Eric Zemmour vient de publier Je n’ai pas dit mon dernier mot (Ed. Rubempré).
Le livre peut décevoir, parce qu’on attend trop de son auteur, mais reste qu’il supporte largement la comparaison avec tout ce qui s’écrit sur les plans politique et intellectuel. Il est par ailleurs passionnant dans la mesure où, sans surprendre véritablement, il projette sur la personnalité d’Eric Zemmour un éclairage enrichi par ses récents déboires politiques et leur analyse. Demeure toujours, dans la forme, le style clair, vif, allègre d’Eric Zemmour, s’abandonnant ici ou là, par exemple dans la très belle fin, à une oralité supérieure, à une éloquence rythmée. On ne peut pas dénier que le succès de ses ouvrages, et celui-ci emprunte le même chemin, tient d’abord au fait que son récit, les pensées, les réflexions, les portraits et les dénonciations échappent à l’ennui par le tour inimitable que l’auteur leur donne.
“Sauvez-nous”: il ne s’en est pas remis
Sur le fond, il faut d’abord passer par la relation de son parcours, avant la campagne puis lors de celle-ci, avec la fraîcheur un peu naïve et l’enthousiasme rétrospectif de quelqu’un qui ne s’est pas encore remis d’avoir pu susciter, durant plusieurs mois, tant d’adhésion, d’admiration, d’inconditionnalité apparente au point de lui avoir laissé croire, selon lui le plus sérieusement du monde, à une présence au second tour, Emmanuel Macron n’attendant que cette joute… On aurait tort de se moquer – on n’atteint jamais les cimes sans les imaginer au moins un instant à portée d’esprit et d’action – mais reste que, devant cette histoire narrée par un vaincu indiscutable, on est fondé à s’interroger : si c’était si extraordinaire, comment a-t-il été laissé pour compte sur le sable démocratique ?
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Dans ces hyperboles qu’il parvient parfois difficilement à détourner de lui-même, il instille quelques charges, sur Robert Ménard et Valérie Pécresse en particulier. Concernant cette dernière, la catastrophe qu’il décrit a malheureusement été subie par ceux qui comme moi ont été fidèles jusqu’au bout à un naufrage, fond et forme mêlés. Ces mises en pièces ne font pas de ce livre un réquisitoire exclusif. Sans ce défouloir, Eric Zemmour aurait manqué à son devoir de polémiste et de candidat à la fois amer et abandonné. Il avait promis un examen de conscience, une révision scrupuleuse et sans complaisance des ombres de sa campagne. Si on a eu, et ô combien, les lumières, on n’a guère eu les autres, sinon par des explications un peu trop faciles et confortables sur l’Ukraine, Marine Le Pen et les médias. Aucune n’est infondée mais l’essentiel, à mon sens, était ailleurs : le fait qu’à un certain moment, malgré l’exaltation d’une parole, d’une sincérité, voire d’une brutalité atypiques, d’une projection décapante sur la réalité de notre pays, une forme de lassitude s’est installée, le thème du pouvoir d’achat a pris la relève.
Un candidat contre la modernité par-dessus-tête
Et surtout, le tout n’était pas seulement de décrire les plaies, de les ouvrir et de les révéler mais de les soigner. Eric Zemmour est apparu comme un éclaireur, jamais comme un guérisseur. Ce n’était déjà pas rien que ce rôle. Il l’a mis en position de dire le vrai sur beaucoup de nos maux mais cela ne suffisait pas pour battre en brèche le pragmatisme, au fond conventionnel, de Marine Le Pen, redoutablement efficace sauf dans le moment ultime où son nom et son amateurisme continuaient à la bloquer.
À ce sujet, il est intéressant de constater qu’Eric Zemmour a commencé à baisser quand d’une part l’obsession de provoquer lui a fait perdre le sens commun (par exemple sur l’épisode de Mamoudou Gassama), et que d’autre part il a pris parfois le parti de s’excuser (notamment sur les handicapés). C’était le commencement de la fin pour quelqu’un qui souhaitait bâtir ses avancées à la fois sur l’intuition d’un consensus populaire et le courage maintenu de ses affirmations. Cette priorité longtemps attachée au bon sens perçu comme la riposte la plus adaptée à l’incongruité d’une modernité cul par-dessus-tête, a permis à Eric Zemmour de s’illustrer de la manière la plus convaincante qui soit sur l’école et l’obligation d’y détruire tout ce qui l’a détournée de ses missions fondamentales.
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Dans son livre, il y a des pages vigoureuses sur ses thèmes de prédilection et s’il décline volontiers les affres du déclin français, il vise souvent juste, notamment quand il déplore la disparition de la culture, la perversion de l’Histoire idéologisée et d’un pouvoir tellement soucieux de battre sa coulpe pour le sombre, qu’il en oublie de célébrer le glorieux. Pourtant, malgré sa foi en lui et en sa cause chevillée au cœur et à l’esprit, derrière l’énergie de l’espoir et la certitude affichée de vaincre un jour, pourquoi perçoit-on comme une musique un peu triste, pas crépusculaire mais presque ? Comme s’il se forçait, pour Reconquête et pour ceux restant encore avec lui, à un optimisme contre vents et marées, à des prévisions roboratives en dépit de son peu de goût pour la bureaucratie partisane et la gestion d’appareil.
En réalité, je suis persuadé qu’Eric Zemmour a compris qu’il n’était pas de ceux qui arrivent au faîte en ayant construit leur carrière lentement, étape après étape, mais qu’il relevait de cette minorité qui bouscule tout tout de suite, gagne dans la foulée ou est condamnée au mieux à s’enliser, au pire à s’effacer. Pourrait-on même suggérer qu’une pointe de nostalgie existe parce qu’il n’a pas assez senti dans son être, dans son trajet, la singularité de son aventure politique et qu’il serait prêt à revenir dans ce royaume médiatique où il était indépassable grâce à des qualités et à un courage intellectuel que même ses adversaires ne lui déniaient pas ? Premier incontestable dans ce monde mais si loin dans l’autre, le politique.
Eric Zemmour écrira, bataillera, avec Reconquête fera avorter des projets et des initiatives néfastes, se persuadera qu’il est véritablement à sa place parce qu’avoir franchi le Rubicon pour rebrousser chemin ne sera jamais son fort. Mais dans le dialogue intime qu’Eric Zemmour ne cesse d’entretenir avec lui-même, malgré son sourire volontariste et sa belle résilience, je parie qu’il s’en veut d’avoir lâché la proie pour l’ombre. Certes rien de médiocre avec lui mais tout de même : la politique, en définitive, n’a jamais été que le deuil, éclatant mais bref, de sa splendeur et de sa domination médiatiques durables. Mais il faut faire bonne figure : alors, l’énergie de l’espoir…
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