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Voyage en appartements intérieurs

Eric Poindron publie "Le voyageur inachevé" (Le Castor Astral)


Voyage en appartements intérieurs
Eric Poindron © Anne-Laure Buffet

Éric Poindron, poète-collectionneur ouvre ses salles imaginaires à la curiosité littéraire de tous


Quand on lit et suit depuis plusieurs années les déambulations d’Éric Poindron, son œuvre-rhizome où l’étrange et le poétique jouent à la courte-échelle, le hasard n’existe plus. On en vient même à douter de la réalité. Est-ce un leurre ou un tuteur ? La fiction se tord pour s’agréger au quotidien à moins que ce ne soit l’inverse. L’incongru percute la routine et la banalité est exclue du langage commun.

Le fantastique comme art de vivre

Tous les événements les plus anodins s’inscrivent alors dans une fresque imaginaire, sorte de tapisserie de l’esprit, Bayeux ou Boulogne-Billancourt, épicentre de l’auteur, sont deux destinations hautement mystérieuses. Chez cet artiste qui taille son existence comme ses belles bacchantes, dont l’originalité, mot trop souvent souillé, n’est pas accessoire, les girafons côtoient les écrivains morts, le fantastique devient un art de vivre et la littérature irrigue chaque mouvement de gymnastique. C’est dire qu’il est capable de détraquer les pendules les mieux réglées et de suspendre le temps. Il en est le maître érudit à vocation quasi-divinatoire.

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La semaine dernière donc, avant de recevoir au courrier Le voyageur inachevé publié par Le Castor Astral, j’étais dans une disposition mentale encline à l’évasion comme si je m’apprêtais à prendre rendez-vous avec les fantômes du passé. Je m’explique, je m’intéressais aux éditions Les formes du secret situées jadis 102 boulevard de la Villette dans le XIXème arrondissement. À la fin des années 1970, de cette officine particulière sortirent des ouvrages inclassables: Le grand mystère de Jonathan Swift, Le rire fou des chimères de Catherine Brouste et Terminus Paris de Bernard Chapuis, sous-titré Actualité-fiction, que je tenais entre mes mains. Le facétieux auteur plongeait la capitale dans une série de disparitions, de transferts de sépultures, d’embouteillages monstres et de coupures générales d’électricité.

Chaque nuit est une nouvelle pièce

Dans cette course-poursuite, le héros-reporter de Chapuis expliquait ces phénomènes déroutants par une sentence tout aussi déroutante: la mort se vengeait de la ville. « Nous vivons dans une ville qui veut la chasser. Et chasser la mort, c’est se vider de soi-même » disait-il en substance. J’étais donc prêt à suivre Éric Poindron dans son voyage intérieur et à partager ses vingt-six nuits d’automne. Car les morts sont des compagnons de route, pas ces figures inaccessibles, trop respectées et fossilisés dans les livres, plutôt des prescripteurs que l’on écoute toute sa vie, par malice et envie. Poindron ravive leur mémoire, les réinscrit dans notre présent, se foutant bien de l’espace-temps et du qu’en-dira-t-on.

Sa liberté de bousculer les périodes de l’Histoire, de les faire frictionner entre elles, est un délice de fin gourmet. Les limites ont été inventées par les pleutres et les bons élèves. L’écriture se moque des bienséances. Poindron se permet toutes les audaces stylistiques et les brouillages d’ondes nostalgiques. Chaque étape de son périple d’octobre est un hommage charnel aux grands auteurs qui l’ont précédé et qui continuent à l’aiguiller. « Vingt-six nuits dans un musée de nuit ou de pacotille à déambuler et à endosser les habits du conservateur et de l’étrange gardien. Chaque nuit est une nouvelle pièce, comme des pas de découvertes et d’émerveillements » prévient-il, dans son « vestibule en guise de préambule ». Dans ce cabinet de curiosités où l’onirique se marie à la bibliomanie, on cabote de la salle du bestiaire à celle des géographies pour s’aventurer dans celle des mystères argentiques ou des machines à écrire.

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Saute-mouton de l’imaginaire

Poindron, c’est le saute-mouton de l’imaginaire, d’Edgar Poe à Lewis Carroll, de Pierre Michon à Borges, de Restif de la Bretonne à Joseph Ponthus. Ce gardien de musée qui semble surgir d’un vieil album de Blake et Mortimer, d’un univers parallèle, funambule et acrobate des lettres, cherche toujours l’équilibre instable, les portes cachées et les tiroirs secrets. Ce disciple de notre cher et tant admiré André Hardellet ne se contente pas de regarder la réalité en face, il la détoure, la perfore, tente de lui faire expurger ce qu’elle ne dit pas. L’invisible est son royaume. Alors laissez-vous guider par cet esthète façonneur de formules et n’oubliez pas que « La réalité n’a aucun sens. C’est tout au plus une hypothèse ».

Le voyageur inachevé de Éric Poindron – Le Castor Astral

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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