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Au cabaret de la chance

Éric Poindron, « Au cabaret des oiseaux et des songes », préface de Denis Grozdanovitch (Le Passeur Éditeur, 2024)


Au cabaret de la chance
Eric Poindron, éditeur, écrivain et critique littéraire francais © BALTEL/LAMACHERE AURELIE/SIPA

Éric Poindron publie Au cabaret des oiseaux et des songes. Cet écrivain sensible nous rappelle que les oiseaux annoncent le soleil, la pluie, et parfois le vent mauvais


En lisant le singulier livre d’Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, édité par Le Passeur, je me suis mis à fredonner la chanson d’Yves Montand, « Au cabaret de la dernière chance » (paroles de Pierre Barouh / musique d’Anita Vallejo) qui commence ainsi : « Il y a ceux qui rêvent les yeux ouverts / Et ceux qui vivent les yeux fermés ». Poète, éditeur, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Éric Poindron n’est pas homme à vivre les yeux fermés, bien au contraire. Il ne cesse de voir, mais aussi d’écouter, toucher, goûter, sentir, et cette symphonie des sens nourrit sa réflexion buissonnière, pour notre plus grand plaisir.

Son récit, ponctué d’aphorismes, de citations et d’extraits de poèmes, nous conduisent à quitter la ville et ses acidités, comme eût dit Charles Trenet. On retrouve cette terre miraculeuse, l’enfance, peuplée de rêveries célestes, de vallons verdoyants et de gens heureux parce qu’ils refusent de croire au malheur. Avec Éric Poindron, nous ouvrons la fenêtre et l’air libre électrise nos neurones. Les paysages de France se déploient devant nos yeux d’humains fatigués par la grisaille des idéologues, « contamineurs » de mots séculaires. On finit la soirée dans ce cabaret sans toit, éclairé par les étoiles. Puis on reprend la route au petit matin, frais comme un gardon. On suit Poindron, marcheur rousseauiste infatigable, sur les chemins des Cévennes, de l’Yonne, de la Lozère, de l’Ardèche ; il ne manque aucune conversation entre les oiseaux. Car il les aime, ces oiseaux qui annoncent le soleil, la pluie, le vent parfois mauvais. Poindron note : « Alors, dès mon jeune âge, j’ai décidé d’être un oiseau. Je voulais fuir l’école, raconter des histoires à mon rythme et me baigner dans l’océan jusque tard dans la saison. J’y suis parvenu. Mes rêves sont intacts. » Nous les découvrons avec ses digressions qui irriguent le livre. Comme nous découvrons, dans la préface signée Denis Grozdanovitch, que son ami et éditeur, Jean-Yves Clément, entretient « des rapports cabalistiques avec les pies malicieuses ».

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Vous l’aurez compris, ce livre est un livre de copains, pour de futurs copains. Poindron nous fait découvrir sa bibliothèque. Les morts sont souvent plus vivants que les vivants. Il y a le mage Cocteau, Jean Marais dans son long manteau en poil de chameau, Paul Morand, homme pressé par son talent, l’énigmatique Jules Verne, à propos duquel il écrit : « Ce bourgeois d’Amiens, cet homme casanier comme une huitre et qui dérivait dans ses rêves trompait son homme. » Et d’ajouter : « Jules Verne est un mystère voyageur comme le mystère d’une île. » On rencontre les amis du premier cercle, en pleine forme : Pascal Quignard, Jérôme Leroy, Pierre Michon, ou encore Yves Simon. Poindron n’oublie pas le regretté Gilles Lapouge dont il brosse un exotique portrait. Comme il n’oublie pas Joseph Pontus, terrassé par un cancer à 42 ans, auteur d’un livre unique, À la ligne (Éditions de La Table Ronde ; encore un coup de Jérôme Leroy…). Poindron rappelle : « Un titre astucieux et invendable, À la ligne, et pourtant derrière le titre un grand texte, une profession de foi et une leçon de courage ; un texte d’écrivain aussi. » Ce qui n’est pas rien.

Ce livre permet également de mieux connaitre son auteur. C’est un texte autobiographique en forme de puzzle. Sa reconstitution est délicate, à l’image de l’écrivain. J’aime cette phrase qui en dit long sur sa personnalité : « Sur ma table de travail, prête pour l’écriture, une image d’autrefois, esseulée. Sans personne. Seulement une petite gare. »

Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des songes ; mais quand il n’y aura plus d’oiseaux, les hommes auront disparu. J’écris cela car, de mon Limousin natal, je guette le retour des hirondelles, au printemps. Or je constate, depuis plusieurs années déjà, que beaucoup de nids restent vides. C’est pour cela qu’il faut pousser la porte du cabaret du poète Poindron pour prendre conscience de la fragile symphonie du monde.

Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, préface de Denis Grozdanovitch, Le Passeur Éditeur. 349 pages.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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