapeau de l’Orient et de sa revanche contre une offensive occidentale : la première fois, quand les héritiers de Mahomet conquièrent l’Égypte et la Syrie qui étaient grecques depuis mille ans et la deuxième, lorsque Saladin refoule les Croisés. Nous vivons aujourd’hui la troisième offensive.
A lire aussi : Thomas et les incrédules
Oui, mais ce conflit traverse les sociétés occidentales. Contrairement aux autres civilisations, l’Occident ne jouit pas de l’homogénéité culturelle. Au contraire, la diversité, l’ouverture à l’Autre font partie de son identité, singulièrement depuis 1945. Au point que l’essentiel des forces de gauche se sont mises au service de l’islamisme.
Tout à fait, c’est exactement ce que je dis. En effet, aux États-Unis comme en Europe, il y a une alliance entre le mouvement d’islamisation de nos pays et une gauche woke qui a fait de la défense des minorités l’axe central de son progressisme. L’origine de cette gauche, c’est la pente occidentale vers l’autodestruction qui a succédé à l’instinct de développement et de domination. C’est parce que l’Occident est faible qu’une partie des élites, de la jeunesse et des universitaires est devenue l’alliée objective de nos ennemis. Pendant la guerre de Cent Ans, les Bourguignons s’allient aux Anglais ; pendant les guerres de religion, les protestants sont les alliés des Anglais et des Hollandais contre les puissances catholiques. Et au xxe siècle, tout le monde se souvient des collabos alliés aux Allemands. On peut d’ailleurs poursuivre avec les communistes qui soutenaient l’URSS pendant la guerre froide. Aujourd’hui, la gauche soutient le mouvement d’islamisation de notre pays. Électoralement, on peut dire qu’il n’y a plus d’autre gauche. Mélenchon l’a compris : sans l’électorat musulman, il ne peut plus y avoir de candidat de gauche au second tour.
La suite demain
Je n'ai pas dit mon dernier mot: Je n'ai pas dit mon dernier mot
Price: 21,90 €
28 used & new available from 2,52 €