Le journaliste publie son nouvel essai, Fenêtre de tir, la présidentielle et le grand retour de l’ordre, le 7 octobre (Ring Editions)
Je cherchais un titre pour ce billet. J’avais déjà « le déclin » mais j’avais du mal à trouver le second mot qui, dans mon esprit, devait signifier que la France était atteinte en profondeur. Davantage par le délitement de ses institutions, de ses services publics, par l’éclatement de la communauté nationale en mille communautarismes, par la disparition de l’autorité à tous niveaux et la perte de notre civilité commune, que par l’industrialisation disparue de notre pays et dont l’absence est responsable de tant de drames sociaux et de misères personnelles.
Je ne parvenais pas à trouver ce substantif décisif, hésitant entre « dilution » et « toucher le fond », quand j’ai eu la chance d’avoir entre les mains l’essai d’Eric Revel Fenêtre de tir, qui sera publié le 7 octobre chez Ring. Déplorant le naufrage de la France – qualifié d’abîme -, l’auteur en appelle à un sursaut sur tous les plans, qui imposera principalement un retour de l’autorité. C’était « abîme » qui me manquait et dont j’ai hérité grâce à ce livre. Une distinction doit en effet être faite entre le déclin, sur lequel il y a quasiment consensus de tous les responsables politiques, et l’abîme.
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La conscience du déclin industriel de la France est apparue cruciale, terrifiante, au début de l’année 2020 quand la pénurie de masques, par exemple, nous a frappés de plein fouet. Certains n’avaient pas attendu cette crise pour ouvrir les yeux. On pourra dire ce qu’on voudra d’Arnaud Montebourg, il n’empêche qu’il a perçu, plus vite que d’autres, la plaie nationale de cette industrialisation défaillante et de la délocalisation de beaucoup d’activités essentielles dans d’autres pays moins regardants sur le plan social. Le déclin a une définition très concrète qui renvoie à des déficits, à des territoires négligés, voire abandonnés, à des faillites, à une sinistrose sociale et économique, à une désertification, à la réalité d’une France coupée en deux, celle des grandes métropoles et celle d’un pays se sentant oublié et qui a donné ses plus importants bataillons aux Gilets jaunes.
Au fond du trou
Mais ce constat, résultant de politiques calamiteuses, pourra être réparé par d’autres politiques parce que, au fond, il suffirait d’une volonté, d’une constance, d’une action, pour combler ce que la réalité d’aujourd’hui a de déplorable. Pour refaire de la France un pays qui, après avoir pleuré ses manques, pourrait les compenser et se féliciter de ses avancées.
Certes les difficultés ne seraient pas minces. Il n’est toutefois pas si utopique de restaurer un tissu industriel et de reconstituer ainsi un pays qui n’aurait plus l’impression d’être ici ostracisé parce qu’il aurait été privilégié là.
L’abîme fait référence à une France au fond du trou, engluée dans un désastre d’autant plus irrésistible qu’il paraît concerner toute la structure nationale, son école, sa justice, ses cités parfois autarciques et imprenables, sa population française de coeur ou par décret, sa politesse collective, sa police, son pouvoir présidentiel, ses citoyens.
À l’évidence il ne suffirait pas de se relever les manches pour éradiquer un climat de morosité absolue, pour extirper le poison coulant dans les veines de notre pays et lui redonner confiance en lui-même. Il faudrait non seulement de l’autorité – Eric Revel a raison – mais plus encore, la vertu qui fait défaut partout, surtout au sommet de l’Etat: le courage.
Discours radicaux
Ce n’est pas en un quinquennat que le sursaut nécessaire pourrait être accompli. En tout cas il serait déjà engagé. Je n’ose imaginer les efforts qu’une démocratie rénovée, à la fois humaine et efficace, devrait accomplir sur le long terme pour rattraper des années de démission institutionnelle, sociale et régalienne. Elle aurait à substituer à un conglomérat du mépris une civilisation du respect, à des communautés sans foi ni loi une société de la concorde et du rassemblement.
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Ce futur ne sera jamais notre lot si nous continuons à faire preuve de cette démagogie, de cette faiblesse effrayante, destinées seulement à nous démontrer que nous sommes bons, mais en oubliant l’intérêt et le destin de la France ; et de la France dans le monde. La distinction entre le déclin surmontable et l’abîme inéluctable me semble d’autant plus pertinente qu’elle explique en grande partie les discours extrémistes et radicaux, même si les angoisses ne sont pas les mêmes (heureuse élection tout de même de Yannick Jadot contre Sandrine Rousseau, éco-féministe intégriste).
Leur tonalité laisse entendre, contre la gauche et la droite conventionnelles, que les politiques classiques ne sont plus vraiment agréées, parce qu’elles ont échoué et laissé le citoyen sur sa faim, au fil des engagements non tenus et d’une République très douée pour le verbe solennel mais moins pour la sauvegarde de son identité. La réalité, sur quelque plan que ce soit, n’autorise plus un discours mièvre ou tiède.
Le déclin nous laisse une chance. L’abîme ferait de notre renaissance un miracle.
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