En Normandie, terre traditionnellement peu favorable à la droite radicale, Eric Zemmour avait donné rendez-vous à ses militants devant le Mont-Saint-Michel. Le discours du candidat « Netflix », désormais placé au second tour par certains sondeurs, a dû être avancé à cause de la tempête Eunice, mais Causeur n’en a pas manqué une miette.
Après le périple parisien de dimanche dernier, et l’infiltration de votre serviteur parmi les jeunes avec Pécresse, je me demandais comment je pouvais agrémenter le week-end suivant. Rien de palpitant à l’horizon, jusqu’à ce que je ne reçoive jeudi un mail m’invitant à participer au meeting d’Éric Zemmour au Mont-Saint-Michel.
Ouh, la gadoue la gadoue…
Ni une ni deux, je franchis le Couesnon, petit fleuve qui sépare la Bretagne de la Normandie et dont l’embouchure a décidé, à six kilomètres près, de placer la huitième merveille du monde dans l’escarcelle normande. Les pieds dans la gadoue, munis d’une paire de bottes pour les plus prévoyants, un petit millier de militants sympathisants s’étaient retrouvés au pied du Mont, où l’on aurait vite fait de se sentir à la place de Pierre Richard en certains endroits.
Un discours aux accents mystiques
Les références cinématographiques semblent d’ailleurs avoir été mobilisées à bon escient par l’équipe de « Reconquête! » ; quand est présentée la nouvelle recrue, Nicolas Bay, régional de l’étape et accusé par son ancien parti le RN d’espionnage au terme d’une semaine agitée, c’est le générique de James Bond qui retentit. Avec le vent à décorner les bœufs qui balayait la baie (le meeting a été avancé de quelques heures pour éviter l’averse promise pour l’après-midi), on pouvait même parler d’espion venu du froid.
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La photographie de campagne au Mont-Saint-Michel est plus ou moins une figure imposée pour tout candidat de droite qui se respecte, de Balladur en 1995 à Sarkozy en 2007. Le candidat Zemmour a voulu prendre de la hauteur, délaissant quelque peu les terrains habituels de l’immigration et de l’islam, pour évoquer une situation internationale pesante et la place de la France dans le monde. Fustigeant un président Macron « humilié » par Vladimir Poutine et par la crise des sous-marins australiens, Eric Zemmour veut s’imposer, lui, « un devoir de grandeur », réveiller « un gaullisme de reconquête » et sortir du commandement intégré de l’OTAN, à l’instar du Général en 1966. Inspiré par les lieux, le discours a pris aussi des accents mystiques, évoquant l’archange Saint-Michel et le combat que se livreraient « le Bien et le Mal depuis des millénaires ».
Des sondages donnent désormais Zemmour au second tour
Sur les réseaux sociaux, les photographies de militants englués dans la gadoue ont fait le régal des community managers LR et RN. Il fallait au moins ça pour remobiliser les troupes numériques après la sortie du sondage Ifop pour Paris Match, LCI et Sud Radio de vendredi dernier et annonçant Zemmour au deuxième tour. En contraste avec une mobilisation de terrain décevante, la vidéo du meeting publiée quelques heures après a rapidement dépassé les 300 000 vues, confirmant que le candidat Zemmour domine cette « campagne à la Netflix », idée chère à Raphaël Llorca et développée dans une note à la Fondation Jean Jaurès.
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Zemmour au Mont-Saint-Michel, c’est aussi l’occasion pour le candidat de mettre les pieds dans le Grand Ouest catholique, terre de conquête plus encore que de reconquête pour le mouvement. Situé à la jonction des régions Bretagne, Pays de la Loire et Normandie, le Mont-Saint-Michel est aussi au cœur d’un triangle Caen-Brest-La Roche-sur-Yon, c’est-à-dire le périmètre de Ouest-France, journal fondé en 1899 par l’abbé Trochu et toujours imprégné de démocratie chrétienne. Si la région a pu être le terreau de certaines radicalités (les Bonnets rouges en 2013, qui avaient en quelque sorte annoncé les Gilets jaunes ; l’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes), l’ensemble régional est aussi une terre de modération. En 2017, la « droite nationale » (Marine Le Pen + Nicolas Dupont-Aignan) avaient fait 18% dans l’Ille-et-Vilaine voisine (le département de Rennes et de Saint-Malo) au premier tour contre 26% au niveau national, Marine Le Pen ne terminant qu’à la quatrième place. Au deuxième tour, elle faisait 22% contre 77%, plus proche du score du paternel en 2002 que du sien à l’échelle nationale. Si une frange plus conservatrice et sensible à la présence au meeting de Philippe de Villiers n’a pas disparu, l’Ouest catholique a suivi fidèlement en deux siècles l’évolution de son clergé : réfractaire lorsque le clergé était réfractaire pendant la Révolution, il a progressivement adhéré à la démocratie chrétienne jusqu’à devenir « catholique de gauche ». Le parcours de Jean-Marc Ayrault, du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (proche de la gauche, voire de l’extrême-gauche) à la mairie de Nantes ravie à la droite en 1983 est évocateur. L’Ouest catholique semble aujourd’hui relativement à l’aise en Macronie, plaçant en tête LREM lors des dernières européennes. Une superposition des cartes par département des prêtres réfractaires pendant la Révolution, des catholiques pratiquants dans les années 1960 et du vote LREM-Modem (en jaune sur la troisième carte plus bas) donne des constantes étonnantes, partagées avec les Pyrénées-Atlantiques, le Bas-Rhin et la Haute-Savoie par exemple.
Sur le terrain, les militants sont optimistes.
Alexandre Payen, 20 ans, est responsable de Génération Zemmour en Ille-et-Vilaine. A Rennes, il a participé au tout premier collage d’affiches, début septembre. Ils étaient sept participants lors de la première opération. Un autre militant me raconte : « Au premier collage, nous avons été interpellés par des étudiants attablés dans un bar à proximité. L’échange était resté courtois. A ce moment-là, la candidature de Zemmour paraissait aux gens peu politisés totalement invraisemblable ». Au fil des mois, alors que les nuits rennaises se faisaient de plus en plus froides et que l’espérance de vie d’une affiche d’Éric Zemmour dans le centre-ville est comprise entre trente minutes et trois heures, les rangs se gonflent et ne se découragent pas. Aujourd’hui, près de 200 militants participent aux opérations sur tout le département, alors que me signale Alexandre Payen, LR et RN semblent incapables de mobiliser les leurs. Les profils ? Des jeunes gens aux idées de droite bien arrêtées, qui n’avaient pour la plupart jamais franchi le pas du militantisme, n’ayant trouvé aucune personnalité répondant tout à fait à leurs attentes.
Les deux pieds dans la gadoue, ils ont sacrifié pour certains d’entre eux leurs paires de richelieus.
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