Dans son nouveau livre, La République, c’était lui !, Éric Naulleau brosse le portrait de Jean-Luc Mélenchon en lider minimo. Ou comment un laïcard pur jus s’est mué en islamo-gauchiste convaincu, aussi séduit par les dictatures comme par la France des imams et des caïds.
Au printemps 2023, Éric Naulleau avait consacré un pamphlet à Sandrine Rousseau (La Faute à Rousseau, Léo Scheer). Cette année, dans un essai riche en allusions littéraires, ce n’est pas à la créature wokiste du moment que l’ancien acolyte cathodique d’Éric Zemmour s’en prend, mais à un vieux routier de la politique française, Jean-Luc Mélenchon, qui a sillonné depuis cinquante ans les routes de la gauche, du lambertisme au rocardisme.
Renversement d’alliances
Au titre (La République, c’était lui !) et au sous-titre (Grandeur et déchéance du camarade Mélenchon), on pouvait s’imaginer que l’essayiste racontait son amour déçu pour l’ancien sénateur de l’Essonne. Éric Naulleau fait en réalité deux reproches principaux à Jean-Luc Mélenchon : une tendresse de longue date pour tous les gouvernements totalitaires de la terre, de Cuba à la Chine en passant par le Venezuela. Et une inclination plus récente : la conversion de Jean-Luc à l’islamo-gauchisme. Naulleau était aux premières loges, le 24 avril 2010, sur le plateau de « On n’est pas couchés », lorsque Mélenchon, à la tête du tout jeune Parti de gauche, critiquait le choix du NPA d’Olivier Besancenot de présenter une femme voilée aux élections régionales en PACA. À cette époque, Mélenchon refusait aussi que « des fantômes se trimballent dans les rues », en plein débat sur l’interdiction sur la burqa. À revoir le passage, Éric Naulleau n’était pas encore un laïcard pur et dur, puisqu’il s’était inquiété du sort des femmes qui portaient « la burqa volontairement » et se demandait si ça ne valait quand même pas le coup d’écouter les arguments de la candidate voilée du Vaucluse. Sur le plateau de Laurent Ruquier, un front Jean-Luc Mélenchon-Éric Zemmour-Caroline Fourest s’était constitué contre la burqa, face aux maigres nuances de Naulleau. Depuis, un renversement d’alliances s’est opéré, aussi spectaculaire que celui de 1756, qui avait conduit la France dans les bras des Habsbourg d’Autriche contre la Prusse de Frédéric II.
Éric Naulleau adresse d’autres griefs au lider minimo de la France insoumise, et plus encore à ses sbires : la passion gauchiste pour les malfrats et les marginaux, pour les bagnards et pour les transsexuels, pour les imams et les caïds, au détriment de la France populaire. Également, les clins d’œil de moins en moins discrets aux pires penchants antisémites. On apprend que David Guiraud a été biberonné, de l’aveu de son père, aux vidéos de Dieudonné et d’Alain Soral. C’est avec des allusions conspirationnistes, prononcées à Tunis ou ailleurs, qu’il a fini par recevoir des éloges vibrants dans les colonnes de Rivarol. Si l’on a voulu chercher en Amérique du Nord les racines intellectuelles de la nouvelle gauche wokiste, on peut se demander si elles ne doivent pas aussi quelque chose à notre vieille extrême droite qui tache. Le seul dans la galaxie LFI à trouver grâce aux yeux de Naulleau : François Ruffin, qui ne s’est pas compromis dans la manifestation contre l’islamophobie de novembre 2019.
Politiquement, Éric Naulleau se sent comme dans un train à l’arrêt : « Tout le monde a fait cette expérience une fois dans sa vie. Bien calé dans un siège de TGV, vous éprouvez la sensation que le train s’est ébranlé, mais un autre s’éloigne sur la voie d’à côté – le vôtre n’a pas bougé. Illusion du mouvement, vous êtes à quai. » Le traducteur de poèmes slaves n’a pas bougé d’un iota ; c’est la quasi-totalité de la gauche qui se serait trahie. On pourrait nuancer ce point. En se convertissant tardivement à l’islamo-gauchisme, après le fiasco des européennes de 2019, Mélenchon ne s’est pas tant rapproché des Indigènes de la République que de Terra Nova, officine située sur l’aile droite du PS qui avait prôné en 2011 l’abandon de la population ouvrière au profit des minorités. Avec sa volte-face sur le voile islamique, Mélenchon n’a fait que rejoindre, avec trente ans de retard, la mollesse d’un Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale au moment de l’affaire du collège de Creil. Certes, à chaque fois que Bernard Cazeneuve se promène dans un cimetière avec un feutre mitterrandien, il y a un début de frémissement au sein du microcosme de la gauche républicaine. Une gauche républicaine qui commence toutefois à relever de la fable mythologique, car ça fait quand même un moment qu’on ne l’a pas vue à l’œuvre. Ils n’étaient pas nombreux, les députés socialistes qui ont voté, avec Manuel Valls, la loi interdisant la burqa en juillet 2010. Elles commencent à être anciennes, les compromissions locales avec les dealers et avec la djellaba. Le paradoxe de Mélenchon n’est pas de s’être converti à cette facilité stratégique, mais de s’y être converti si tard.
Continuité historique de la France
Éric Naulleau s’exclame aussi : « Avis aux nouveaux locataires : la France est un appartement meublé de longue date. De commodes Louis XV, de bureaux Directoire, de fauteuils Empire, de buffets Régence, d’armoires gothiques, de chaises Starck et de luminaires Keller. Merci de respecter le mobilier et de laisser l’endroit aussi propre que vous l’avez trouvé quand vous repartirez dans votre pays ou pour le grand néant – plutôt que dans un état totalement imprévisible. On vous saura gré d’épousseter de temps à autre ces trésors accumulés au fil des siècles par une vieille civilisation – plutôt que de prétendre les bazarder dans les poubelles de l’histoire. Et de chausser des patins au lieu de gros sabots pour vous déplacer de pièce en pièce, ne serait-ce que pour le respect des voisins. Ils étaient là avant vous. » Voilà qui pourrait définir un conservatisme soucieux de la continuité historique de la France. Et si l’avenir de la gauche républicaine et d’Éric Naulleau se trouvait à droite ? Il faudra pour cela sortir de la mentalité religieuse, renoncer aux promesses de sa première communion chez les Jeunes socialistes, et rejoindre, comme Amine El Khatmi, l’entourage de Valérie Pécresse, ou pourquoi pas, soyons fous, les rangs de la droite nationale.
À lire
Éric Naulleau, La République, c’était lui ! Grandeur et déchéance du camarade Mélenchon, Léo Scheer, 2024.
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