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Epuisants voyageurs


Epuisants voyageurs

Le festival Etonnants voyageurs vient de se terminer, ouf : j’en ai marre des aventuriers. Je veux dire ceux qui ont ouvert boutique aventuriers, comme Berl disait de certains qu’ils ont ouvert boutique écrivains (vérifiez l’axiome : ça marche toujours). Partant du principe que les gens heureux sont cachés, que les grandes douleurs sont muettes, etc, les véritables aventuriers disent-ils qu’ils sont aventuriers ? N’y a t-il pas là posture, et même imposture ? La recherche de l’authentique, du sauvage et du bel inviolé dans ce monde-terrible-factice-et pollué n’est elle pas au fond éminemment… banale ?

Première hypothèse : l’aventurier qui part en quête du sauvage, des territoires vides et inconfortables – la toundra sur les genoux ou la muraille de Chine à tricycle – ne serait que l’exact symétrique du touriste occidental de base, honni (celui qui voyage en groupe dans les hôtels immenses, qui visite les sites balisés, consomme) et auquel il prétend s’opposer. Club Med, marche solitaire dans la steppe, même combat, et surtout, deux profils du même individu contemporain face au tourisme. Tous deux se déplacent sur le globe, sac à dos (peut-être pas de la même marque) pour connaître leur propre géographie… individuelle. Ils ne partent pas pour s’oublier, mais pour se retrouver. Tous deux sont en cela parfaitement post-modernes… et autocentrés.

D’où la seconde hypothèse : le voyageur aventurier incarnerait le stade ultime, l’aboutissement logique du touriste occidental de base. Ne sommes nous pas déjà tous déjà en quête d’authenticité, ce pléonasme vivant ? Rappelez vous ce merveilleux dessin de Sempé : le bourgeois des années cinquante roule en belle voiture rutilante tandis que son voisin, le modeste employé pédale sur son petit vélo, le regard plein d’envie. Dix ans plus tard, il s’est enfin offert la voiture de ses rêves, mais las !, le voilà coincé dans les embouteillages avec tous ses semblables, tandis que le grand bourgeois se faufile à vélo hollandais… L’aventurier est donc au touriste occidental de base ce que l’homo sapiens est à l’homme de Néandertal : sa version perfectionnée (dont le stade intermédiaire de l’évolution serait le lecteur du Guide du routard : encore un pied dans le circuit, un autre dans la posture).

Allons plus loin – et achevons de nous brouiller définitivement avec les beaux voyageurs ténébreux (ils le sont souvent) : ce besoin d’aller loin pour se retrouver et se distinguer des autres hommes (depuis Rousseau, on connaît la chanson) cache encore autre chose. Si c’était la fuite du vide, la fameuse « agitation » dénoncée par Pascal ? Kant n’a jamais quitté sa maison de Königsberg, Jane Austen n’est guère allée plus loin que la Pump room de Bath, Proust a observé un microcosme dans le périmètre Paris-Cabourg : et par leur lunette apparemment étroite, ils ont accédé à l’universel.

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Charlotte Liébert-Hellman est éditeur.

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