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Le crépuscule des profs

Éric Bonnargent publie "Les désarrois du professeur Mittelmann" aux Éditions du Sonneur


Le crépuscule des profs
Le romancier Eric Bonnargent © Stéphane Pelletier

Le premier roman d’Éric Bonnargent sent le vécu…


Il se nomme Mittelmann, professeur de philosophie âgé de 60 ans, et prend sa retraite. Une jeune femme blonde raphaélique, assurément plus jeune que lui, semble partager sa vie. C’est ainsi que s’ouvre le premier roman d’Éric Bonnargent. Premier roman ? Pas tout à fait. Il y a huit ans, les Éditions du Sonneur publiaient Le Roman de Bolaño, co-écrit avec Gilles Marchand, qui attisa la curiosité. Premier roman solo, donc. Bonnargent est plus jeune que son personnage, il est né en 1970, mais il enseigne la philosophie. Indubitablement, son roman respire le vécu. Quand il raconte la rentrée de septembre, avec l’attente angoissée des profs avant la distribution des emplois du temps, on s’y croirait. Extrait : « Fébriles, ils faisaient la queue devant la porte du secrétariat. À mesure qu’ils avançaient, leurs bavardages se tarissaient. Ils s’efforçaient de sourire avec à peu près autant de dignité et de résignation qu’au seuil du cabinet d’un proctologue ». Leur feuille de route annuelle à la main, on assiste à la réaction hystérique des uns, accablée des autres. De nombreuses évocations de l’univers professoral sont également réussies : la salle des profs, avec la photocopieuse asthmatique, le confessionnal de la machine à café ; les interminables discussions sur les élèves illettrés et indifférents, les rêves au rabais à propos d’un voyage pédagogique dont on se moque de la destination, l’important étant de prendre l’air ; bref, on est immergés dans la désillusion générale. C’est écrit sans méchanceté, ni ressentiment. Les descriptions au scalpel suffisent. Le constat est édifiant. On comprend pourquoi les gouvernements peinent à recruter aujourd’hui. Le temps des « hussards noirs » de la République est révolu. L’Éducation nationale, avec ou sans le nouveau ministre, est un splendide repoussoir.

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Dernier béguin avant l’Ephad

Mittelmann fait partie de ces profs qui n’ont jamais quitté la cour de récréation. Leurs actions sont réglées par la sonnerie de l’établissement. C’est pavlovien et assurément déprimant. Mittelmann possède pourtant une échappatoire : l’écriture de romans. Il espère devenir un écrivain reconnu. Bonnargent évoque Philippe Sollers. Il cite même l’un de ses plus beaux textes, court et nerveux, Les Folies françaises. Mais les droits d’auteur du prof de philo ne lui permettent pas de faire l’école buissonnière. Alors il ira jusqu’à la retraite. Dans cette atmosphère uniformément grise, la nouvelle prof d’anglais, Carolyn, fait sensation. C’est une « bombe » disent les collègues habitués à côtoyer des modèles qui ressemblent davantage à une Annie Ernaux nobélisée. Mittelmann, dont la vie sentimentale est un échec, va être l’heureux élu. Leur idylle ne durera pas longtemps, mais au moins elle aura eu le mérite d’exister. Ça fera des souvenirs pour l’EPHAD.

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Cette radiographie du délitement contemporain, qui n’est pas sans rappeler celle des premiers romans de Houellebecq, s’achève sur une note d’optimisme. Enfin, en ce qui concerne le jeune retraité. La blonde trentenaire partage en effet sa vie. Elle se nomme Justine, elle est prof, et l’appelle « chaton ». L’espoir est donc raisonnablement permis. Même si Mittelmann est un incorrigible pessimiste. Extrait : « (…) jamais une jeune femme aussi belle ne pourrait se tenir éternellement à son bras. Elle le disait merveilleux amant, mais il ne tarderait plus à utiliser du viagra. »

La remarque de Michel Déon

L’un des moments forts de ce roman sensible, aussi mélancolique qu’un casino balnéaire à la basse saison, est l’arrivée de l’élève Johnny dans la classe de Mittelmann. C’est poignant. En le lisant, j’ai repensé à ce que Michel Déon m’avait dit, alors que j’étais sur le point de quitter pour toujours « la fabrique du crétin », pour reprendre le titre du best-seller du visionnaire Jean-Paul Brighelli. Dans son studio parisien, devant un verre de whiskey, l’auteur des Poneys sauvages m’avait déclaré : « Vous savez, on ne fait jamais cours que pour un élève. »

Éric Bonnargent, Les désarrois du professeur Mittelmann, Les Éditions du Sonneur.

Les Désarrois du professeur Mittelmann

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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