Une série défraie la chronique en Turquie, comme on dit dans les mauvaises gazettes. Soliman le Magnifique, biopic du sultan ottoman, fait un carton depuis deux saisons à Ankara comme dans le monde arabe, preuve que les exportations turques se portent un peu mieux que les nôtres. Mais l’objet du scandale n’est pas là. Figurez-vous que cette telenovela historique montre un Soliman noceur, buveur de vin et joyeux luron au milieu de son harem, bref pas très islamiquement correct. Ce qui énerve passablement le premier ministre « islamiste modéré » Recep Tayyip Erdogan, téléspectateur et historien amateur à ses heures perdues : « Nous vivons dans un monde de sept milliards d’individus et nous connaissons notre rôle. Nous allons dans toutes les régions où nos ancêtres sont allés à dos de cheval et nous nous soucions de ces régions. L’empire a atteint son apogée sous le règne de l’empereur Soliman (…) Il a passé 30 ans de sa vie à cheval, menant des guerres et conquérant des villes » explique Erdogan.
Calomniateur, mensonger et racoleur, le film de télévision aurait donc créé un Soliman bankable, faute de pouvoir s’attacher les services de Tabatha Cash, dans le but diabolique de ternir l’image de l’Empire ottoman, donc de l’islam et de la Turquie.
Belle indignation hessélienne que voilà ! Etonnamment, on entendait nettement moins les cris d’orfraie d’Erdogan lorsque sa chère télévision diffusait La Vallée des loups-Irak, adapté sur grand écran en 2005. Un grand succès de l’industrie culturelle turque mettant en scène les turpitudes de l’armée américaine en Irak, avec un éloge du jihad et le refrain habituel sur les complicités juives de l’US Army.
Pourquoi s’offusquer du silence approbateur d’Erdogan ? Ces œuvres complotistes ont dû lui rappeler sa jeunesse de Frère Musulman, lorsqu’il écrivit et mit en scène Maskomya¸ une pièce de théâtre en forme d’acronyme[1. Ma comme maçon, Kom comme communiste et Ya comme yahudi, juif.] inspirée de la thèse du grand complot bolchévico-judéo-maçonnique. Si c’est pas une vision de l’Histoire, ça…
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