Toute alternative à la prison va dans le bon sens


Toute alternative à la prison va dans le bon sens

eric dupond moretti

Avocat pénaliste de renom, Me Éric Dupond-Moretti, membre du barreau de Lille, a notamment plaidé dans l’affaire d’Outreau.

Daoud Boughezala : De plus en plus de procédures judiciaires ouvertes contre des délinquants débouchent sur des peines légères, voire de simples rappels à la loi. Pensez-vous que la justice française soit trop laxiste ?

Eric Dupond-Moretti : C’est une plaisanterie ! A chaque échéance électorale, on utilise la sécurité comme thème majeur, à défaut de pouvoir résoudre les grands problèmes économiques de ce pays. On accrédite ainsi l’idée que la France est devenue un coupe-gorge, que les juges sont laxistes et favorisent les délinquants aux dépens des victimes. En réalité, il n’y a jamais eu de peines aussi lourdes prononcées qu’aujourd’hui.

Pourtant, les primo-délinquants échappent presque toujours à la prison…

Allez passer une après-midi au tribunal en comparution immédiate et  vous verrez. Moi, ce que j’observe, c’est que des tas de gens sont incarcérés alors qu’ils n’ont strictement rien à faire en prison – les délinquants routiers, les pères divorcés coupables de défaut de paiement de la pension alimentaire, etc.[access capability= »lire_inedits »]  Quand j’ai commencé ma carrière d’avocat il y a une trentaine d’années, il était rarissime qu’on prononce une peine de quatre ans d’emprisonnement ferme dans un tribunal de grande instance comme Lille tandis qu’aujourd’hui, c’est monnaie courante. On glose beaucoup sur les chiffres mais la population pénale représente 70 000 personnes dans un pays de 70 millions d’habitants. Il y a quinze ans, quand l’ancien médecin-chef à la prison de la Santé Véronique Vasseur a courageusement sorti son livre accablant sur la situation carcérale, tous les politiques se sont émus. Mais une fois le soufflé retombé, les actes n’ont pas suivi. Au contraire, on a multiplié les effets d’annonces : l’arsenal punitif s’est considérablement étoffé pour un bénéfice social nul, puisque la délinquance ne baisse pas.

Je vous accorde ce dernier constat. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec la condition carcérale, puisque les juges ont massivement recours au bracelet électronique. Faut-il désengorger nos prisons à tout prix ?

Tout ce qui est alternatif à la prison va dans le bon sens, tant celle-ci remplit mal son triple rôle : mettre à l’écart un individu jugé dangereux  pour la société à un moment donné, lui permettre de se réinsérer, et bien sûr le punir. On ne sauvera pas la paix sociale en envoyant les condamnés dans des lieux où règnent des « conditions inhumaines et dégradantes », selon les termes de la Cour européenne des droits de l’homme. Sachez qu’à l’issue de son enquête sur les prisons, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Alvaro Gil-Robles a placé la France juste au-dessus de la Moldavie ! Si un ours des Pyrénées était enfermé comme beaucoup d’êtres humains dans les prisons françaises, on verrait les gens défiler pour dénoncer la condition plantigrade.

Ces arguments humanitaires, aussi louables soient-ils, font peu de cas de l’effet dissuasif de l’incarcération. Je ne vous apprendrai pas que la prison est censée prévenir le premier délit et éviter la récidive.

Un individu qui s’apprête à commettre un délit a la certitude qu’il ne se fera pas pincer. Il  ne consulte pas la gazette judiciaire qui annonce la condamnation d’un quidam à deux ans de prison quelques jours plus tôt ! Chez les mineurs en particulier, le séjour carcéral constitue au contraire un galon que certains portent avec fierté. Je me réfère donc à Victor Hugo : « Ouvrez une école et vous fermerez une prison. » au risque de me faire traiter de bobo de gauche droit de l’hommiste du Café de Flore !

Ça ne vous va pas si mal, mais à Causeur, le nom d’oiseau n’est pas notre genre. J’apporterai même un peau d’eau à votre moulin : il paraît qu’un nombre croissant de magistrats ont la main très lourde à l’encontre de citoyens qui se défendent ou interviennent pour défendre un tiers.

Je ne sais pas d’où sortent des âneries pareilles !

De l’interview d’à côté, si je puis dire, c’est-à-dire de quelqu’un qui, jusqu’à une date récente, officiait au Tribunal d’Orléans….

Il y a autant de jugements qu’il y a de juges. À ma connaissance, il n’y a pas de circulaire définissant l’attitude à avoir à l’égard de tel ou tel type de délinquance. Contrairement à ce que vous prétendez, des juges considèrent généralement les individus qui prêtent main forte à une victime comme des héros plutôt que comme des délinquants, ce dont je me félicite. Une loi déjà ancienne autorise même la légitime défense dans le cas d’attaques nocturnes contre les biens.

La formation de comités de surveillance et de vigilance pour pallier les carences de la police est un phénomène relativement récent. De même que le regain d’intérêt des Français, souvent urbains, pour le port d’armes et le permis de chasse. Tout cela vous inquiète-t-il ?

Que des commerçants s’associent pour surveiller leurs biens, cela a toujours existé. Mais je concède volontiers que des quartiers ont été gangrenés par la délinquance et connaissent peut-être une  recrudescence de l’autodéfense que je ne peux pas mesurer car je ne suis pas ministre de l’Intérieur. Puisque vous évoquez les béances du service public, je vous rappelle que l’Etat est en faillite, ce qui empêche la justice d’avoir les moyens de faire son travail et accroît encore les difficultés.

Tentons une motion de synthèse. Il me semble deux éléments se conjuguent pour former un cercle vicieux : d’un côté, la déliquescence du service public qui mine l’efficacité de la police et de la justice ; de l’autre, un ensauvagement général de la société…

C’est vrai. On vit une époque singulière d’égoïsme, de dureté, d’inhumanité et de peur de l’Autre. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les travaux du linguiste Alain Bentolila. Il rappelle que les fondements d’une nation, ce sont une culture et une langue communes. Or, nous ne parlons plus la même langue que certains jeunes Français. Prenons un exemple. Quand des gens qui ont un minimum de culture  se bousculent, ils se parlent immédiatement de façon à apaiser les tensions. Mais lorsqu’au lieu de dire « pardon monsieur excusez-moi », un jeune lance « nique ta mère », la tension s’exacerbe et cela bastonne.

Comme dirait Lénine, que faire ?

Je n’en sais rien mais je me pose de vraies questions sociétales. Comme se le demandait Nicolas Sarkozy, le policier a-t-il vocation à jouer au rugby avec les enfants des cités ? Faut-il ou non une police de proximité ? Malheureusement, surtout dans nos banlieues qui concentrent les difficultés, on peut poser plus de questions qu’on ne peut apporter de réponses. L’homme qui se dirait prêt à devenir ministre de la Ville car il a des solutions,  celui-là aurait toute mon approbation, toute mon admiration, mais aussi toute ma circonspection ![/access]

*Photo :  Hannah.

Décembre 2014 #19

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste.

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