Entretien avec Eric Zemmour (1/2)
Causeur. Nous connaissons votre goût et votre culture de la littérature. Quels sont, dans les domaines des arts plastiques, de la musique, du cinéma ou encore du théâtre, vos œuvres et vos artistes favoris ?
Éric Zemmour. J’aime beaucoup le rock, et suis un grand fan de Mick Jagger ! Je ressens toujours une émotion particulière aux premières notes d’Angie, par exemple… Je n’y peux rien, c’est ma jeunesse ! Barbara me touche profondément. J’aime Aznavour, Brel, Brassens et toute la grande chanson française. Et puis Bach… c’est l’évidence de la beauté ! Pour le cinéma, j’admire le travail cinématographique de Kubrick. Les aventures de Barry Lindon m’ont accompagné toute ma jeunesse, avec la bouleversante musique de Haendel. J’aime le cinéma italien des années 1970. Les films de Sautet et de Melville. Le grand cinéma populaire est pour moi également important… j’ai beaucoup ri devant les films de Louis de Funès qui représentent la France prospère de Pompidou. Au théâtre, j’ai récemment été fasciné par le Tartuffe de Michel Fau, cet artiste réalise un travail sur l’esthétique et sur l’alexandrin que je trouve fabuleux… il respecte le style de l’œuvre en y apportant son univers. Dans le domaine des arts plastiques, vous le savez, j’ai moins d’affinité avec l’art contemporain tel qu’il est aujourd’hui marchandisé à la FIAC ou au Centre Pompidou. Je suis touché par l’art de la Renaissance. Et puis Rodin, Vermeer, la délicatesse épicurienne de Watteau également. J’aime l’épique des tableaux de David et de Gros.
Le mot « culture » est utilisé à toutes les sauces et peu de gens s’entendent sur sa définition. Quelle serait la vôtre ?
Pour moi, le mot culture ne se comprend pas sans son épithète « commune ». La culture, c’est ce qui fabrique un peuple, une nation, ce qui le soude dans des références communes, que chacun peut et doit se réapproprier. C’est le ciment qui nous rassemble. Évidemment, des contre-cultures se développent et parfois, deviennent populaires et majoritaires (le jazz puis le rap, pour ne citer que deux exemples). Pour autant, la culture que j’ai envie de valoriser est une culture qui élève les âmes, et nous rend fiers d’être Français.
Vous avez déclaré vouloir créer un « ministère de l’Instruction publique et de la Culture ». Quel est le but de cette fusion ? Le petit pois Culture ne risque-t-il pas d’être dévoré par le mammouth Instruction publique ?
Ce ministère répond à la volonté de mieux lier culture et instruction, qui sont souvent séparées. Et pourtant l’une ne va pas sans l’autre ! Sans culture, vous ne pouvez envisager de former des citoyens français, et sans l’école vous ne pouvez imaginer transmettre la culture française à l’ensemble des citoyens de notre pays. C’est de cette double nécessité, de cette complémentarité que vient la création d’un grand ministère de l’Instruction publique et de la Culture. Ce ministère aura pour mission de refaire des Français, de mettre en œuvre une véritable politique d’assimilation.
Quelle est pour vous la mission du ministère de la Culture qui, rappelons-le, se nommait auparavant ministère des Beaux-Arts ?
La protection, l’entretien et la transmission de notre héritage artistique et patrimonial. Assurer un égal accès à cet héritage immense à tous les citoyens français. Soutenir par tous les moyens dont il dispose une création exigeante et d’excellence des arts qui ne peuvent subsister sans son aide. Favoriser un enseignement supérieur artistique d’excellence afin de former des artistes capables d’enrichir notre patrimoine en ce domaine. Veiller à la préservation de la beauté du territoire national. Et enfin, œuvrer au rayonnement de notre patrimoine, de nos artistes et de notre langue à l’international.
Le socle de la culture, de notre culture, n’est-ce pas la langue ?
Bien sûr ! Sans une maîtrise parfaite de notre langue – que l’école doit permettre –, il est impossible de rassembler tout un peuple. Et notre socle culturel ne s’entretient pas uniquement sur le territoire national. Nous disposons d’un large espace d’influence dans le monde : 300 millions de francophones présents sur les cinq continents. Nous devons nous appuyer sur cette force culturelle qui dépasse nos frontières et la faire vivre ! Je souhaite donc renforcer les médias français à l’international afin de toucher au plus près ces millions de personnes qui font partie de notre socle culturel par la langue.
Pourquoi vouloir privatiser une partie de l’audiovisuel public ?
Cela répond à un constat simple : son budget a explosé (près de 3,6 milliards d’euros) quand sa qualité n’a fait que se dégrader (près de 50 % des programmes sont dédiés au divertissement). Cette privatisation répond à la volonté de concentrer les dépenses du service public audiovisuel sur ses missions essentielles : la culture et le rayonnement de la France à l’étranger.
Nos écoliers travaillent fréquemment sur des textes d’on ne sait qui et d’une piètre qualité littéraire. N’est-il pas urgent de réutiliser les grandes œuvres classiques de notre littérature comme support de travail pour nos enfants, que ce soit pour l’apprentissage des poésies ou encore le travail de la dictée ?
C’est une priorité ! Je le répète, il faut initier à la culture le plus tôt possible. Cessons de croire que les enfants de notre génération sont moins brillants que leurs prédécesseurs qui apprenaient la lecture grâce aux grands classiques français. Dès le primaire, il faut habituer les élèves au contact de la plus haute littérature et non de textes spécialement écrits « pour les jeunes », formatés aux idéologies en vogue et dépouillés de toutes structures de phrase complexes. Il faut également réintroduire le goût du style et de l’esthétique dès le plus jeune âge. Les poèmes seront donc donnés à apprendre par cœur dès le CP, afin que les écoliers puissent cultiver ce goût et le mécanisme de la mémoire, laissés depuis plusieurs décennies en friche chez la plupart des élèves au nom du pédagogisme. De même, les textes de dictée seront le plus tôt possible extraits de grandes œuvres littéraires donnant l’exemple de la plus haute maîtrise de la langue et poussant également à la réflexion.
André Malraux ministre voulait « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». Il parlait donc des œuvres capitales et non de tout ce qui pouvait entrer dans la catégorie « création artistique ». Par conséquent, il faisait une hiérarchie car si certaines étaient capitales, d’autres ne l’étaient pas. Le ministère de la Culture doit-il retrouver ce sens de la hiérarchie et sortir du « tout est culture » ?
Le « tout est culture » de Jack Lang a fait énormément de mal à la culture en France de manière générale. Il a fait croire aux Français que tout ce qui relevait du divertissement, que ce soit la bande dessinée, les jeux vidéo, le rock ou le rap, était Culture et égal à Molière ou Chopin. C’est de la pure démagogie ! Cela révèle un profond mépris du peuple. Le rôle de l’État est avant tout d’offrir la possibilité à chacun de s’élever quel que soit le milieu social dont il vient, de donner à chaque citoyen français un égal accès à ce que la culture et le génie de notre pays ont créé de plus beau et parfois de plus complexe. L’État doit retrouver le courage de différencier ce qui relève de l’art, et ce qui relève du simple divertissement ou de l’expression sociale dont le ministère de la Culture ne doit plus avoir la charge.
Le Pass culture mis en place par le gouvernement donne aux jeunes un crédit de 300 euros à dépenser en « activités et biens culturels ». Cela a donné une ruée sur les mangas. Certains libraires l’ont même renommé le « pass manga ». Ils représenteraient plus de la moitié des livres vendus via cette application. Que pensez-vous de cette mesure ?
Elle n’est pas mauvaise en soi ! L’idée de proposer aux plus jeunes un accès aux œuvres de l’art me séduit… pourvu qu’il s’agisse d’œuvres majeures, afin que ce pass participe à l’accomplissement intellectuel de ses bénéficiaires. Je suis donc favorable à une restriction du Pass culture à des formes plus classiques de littérature, de musique ou encore de cinéma, auxquelles ils ne sont peut-être pas initiés par leur milieu familial ou amical.